L’industrie de la beauté, très dépendante des points de vente retail physiques, et peu développée dans l’e-commerce, devrait voir son chiffre d’affaires reculer de 20 à 30% cette année, selon McKinsey. Face à l’adversité, le secteur a innové pour recréer, grâce au live streaming et à la réalité augmentée, une expérience similaire à un institut de beauté et ce, en toute sûreté

S’il a simplifié les routines beauté, le confinement a aussi réveillé l’importance de la composante santé. Et si green et clean beauty ont jusqu’ici phagocyté l’individualisme, la blue beauty compte bien réconcilier l’individu avec les enjeux de la planète et de ses océans. Une tendance qui se voit dans la R&D, le packaging et l’expérience client. 

Tendance Blue Beauty des formulations aux packagings

Avec la situation pandémique et le port du masque, maquillage et  parfum n’ont pas été parmi les produits les plus recherchés lors du confinement alors que les produits de soins ont été particulièrement plébiscités. Ainsi d’après le cabinet d’étude McKinsey, le soin a représenté 37% des achats beauté au mois d’avril. Le confinement aidant, les consommateurs n’ont pas tardé à adopter une approche « Skinimaliste », consistant à réduire les étapes de la routine beauté ou le nombre de produits. Une tendance vécue, en premier lieu, par les coréens avec le “skip care” en juin 2019 et qui consistait à s’extraire de la routine beauté ancestrale en 10 étapes. Ce changement de comportement n’a pas tardé à gagner d’autres parties du monde, ainsi 28% des femmes britanniques ont réduit le nombre de produits de beauté dans leurs routines de soin en 2019, selon Mintel. Le port du masque et l’anxiété des jeunes générations lié au maskne – acné mécanique lié au port du masque sur une longue durée – ont contribué à réduire l’usage de produits de beauté au quotidien et à bannir, pour une large part, le maquillage avec le mouvement « No Make Up » relayé par des artistes comme Alicia Keys. Un comportement qui pousse les marques à développer des produits tout-en-un.

Si l’avant-covid restait très marquée par une tendance “clean beauty” qui consistait en une vigilance accrue des consommateurs quant à la composition des formulations des produits de beauté appliquées sur le visage et le corps, la Blue Beauty compte bien réconcilier confort individuel et bien-être sociétal. Et la tendance est directement portée par la clientèle. Ainsi, 20% des consommateurs associent désormais la beauté à la notion de responsabilité sociale et environnementale (RSE) selon une étude Kantar. A titre de comparaison, ils n’étaient que 10% en 2010.  Un phénomène qui n’a pas échappé à la maison Hermès qui a développé plus tôt cette année sa toute première gamme de rouges à lèvres éco-responsables, inaugurant sa stratégie de diversification dans le marché des produits cosmétiques de luxe. 

La Blue Beauty peut être vue comme une extension de cette clean beauty et de la green beauty. Il s’agit donc toujours d’éliminer les composantes toxiques ou allergènes mais aussi de célébrer une beauté plus naturelle, moins transformée, mais, cette fois-ci, en œuvrant à la préservation des océans. Cette protection passe par traquer sans relâche le moindre composant plastique – jusqu’ici surtout cheval de bataille de l’industrie de la mode – afin de préserver l’écosystème marin. L’enseigne de distribution sélective du groupe LVMH, Sephora, s’engage à totalement supprimer l’utilisation de plastique vierge issu du pétrole d’ici la fin de l’année. 

C’est d’ailleurs la caractéristique de la Blue Beauty : elle irrigue la composition des formulations jusqu’au packaging. Une démarche que revendique La Bouche Rouge. Les rouges à lèvres de la maison de luxe française, commercialisés à 150 dollars, ont la particularité d’être dotés d’étuis en cuir à la fois réutilisables, rechargeables et recyclables. Pour la maison d’objet depuis 1873, qu’est Hermès, cela va encore plus loin. Ces rouges à lèvres rechargeables et faits pour durer bénéficient d’une production entièrement internalisée, une rareté dans le secteur. 

Les marques exaucent aussi le souhait des clients quant au Zéro déchet avec la cosmétique solide. La savonnette a ainsi été l’un des produits phares du confinement. Respectueux de la peau et de la planète, les savons et autres produits de beauté solides présentent l’avantage de n’avoir ni emballage ni conservateur, simplifiant au maximum la composition du produit en donnant la part belle aux ingrédients naturels. Les packagings sont responsables des déchets plastiques à la surface de la planète et dans les océans. Ainsi selon l’association britannique Zero Waste, 120 milliards d’emballages sont créés chaque année, autant d’éléments susceptibles de finir dans des décharges. A trois jours du Black Friday, événement e-commerce international majeur, 22 marques de beauté comme Lush Cosmetics, Stitch Fix et LOLLI Beauty ont rejoint le consortium Pack4good pour développer des packagings innovants afin de lutter contre l’impact du papier sur les forêts, la biodiversité et le climat. Comme le déclare Nicole Rycroft, directrice exécutive de Canopy, « Il n’est plus nécessaire d’utiliser les dernières forêts anciennes et menacées du monde pour expédier et emballer des produits de tous les jours« . 

Avec la Blue Beauty, il est aussi question d’optimiser les ressources naturelles et notamment la plus précieuse d’entre elles : l’eau“La Blue Beauty est un changement de conscience important pour l’industrie. Nous devons être réalistes quant à chaque élément de ce que nous faisons et à son impact sur les océans”, selon Tina Hedges, CEO de LOLI Beauty. C’est ainsi que la Blue Beauty pilote désormais le développement produit à travers notamment des produits waterless, autrement ne nécessitant ni ne contenant de l’eau. 

C’est le cas de la marque DS3, soutenue par l’incubateur de Procter & Gamble qui a développé un shampoing sec sans eau et qui s’adapte à tout type de cheveux. De son côté, LOLI Beauty n’utilise pas d’eau, uniquement des flacons en verre et des bouchons en plastique recyclés. 

Les investisseurs voient avec un œil admiratif la blue beauty. En témoigne la levée de fonds de plus de 3 millions de dollars par la marque La Bouche Rouge, en septembre dernier. 

Blue Beauty iceberg ocean
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Vers une expérience beauté respectueuse de la santé et de la diversité des individus

Avec la fermeture des boutiques, premier canal marketing pour bon nombre de marques, l’expérience client a migré sur les réseaux sociaux. Instagram, Tiktok et Triller sont devenus le lieu par excellence de découverte des produits et des marques. La maison La Bouche Rouge fait partie des marques de beauté qui misent sur des partenariats avec des influenceurs et communique sur Instagram avec des contenus alignés sur son ADN fait de qualité, d’héritage français et de relation avec les produits. En Chine, les vidéos liées au contenu beauté étaient les plus consommées sur la plateforme Douyin, le TikTok chinois. Ainsi en 2019, le visionnage de micro-vidéo autour de la thématique beauté a augmenté de 220%, selon un rapport Ocean Insights, cabinet d’étude relevant de ByteDance. La marque NYX Professional Cosmetics (Groupe L’Oréal) a préféré miser sur la plateforme de micro-vidéo très liée à l’univers musical, Triller. Contrairement à TikTok, cette plateforme, qui comptait en octobre 13 millions d’utilisateurs actifs mensuels, est spécialisée dans la conception de clips musicaux et s’adresse à une audience de 16 à 25 ans. Lorsque le festival Coachella fut annulé, NYX organisa en avril un festival virtuel de musique avec des performances de Jessie Reyez, Kim Petras et Princess Nokia. 

Durant le confinement, de nombreuses marques ont développé des outils virtuels pour essayer leurs produits dans le confort du domicile et ont tenté de recréer l’institut de beauté dans un monde virtuel et sur le distanciel. Expérience riche, les applications mobiles dédiées ont offert une large variété de teintes et de colorations pour servir d’aide à la décision et à la découverte de produits et de marques. La période signe le développement de la dimension de conseils et de services. C’est ainsi que Make Up Forever a lancé avec les équipes tech de Perfect Corp le Shade Finder, une application d’essayage virtuel de fond de teint capable de différencier jusqu’à 90 000 tonalités de peaux. La cliente n’a qu’à scanner son visage sur son ordinateur ou son mobile et grâce à un algorithme entraîné à l’intelligence artificielle se voit recommandée la teinte optimale parmi la cinquantaine de produit Make Up Forever Ultra HD Foundation. Des outils de virtual try on qui ont le vent en poupe. Ulta Beauty qui avait racheté GlamSt en 2018 pour perfectionner son application développée deux ans plus tôt a vu son usage multiplié par quatre. Entre mars et avril ce sont plus de 13 millions de teintes qui ont été virtuellement essayées, selon Prama Bhatt, Chief Digital Officer. Dernière incursion en date dans le domaine de la réalité augmentée (AR), le groupe L’Oréal vient de lancer Signature Faces, le premier maquillage beauté virtuel à destination des outils de visioconférence de type Zoom ou Google Meet. Les 10 filtres beauté en réalité augmentée, réalisés avec l’agence créative Virtue sont utilisables sur ordinateur via l’application Snapcam, tandis que sur mobile l’internaute doit se rendre sur le compte officiel du groupe sur Instagram ou Snapchat. 

 Or, tôt ou tard il faudra reprendre le chemin des boutiques et les marques et enseignes cherchent le moyen de faire revenir la clientèle en magasin en adaptant le parcours client de manière à limiter le contact physique avec les produits. Alors que les marques devraient insuffler davantage de générosité et d’attention dans leurs offres et messages en 2021, MAC Cosmetics a inauguré son second innovation lab à New York après celui de Shanghai. Dans ce temple de l’hyperpersonnalisation, la marque de beauté multiplie les dispositifs ludiques sans contact recourant à la réalité augmentée. Ce sont ainsi 16 miroirs virtuels qui permettent à la cliente de se projeter sans avoir à manipuler des ustensiles de maquillage. Pour lui délivrer le produit qui lui ressemble, la cliente est aussi mise à contribution puisqu’elle peut même créer sa propre palette de couleurs parmi un choix inédit d’une centaine de nuances d’ombres à paupières. Si l’éclairage se sophistique dans les ventes en live streaming, le magasin propose un système d’écran infrarouge permettant de détecter en temps réel la carnation de la cliente et lui proposer une offre adaptée. Alternatives idéales aux testeurs physiques, les applications d’essayage virtuel comme Glamlab de Ulta Beauty seront amenées à devenir le compagnon idéal de la cliente à domicile comme en magasin afin de découvrir le produit fait pour elle. L’application recense aujourd’hui plus de 4000 produits, une offre qui devrait doubler voir tripler dans les prochains mois. 

Cette adaptation du parcours client passe par une signalétique et un étiquetage qui ne laisse aucun doute quant à la composition naturelle et engagée du produit. Une démarche que l’on retrouve chez Sephora qui a choisi de segmenter une offre de 1000 produits de beauté selon 4 profils consommateur à travers les mentions Good For You (90% ingrédients naturels), Good For A Better Planet (packaging éco-conçu ou matière durable), Good For Vegan (aucune origine animale) et Good For Recycling (recyclable). Engagée dans le développement durable, Sephora  collecte les flacons de parfums vides les emballages de produits de soin et de maquillage pour les recycler et/ou les valoriser

L’avenir de la beauté passera par davantage de diversité et pas que dans le casting des campagnes de communication ou dans les instances dirigeantes mais aussi dès le développement produit. CB Insights n’hésite pas à parler d’une ère post-Fenty, du nom de la gamme de produits de beauté inclusive lancée par la chanteuse Rihanna en 2017 avant d’ériger une marque de luxe globale sous l’égide du groupe LVMH. Avec ses vingtaines de teintes (aujourd’hui plus d’une quarantaine), l’entrepreneuse originaire de la Barbane venait de créer une approche disruptive de la beauté compatible avec toutes les carnations et ethnies, que le consommateur soit noir ou albinos. Depuis, toutes les grandes marques ont étendu leurs gammes de produits et CB Insights relève l’apparition de nouvelles marques de beauté que l’on pourrait qualifier de “inclusivity native” comme : Mented Cosmetics, Urban Skin Rx ou encore Live Tinted. Le cabinet invite les marques à ne pas confondre audience de niche et audience « non ou mal desservie »

virtual try on beauté mobile
@skyNext / istock

Innovation et data au service d’une meilleure compréhension du client

De nombreux professionnels en conviennent, l’enjeu de la beauté de demain sera la personnalisation de l’expérience, comme en témoigne le rachat de MemoMi par le groupe L’Oréal en 2018. Or, pour beaucoup de professionnels de la beauté, la route est longue avant de véritablement connaître ses clients. Les marques ont beau disposer d’un grand volume de données, celles-ci s’avèrent complexes à analyser et à traduire en insight fort directement activable. Il y a bien sûr la collecte de données grâce à l’e-commerce qui est plus riche d’enseignement qu’une visite en boutique, surtout si le client n’est pas inscrit dans le fichier client. En effet, sorti du monde virtuel, la donnée est rarement harmonisée et consolidée, une difficulté qui concerne toutes les industries multi-sites pas seulement la beauté ou le luxe. L’enjeu pour des marques disposant d’implantations à l’international et accueillant une clientèle cosmopolite reste d’identifier le client dans n’importe quel point de vente selon une logique omnicanale. Le premier baromètre de l’agence MAD Network, montre que plus de 50% des décideurs éprouvent une inquiétude quant à la création de valeur à partir de la data. Or, avec l’arrêt des flux transfrontaliers et aériens, les clients risquent de consommer quasi-exclusivement sur leur marché domestique. D’où la nécessité de courtiser la clientèle locale. C’est dans cette optique que MAC Cosmetics vient d’ouvrir son second innovation store dans le quartier du Queens à New York. 

Un mouvement s’enclenche donc pour se rapprocher au plus près de ses clients à travers outre l’ouverture de points de ventes, l’inauguration de laboratoires. Nouveau vivier d’innovations, la Chine n’échappe pas à ce mouvement de fond, alors que les marques de beauté doivent s’attendre à une dépendance accrue au marché chinois. Le groupe Clarins, pour qui la Chine représente son premier marché, vient d’ouvrir un laboratoire afin de mieux comprendre les besoins des femmes chinoises.  Le laboratoire devrait servir à observer les avancées liées à la science, à la technologie, aux sciences humaines et à la biologie sur le marché local. C’est aussi l’occasion de mener des tests produits et d’analyser les réactions cutanées. Le groupe Clarins souhaite s’appuyer sur la médecine chinoise – art ancestral très tourné autour de l’herboristerie – pour développer ses produits. 

Mais pour comprendre plus intensément les attentes des consommateurs, la mise en commun des stocks ou des collaborations avec des entreprises tech voire des distributeurs peuvent aider. C’est ainsi que Sephora compte étendre sa distribution à plus de 200 points de vente Khol’s d’ici 2021, alors que le marché américain s’est montré plus résilient que prévu initialement. Un partenariat qui aura pour but de développer une collaboration pour des pop up stores et faire du site e-commerce de Khol’s, un partenaire beauté exclusif. Ulta Beauty a d’ailleurs annoncé plus tôt cette année vouloir ouvrir une centaine de shops-in-shops au sein des points de vente Target. 

 

A la lumière du COVID, les marques doivent prendre en compte la redéfinition de la beauté à l’aune du Covid avec une dimension plus holistique incluant les notions de santé et de bien-être. Une ambition qui passera par une philosophie Blue Beauty dès la production jusqu’à l’emballage et une ère post-fenty accessible et favorable à la diversité même sur le distanciel. Enfin la technologie et des partenariats stratégiques permettront de mieux percer à jour les profils clients et délivrer de la valeur

Data blue beauty
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A Retenir
  • L’industrie de la beauté qui en 2019 valait 532 milliards de dollars devrait voir ses résultats se contracter de -20 à -30% sur l’année 2020 suite à la pandémie selon le cabinet McKinsey. Un marché désormais dominé par le soin alors que les ventes de rouges à lèvres et de maquillage reculent avec le port du masque. La beauté prend une tournure holistique incluant santé et bien-être.
  • Le Covid donne lieu à une extension de la tendance clean beauty et green beauty à travers la blue beauty. Le concept fait toujours la part belle aux ingrédients naturels et non toxiques tout en s’engageant en faveur de la protection des océans. Un combat anti-plastique et récusant l’utilisation d’eau, qui se vérifie auprès des marques de la formulation en laboratoire à la conception du packaging. Les évènements extérieurs étant réduits à peau de chagrin, les rituels beauté sont raccourcis donnant naissance à une tendance skinimaliste. Cette tendance donne lieu à des produits tout-en-un.
  • Dans la beauté, la boutique a été le premier canal marketing. Mais à l’heure de l’hyperpersonnalisation, la collecte intelligente de données devient cruciale. C’est ainsi que la vente e-commerce et social commerce prend du galon tandis que les applications mobile de type virtual try on suivent les clientes de leur domicile jusqu’en boutique.
  • La boutique se réinvente en donnant la part belle aux dispositifs sans contact s’appuyant sur l’intelligence artificielle et la réalité augmentée et insistant sur la dimension conseil, lui aussi personnalisé. L’idée est d'accélérer et de sécuriser le parcours client en magasin grâce à un étiquetage et une signalétique claire.