Les confinements mondiaux successifs et des mesures de restriction défavorables aux cinemas, ont profité aux abonnements pour les plateformes de streaming vidéo, véritables moyens de distraction autant qu’échappatoire face à un quotidien morose. Ainsi, la plateforme Netflix qui comptait pré-covid 158 millions de membres a conquis 26 millions de nouveaux abonnés au premier semestre 2020 (contre 28 millions pour la totalité de l’année 2019). Mais déjà se pose la question de la fidélisation de l’audience à l’heure des arbitrages budgétaires des particuliers et de la fragmentation grandissante du marché de la SVoD avec notamment la montée en puissance de Disney. Pour riposter, le leader de la SVoD prévoit de renforcer ses investissements dans ses créations originales pour atteindre 19,3 milliards de dollars en 2021.
La nouvelle est un signal positif pour la création in-house de Netflix France : Lupin, la série produite par Gaumont et revisitant la figure légendaire du “gentleman cambrioleur”, avec l’acteur Omar Sy dans le rôle-titre, est un carton d’audience, s’inscrivant directement dans le Top 10 de 90 pays, du jamais vu pour une création française. Au 10 janvier, Lupin s’inscrit ainsi devant le phénomène international The Queen’s Gambit (#4). La preuve pour la firme de Los Gatos (Californie) – arrivée en France en 2014 et qui a ouvert des locaux à Paris il y a un an – que la stratégie élaborée par le groupe de proposer des contenus adaptés aux goûts locaux s’avère payante. Et les externalités positives vont bien au-delà du simple box office. Netflix, qui avait signé un partenariat avec l’éditeur Hachette pour la réédition des aventures d’Arsène Lupin, voit ses ouvrages en tête des ventes sur Fnac.com et Amazon. Lupin marque d’ailleurs un tournant avec le premier budget d’importance en pour une série Netflix France avec près de 2 millions d’euros par épisodes selon Les Echos. Sur le sol hexagonal, Netflix pourrait devenir un partenaire de premier ordre pour le cinéma. Ainsi en 2019, le gouvernement avait annoncé vouloir forcer les producteurs de contenus à reverser 25% de leur chiffre d’affaires dans des contenus locaux.
Dans le même temps, la plateforme subit ses premiers revers de fortune avec l’effritement de son catalogue, en particulier auprès des séries cultes des années 90 et 2000, véritables madeleines de Proust pour Millennials en perte de repères. Après la série comique générationnelle Friends, sortie du catalogue de la plateforme pour rejoindre le service SVoD de Warner en 2019, c’est au tour de la sitcom produite par Universal, The Office de rejoindre la plateforme de streaming de NBC, Peacock. De leurs côtés les spectateurs français bénéficient d’un sursis – dans l’attente de l’arrivée de Peacock sur le territoire – tandis que Salto, la plateforme de France Télévision acquiert les droits de diffusion. Un départ loin d’être anecdotique tant la série américaine décrivant sur un ton sarcastique le quotidien de l’entreprise de papeterie Dunder Mifflin est devenue au fil du temps un monument de la pop culture, au point d’être la série la plus streamée de 2020 avec 57 milliards de minutes selon l’institut Nielsen, soit devant Grey’s Anatomy. La série représentait 52 milliards de minutes visionnées en 2018, soit 3% de toutes les minutes visionnées sur Netflix aux Etats-Unis selon une enquête du Wall Street Journal.
Face à ses départs précipités, l’entreprise n’a pas le choix, il lui faut investir davantage dans sa part de productions maisons et ainsi sécuriser son catalogue de séries.
Le marché de la SVoD compte de nombreux nouveaux entrants comme Disney+, Peacock (NBC Universal) HBO Max (TimeWarner) ou encore AppleTV, avec le risque de voir des pans entiers d’œuvres cinématographiques et télévisuelles quitter l’inventaire de Netflix.
Netflix prévoit d’investir 19,3 milliards de dollars dans des créations originales en 2021, d’après la banque d’investissement néerlandaise Bankr. Forte de ses succès retentissants avec Sex Education et la série The Crown – dont la 4e saison revient sur la saga de Lady Diana revisitée à la manière d’un conte de fée à la cendrillon – Netflix avait déjà annoncé à la fin de l’année dernière vouloir doubler ses investissements au Royaume-Uni pour atteindre un milliard de dollars. Le pays reste le second marché en terme d’importance derrière les Etats-Unis. La part de budget accordée aux contenus maisons qui va croissant depuis 2013, passant de 8,9 milliards en 2017 à 17,3 milliards en 2020.
Reste l’enseignement de l’enquête menée par l’institut Nielsen autour des séries les plus streamées selon lequel les créations originales de Netflix ne parviennent pas à fédérer autant que les anciennes séries TV et leur vernis nostalgique. Selon l’enquête du Wall Street Journal, la série The Office a été visionnée près de deux fois plus que Stranger Things sur une période de douze mois. Ainsi hormis quelques rares blockbusters à faire date comme The Crown ou encore Stranger Things les créations originales de la plateforme ont encore du chemin à parcourir avant de gagner ses lettres de noblesse et la pleine compréhension des attentes de l’audience.
Il se murmure déjà que pour fidéliser, la plateforme pourrait, outre l’accroissement de ses investissements, facturer davantage. C’est d’ailleurs, la seconde option qu’a choisi Disney + dont la force du catalogue côté film ne connaît pas d’équivalent (Disney, Pixar, Marvel, Star Wars). Côté série, la plateforme de streaming de la souris aux grandes oreilles possède elle aussi son blockbuster. Unique création originale à figurer dans le classement Nielsen 2020, The Mandalorian est une série basée sur l’univers étendu de la saga Star Wars dont les produits dérivés – comme ceux à l’effigie de Baby Yoda – ont été particulièrement plébiscités lors des fêtes de fin d’année.
Un netflix qui reste néanmoins une des valeurs leader de 2020 et dont le pouvoir de prescription – le placement de produit aidant – reste intact : que ce soit les ventes de marques joaillières avec The Crown et de casquettes plates avec Peaky Blinders en 2016 ou plus récemment d’échiquiers avec The Queen’s Gambit, des sneakers de Michael Jordan avec The Last Dance ou encore l’intérêt pour les silhouettes et accessoires Chanel dans Emily In Paris.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.