Rimant avec retrouvailles familiales, petites attentions et optimisme, le nouvel an lunaire est sans conteste la fête la plus importante du peuple chinois et de ses voisins. La période,  très suivie par les marques, notamment dans le luxe et la beauté, leur offre l’occasion de rivaliser de créativité pour lancer de nouveaux produits, des campagnes de communication dédiées ou bien encore organiser des opérations in-store. Un événement commercial stratégique pour espérer capter l’attention de la Chine, ultime relais de croissance pour le luxe et amené à devenir son premier marché bien avant 2025, selon McKinsey. 

Alors que 2021 s’ouvre sous le signe du buffle de métal, symbole de ténacité, les marques ont-elles su tirer des leçons des ratés des années passées et développé une compréhension plus fine des spécificités culturelles du peuple chinois ? 

2021 ou l’année auspicieuse du Buffle de métal 

Le nouvel an lunaire ou festival du printemps est la fête la plus ancienne et la plus importante du calendrier chinois. Elle est du reste très suivie en Chine et au sein de la diaspora. La fête s’étale sur une quinzaine de jours et se poursuit jusqu’à la fête des lanternes. Équivalent des fêtes de fin d’année en Occident, elle compte de nombreux rituels comme le fait d’accrocher des vœux sur la porte de la maison, tirer des pétards, regarder la danse des lions ou encore distribuer des enveloppes rouges (hóng bāo en mandarin). Ces dernières, porte-bonheur, renferment des dons en argent offerts à des proches lors des célébrations.  

Le calendrier chinois compte 12 signes zodiacaux reliés à un animal qui selon la légende se seraient présentés devant Bouddha. Le premier d’entre eux n’est autre que le rat, le dernier étant le cochon. 

Le 12 février 2021 sonne le glas de l’année du rat. Ce nouvel an lunaire, qui s’achèvera le 31 janvier 2022, est placé sous le signe du buffle de métal, symbole de diligence, de force et de résilience. Son renforcement par l’élément métal lui confère la chance. Cette année 2021, à l’aune du Covid, signe le passage de l’argent et du produit à l’importance de l’expérience. Le buffle étant considéré comme travailleur, l’année promet de récompenser le travail, un message optimiste après les difficultés sans précédent rencontrées par les individus en 2020. 

Un risque d’appropriation culturelle et de “Gild it Redden It” par les marques occidentales

L’histoire a prouvé que les marques, même les plus établies, pouvaient commettre des faux pas. En effet, certains design ou messages peuvent apparaître comme forcés, inappropriés voire, dans certains cas, sujets à controverse. Il suffit de se souvenir de la campagne de Dolce Gabbana perçue à sa sortie comme offensante et raciste sur les réseaux sociaux. Et ce problème d’une mésinterprétation culturelle va bien au-delà de la sphère du luxe, notamment dans le divertissement. C’est ainsi Disney, qui, avec son adaptation de l’œuvre patrimoniale majeure qu’est Mulan, avait toutes les cartes en main pour faire de ce role-model de l’abnégation et de la piété filiale confucéenne, un carton, a trouvé le moyen de rater sa cible prioritaire chinoise. 

Danse du lion lors du nouvel an lunaire
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Pour les marques, la tentation est grande de copier-coller des éléments de la culture chinoise sur des vêtements et packagings sans nécessairement comprendre les spécificités du marché. Le premier travers est sans nul doute de vouloir mettre ça et là du rouge et du doré, symbole de chance et de prospérité. Un phénomène que l’on peut définir comme le “Gild It Redden It.“, qui n’est pas sans rappeler l’autre raccourci marketing-to-women de l’industrie de la mode et des sneakers (Pink it, shrink it, autrement dit que pour féminiser un produit il suffirait de le raccourcir et de le peindre en rose). D’autres maisons préfèrent miser sur des motifs fleuris et leur naturalité, comme Dior et ses motifs de fleurs d’hibiscus. Depuis quelques années, les signes zodiacaux offrent un territoire d’expression inédit pour les marques qui parviennent à séduire des jeunes générations en quête de spiritualité et éprises d’ésotérisme. On les retrouve surtout dans le prêt-à-porter, la maroquinerie, les souliers et les accessoires. En 2020, les marques de luxe ont pu éprouvé des difficultés à utiliser une imagerie du rat contraire à leurs valeurs. Vecteur de l’épidémie de peste, le rat est aussi un animal réputé non digne de confiance. Néanmoins, en s’appuyant sur un univers plus acceptable, celui des cartoons, des marques comme Gucci ou Moschino sont arrivés à donner au signe zodiacal le moins engageant une image plus mignonne. Mais celle qui s’en est le mieux sortie est sans doute Burberry. La marque britannique avait lancé son jeu vidéo Ratberry, un jeu de plateforme qui consistait à collecter des pièces d’or et attraper des lanternes chinoises. A cela s’ajoutent des stickers sur Wechat à l’effigie de la mascotte et des produits issus de la collection capsule.

Mais si c’est une chose de peinturlurer un produit, c’en est une autre que de malmener les valeurs séculaires d’un marché. 

C’est ainsi qu’en 2020, Burberry avait choisi de diffuser une campagne réalisée par le photographe Ethan James Green, d’ordinaire habitué aux univers de Calvin Klein, Marc Jacobs encore Alexander McQueen. Toutes les générations d’une famille prenaient la pose sans sourire réunis autour de la grand-mère tandis qu’ils affichaient un teint livide.  Comme en témoigne JingDaily, Il n’avait pas fallu longtemps aux internautes pour fustiger cette dénaturation de la valeur familiale qu’est censée incarner le Nouvel An. Ceux-ci y ont vu une image horrifique voire une guerre larvée pour s’emparer de l’héritage. Cette valeur familiale écornée explique, d’ailleurs, pour partie l’accueil glacial du peuple chinois pour le film Mulan par Disney

Plus subtil, Coca Cola a développé depuis 2013, les caractères auspicieux fu sur ses canettes pour ses marchés asiatiques (notamment Singapour et la Malaisie). Chaque packaging représente une valeur chère à cette période de l’année comme la famille, la l’amour, la santé, l’éducation, le succès, l’abondance ou encore la fortune. Le tout s’inscrit dans son claim 2021 “A little taste can spark big celebration”. 

Accélération e-commerce et nécessité de différenciation

Le nouvel an est l’occasion pour les marques de démontrer leur pertinence et leur authenticité. Pourtant, s’appuyant souvent sur les mêmes ressorts ou les mêmes références visuelles, les marques peinent à se différencier. Or, avec l’accélération de l’activité e-commerce consécutive au Covid, la tâche s’annonce d’autant plus ardue. 

En Chine, le e-commerce est amené à représenter 52,1% des ventes retail en 2021, soit une hausse de +21% par rapport à l’année dernière, d’après emarketer. A titre de comparaison, l’e-commerce va représenter 15% des ventes retail aux Etats-Unis et 12,8% en Europe. 

Cadeaux et cartes de voeuxdu nouvel an lunaire
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Alors que les éléments culturels chinois repris par les marques pour le nouvel an étaient surtout les couleurs voire, comme avec Coca Cola, depuis 2013, les caractères chinois, l’année 2021 annonçait un déluge d’imageries de buffles. Les marques de luxe Gucci et Louis Vuitton sont du reste habituées à la reproduction du signe zodiacal de l’année en motifs, logo ou détail. Cette année, Burberry a choisi d’actualiser son logo sur une collection capsule évoquant ainsi un objet collector. Gucci de son côté, qui a décidé de convoquer la pop culture en grimant en buffle stylisés les personnages de manga doraemon, en les dotant de deux cornes. Moschino a recherché dans ses archives pour lancer une collection capsule de 16 pièces faisant figurer une tête de buffle façon Tex Avery allant du hoodies en passant par la coque de smartphone. De son côté, la marque américaine Tory Burch a non seulement créé un design de buffle exclusif mais aussi donné un nom “Ozzie The Ox”. 

Après avoir tenté de moderniser cette fête séculaire, certaines marques ont préféré cette année, jouer la carte de la sécurité et du réconfort en se basant sur des valeurs sûres. Il pouvait s’agir d’imagerie traditionnelle – comme le coffret cadeau en forme de lampion rouge chez la marque de C Beauty Perfect Diary – ou encore des valeurs traditionnelles comme le partage en famille, le don de soi, l’abnégation… 

L’autre moyen de se différencier est de s’adresser à une audience plus localisée. C’est ainsi que Florasis, la marque de C Beauty convoquant les images de la Chine traditionnelle à choisi de proposer des coffrets en édition spéciale, clins d’œil à une des 56 ethnies que compte le pays. 

Côté contenu, les marques se sont concentrées sur la famille, le plaisir d’être ensemble avec une touche de nostalgie. C’est le cas de Coca Cola qui a choisi le ton de la confession autour du partage des joies simples lors du nouvel an comme la famille, les amis, les rencontres et l’amour. Nike a choisi d’illustrer le rapport père/fille tandis que Pepsi et Snickers ont choisi de montrer des livreurs. En plus de sa collection capsule avec son monogramme à tête de buffle, Burberry, à travers son film de 6 minutes, A New Awakening, célèbre l’arrivée du printemps, évoquant l’optimisme et les nouveaux départs avec ses ambassadeurs locaux Zhou Dongyu et Song Weilong.  Mais aux yeux du magazine JingDaily le film le mieux réussi n’est autre que celui de Prada. Enrôlant de nombreuses personnalités issus du divertissement et de la mode, la campagne « Enter 2021 New Possibilities » est non seulement optimiste par son propos mais aussi par les valeurs qu’elle représente, celles du partage entre amis et familles. Par ailleurs, tourné au sommet de gratte-ciels, le film donne à voir une Chine résolument moderne qui a beaucoup plus aux jeunes générations sur les réseaux sociaux. 

Google Pay a décidé, à travers un jeu mobile éphémère, de capitaliser sur l’injonction à la distanciation physique et aux recommandations des autorités bancaires de privilégier l’envoi d’enveloppes rouges virtuelles. Le couteau-suisse du social media, Wechat, qui se rêve en nouvel espace publicitaire, a ainsi ouvert la fonctionnalité de ses enveloppes rouges digitales – lancées en 2019 et réservées à un usage strictement professionnel – aux particuliers. Comme le relève Glossy, des marques européennes comme Louis Vuitton, Gucci, Versace ou encore De Beers ont sauté sur l’occasion personnaliser leur enveloppe rouge digitale. L’occasion de lier leur enveloppes avec leur comptes de marque et leur mini program. Entre le 11 et le 16 février, ce sont pas moins de 30 millions de couvertures qui ont été créées. 

Si le buffle de métal incarne l’idée de la résilience, il peut à juste titre être perçu comme l’animal totem de l’industrie du luxe, secouée mais pas ébranlée par l’année passée. Une industrie qui, comme nous le confiait l’expert du luxe Eric Briones dans le cadre de la sortie de son cinquième ouvrage, a su faire preuve d’une belle résilience notamment grâce à son pouvoir de séduction inébranlable auprès de la jeunesse chinoise et par sa propension à “parler aux oreilles de Wall Street”.

L’année 2022, année du tigre, promet elle aussi de nouvelles trouvailles stylistiques et narratives. 

Un nouvel an chinois 2021 marqué par une montée des usages e-commerce
@RodnaeProductions / Pexels
A Retenir
  • Le nouvel an lunaire, qui débute le 12 février 2021 reste la fête la plus importante aux yeux du peuple chinois. Il est aussi un événement commercial de premier plan pour les marques, en particulier dans le luxe, la mode et les accessoires.
  • Cette fête est l’occasion pour les marques de témoigner de leur empathie et de leur authenticité avec leurs clients. Cela passe par des collections capsules éphémères ou encore des pop up stores.
  • Cette année placée sous le signe du buffle de métal présente une opportunité stylistique plus aisée que l’année dernière avec le rat.
  • Devant les difficultés exceptionnelles rencontrées en 2020, les marques choisissent cette année de convoquer la nostalgie et revenir aux traditions (symboles, couleurs, valeurs) en continuant de s’appuyer sur l’imagerie des animaux zodiacaux, revisités pour l’occasion.
  • Sous l’effet de la pandémie, la Chine deviendra le plus grand marché du luxe d’ici 2022 et non plus 2025. Un défi en matière de logistique et de distribution mais aussi et surtout une vraie nécessité de comprendre les désirs subtils et sophistiqués de la clientèle chinoise, a fortiori à domicile.
  • Les marques mêmes les plus établies ne sont pas à l'abri d’une polémique liée à l’appropriation culturelle. Les marques doivent donc s’interroger sur le comment incorporer des éléments de la culture chinoise avec justesse et sans condescendance