Si de nombreuses maisons de luxe établies ont vu leurs résultats fortement dévisser avec la pandémie à cause de l’arrêt des voyages intercontinentaux, le groupe de luxe indépendant Hermès et son style intemporel a su sortir gagnant de la situation, accusant une chute de ses ventes de seulement -42% au second semestre, en plein cœur de la pandémie.
Son secret ? Une stricte maîtrise de ses réseaux logistiques et de son image mais aussi une forte empreinte retail en Chine continentale.
Pleinement engagée dans la préservation des savoir-faire et de l’économie circulaire, cette figure tutélaire du luxe made in France souhaite poursuivre son expansion digitale et accroître son pouvoir de désirabilité en Asie et au Moyen-Orient.
Une embellie progressive des ventes grâce à l’Asie
Hermès, messager des dieux et dieu des voyageurs et des commerçants, a porté chance à la maison de luxe éponyme française, à l’heure de la démobilité. L’Asie est son 1er marché et assure 38% des ventes du groupe. Son célèbre logo montre une calèche tirée par un cheval. Le cheval, animal fétiche de la maison Hermès et évocation de son cœur de métier historique, la sellerie, est en Chine, symbole de réussite, de vitesse et de persévérance. Les chinois la connaissent sous le nom de 爱马仕 (Ài mǎ shì – “les amoureux des chevaux”).
Présent dans 45 pays à travers 311 boutiques, Hermès réalise un chiffre d’affaires de 1,8 milliard d’euros dans le monde sur le troisième trimestre 2020. Des résultats en hausse de +7% par rapport au même trimestre de l’année précédente. Avec une croissance de +25,2% en données publiées l’Asie-Pacifique (hors japon) tire les résultats du groupe vers le haut. Sur cette zone, Hermès a rencontré une « performance remarquable de la Chine continentale, de la Corée, de l’Australie et de la Thaïlande » ainsi qu’une amélioration notable au Japon (+8,1%). L’année dernière, c’est d’Asie qu’était aussi venu la croissance d’Hermès avec un bond de ses ventes de +18%, bien devant les Etats-Unis (+12%).
L’importance de l’empreinte retail de Hermès dans la région, est inédite dans le secteur (43 boutiques physiques dont 26 en Chine). Le groupe possède notamment 7 boutiques Shang Xia, une marque interculturelle chinoise fondée il y a dix ans de cela.
Frappé en février comme les autres marques avec la fermeture de 11 de ses points de vente, le redémarrage de la vie économique dans l’Empire du Milieu s’est enclenché dès le mois de mars et avec elle la réouverture progressive de ses boutiques. Une situation qui a permis aux résultats d’Hermès de faire meilleure figure, lors du premier et du second trimestre, que la plupart des autres maisons du luxe, peu implantées dans le pays. Le second trimestre s’avère le plus touché, pénalisé par la fermeture de ses magasins et sites de production dans le monde.
Le groupe a connu une situation d’”amélioration progressive” amorcée en juin.
Au troisième trimestre, le groupe de luxe se retrouve sous de meilleurs auspices avec une croissance de ses ventes de +7% à taux de change constant. Des résultats encourageants portés par une activité retail dynamique en chine – avec des ventes en boutique en hausse de +12% par rapport au trimestre précédent et “une très forte croissance sur l’e-commerce.” Le marché américain subit la chute la plus vertigineuse à -41,7% suivi par l’Europe qui voit ses ventes dévisser de -36,9%.
Intemporalité, exclusivité et RSE : triumvirat du luxe face aux tempêtes
Universelle, la maison du Faubourg Saint Honoré parle tout aussi bien aux parisiens, aux japonais mais aussi aux chinois. Son raffinement, sa poésie et son artisanat autant que son statut d’entreprise indépendante et familiale, fidèle à ses racines, lui donne une place à part dans le cœur de ses clients et ce depuis 1837.
Une force alors que le cabinet Bain & Co prévoit dans son étude, une polarisation accrue des acteurs du luxe favorisant les marques fortes.
Signe d’une désirabilité intacte, les prix des sacs à main iconiques Birkin et Kelly connaissent une véritable envolée sur le marché du luxe de seconde main. Dans son rapport Clair, la plateforme Rebag désigne ainsi la maison comme “licorne” avec un prix à la revente de 8000 dollars, qui surpasse toutes les autres marques. Avec la crise, le luxe redevient valeur d’investissement plutôt que de transmission et qui favorise les pièces aux design intemporel, comme le rappèle un rapport du BCG. Or, alors que les voyages immobiles deviennent la norme et qu’un rapatriement des dépenses touristiques s’opèrent sur le marché domestique, la marque bénéficie de la loyauté indéfectible de sa clientèle locale. Une force dans un secteur qui jusqu’ici bien (trop) souvent privilégiait la seule clientèle asiatique. Dans l’Empire du milieu, Shang Xia, sa maison de luxe tournée autour de l’art de vivre et de l’artisanat chinois est parvenue, depuis 3 ans, à fidéliser plusieurs générations de clients (entre 25 et plus de 45 ans). Le groupe est parvenu avec Shang Xia a réveiller la fierté nationale qui sommeillait en chacun de ses habitants. Un exploit rendu possible par la constitution méticuleuse d’un important réseau d’artisants capables d’offrir à la clientèle « une garantie d’excellence », comme en témoigne l’ancien directeur du groupe Hermès, Parick Thomas dans les Echos. Fort de sa popularité croissante sur le territoire, le groupe prévoit l’ouverture de 3 nouvelles boutiques Shang Xia à : Beijing, Chengdu et Hangzhou. Puis se sera au tour de Singapour et Taïwan en 2021.
La maison du Faubourg Saint Honoré a aussi une autre force qui explique en grande partie sa résilience face à la crise : une maîtrise totale de ses réseaux supply chain. Elle le doit à une stratégie d’intégration verticale où elle avait internalisé ses principaux fournisseurs, à la fois pour contrôler l’ensemble de la chaîne de valeur mais aussi pour préserver des savoir-faire rares.
Avec 80% de sa production assurée en France, la chaîne d’approvisionnement de Hermes s’avère moins globalisée que les autres acteurs du luxe. L’Italie, zone de production, plébiscité par les marques de luxe pour leur artisanat lié au travail du cuir et du textile, ne représente qu’une infime partie de sa production concerne l’Italie, durement touchée par la crise. Le sellier encourage la production locale à l’aide de 43 manufactures implantées en France (sur 55). La responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE) figure d’ailleurs parmi les 3 sujets majeurs de l’année 2020 selon Axel Dumas, gérant de la maison Hermès. L’entreprise familiale a fait figure de pionnier de l’économie circulaire dans le luxe avec son atelier Petit h, véritable laboratoire de la maison, qui conçoit des objets surcyclés à partir des chutes de cuirs. Cette question d’extension de la longévité du produit se retrouve à travers le lancement cette année dans 35 pays de sa collection Rouge Hermès constitué de rouges à lèvres rechargeables. Une collection hommage à la couleur, véritable signature d’Hermès que l’on retrouve à travers ses carrés de soie ou ses cuirs. Il s’agit d’une collection de 24 teintes en éditions limitées et composées d’ingrédients naturels dont le packaging a été confié au fabricant français Reboul spécialisé dans les étuis à rouge à lèvres.
Cela s’accompagne aussi d’une image d’exclusivité qui va de paire avec son statut d’éminent représentant du luxe Ainsi, Hermès entretient la rareté quitte à allonger les délais d’attente de ses livraisons en magasin, ce qui a pour effet de ne pas mettre sous pression ses appareils de production. La maison ne verse pas non plus dans des stratégies de ventes off-price destructrices de valeur.
L’omnicanalité, solution vers une plus grande accessibilité
La crise a confirmé dans le secteur du retail le caractère primordial de l’omnicanalité, autrement dit de proposer des points de contact physiques et digitaux. En Asie et en particulier en Chine, cette règle s’applique encore davantage tant les deux modèles de distribution physiques et virtuels se complètent et sont fortement ancrés dans le quotidien. Or, le 19e observatoire d’Alta Gamma révélé en mai affirmait déjà que l’Asie était la zone où l’activité du luxe s’avèrait la moins touchée.
A en juger par les derniers mouvements à l’œuvre, le groupe souhaite accroître son accessibilité aussi bien en termes de distribution, en développant son e-commerce en Asie et au Moyen-Orient, qu’en termes de pricing en mettant sur pied une gamme complète de parfums et cosmétiques. De quoi bénéficier de nouveaux points d’entrée pour séduire une clientèle jeune et ultra-connectée. Les ventes de certains de ses produits accessibles (foulards et ceintures) ont très bien marchés en plein confinement sur les sites de live commerce chinois.
Une fois n’est pas coutume, le groupe préférant d’ordinaire le cadre feutré d’une expérience in-store, se renforce sur le e-commerce, avec pour le troisième trimestre, “une forte augmentation du trafic et des taux de conversion”. Un e-commerce “en forte croissance”, dynamisé par la nouvelle plateforme digitale déployée plus tôt cette année à Hong-Kong, Macao et en Corée du sud.Au point de considérer l’e-commerce comme “le premier magasin du groupe” selon son directeur financier, Eric du Halgouët. Une prouesse, alors que lors de l’ouverture de sa plateforme e-commerce en Chine en 2018, ce canal était le « quatrième magasin » du groupe.
Hermès avait investi de longue date pour développer sa présence e-commerce. De son premier site e-commerce américain en 2002 à sa refonte complète en 2018 mêlant commerce et contenu, l’aspect storytelling et culturel a toujours été au coeur de ses contenus. Le groupe n’a eu de cesse d’enrichir son offre e-commerce, avec Les Ailes d’Hermes en 2007 et la maison des carrés en 2014.
A l’aune de la crise sanitaire et de l’arrêt des voyages intercontinentaux, le groupe, très implanté en Asie, a jeté son dévolu sur d’autres relais de croissance potentiels, au Moyen Orient cette fois. D’un côté, Hermès poursuit son développement aux Emirats et de l’autre marque son entrée sur le marché du royaume d’Arabie Saoudite. Pour toucher ce marché qui s’ouvre petit-à-petit au commerce international, le groupe a développé un flagship virtuel. Le site permet de visionner l’ensemble des collections mais aussi d’avoir accès un contenu éditorial de haute volée, constitué de films, photos ou articles. Ici les objets, les mains, les artistes, les savoir-faire se racontent. La maison n’oublie pas d’y faire figurer des preuves de l’empreinte positive de ses 16 métiers artisanaux sur le monde, notamment à travers la collection de films Empreintes sur le monde, réalisée par Frédéric Laffont. Le digital, au travers du contenu narratif est un domaine que connaît bien la maison.
Alors que le confinement avait fait rentrer les marques au domicile de leurs clients, la maison a innové en proposant, en pleine Fashion Week virtuelle de Paris, un film en temps réel du défilé homme PE 2021, en présence de sa directrice artistique, Véronique Nichanian mais vue “des coulisses”. Façon nouvelle vague, un travelling caméra non linéaire prend le temps d’explorer les détails et les textures de la collection tout en mettant en lumière aussi bien les mannequins, que les équipes techniques. Cette performance aux allures de répétition générale est l’œuvre du metteur en scène de théâtre Cyril Teste. Une expérience immersive au cœur d’une équipe de tournage doublée d’une prestation créative.
Voici autant de preuves que le groupe Hermès a, de longue date, compris, à l’instar du dernier rapport de Bain & Co, que l’avenir du luxe se situe vers une plateforme de créativité qui transcende le seul produit.
- Le groupe Hermès connaît une embellie de son activité avec une accélération remarquée cet été. Si l’Asie est le premier marché d’Hermès avec 38% des ventes, le particularisme du groupe tient dans le nombre important de boutiques implantées en Chine. Une force dans une région ultra-connectée mais qui sourit aux stratégies omnicanales. Présente dans 45 pays, Hermès dispose aussi d’une clientèle locale très fidèle.
- Au troisième trimestre, la zone APAC connaît une croissance de +25,2% qui tire les résultats du groupe vers le haut, avec des résultats au global en hausse de +7% par rapport au même trimestre de l’année précédente.
- La concentration et la proximité de l’essentiel de ses sites de production en France (80%), lui ont évité des ruptures sur ses réseaux supply chain. Une stratégie avant-gardiste qui pourrait inspirer de nombreuses autres maisons.
- La maison du Faubourg Saint Honoré qui comptait essentiellement sur la relation client et le cérémonial de vente en boutique pour délivrer une expérience optimale, monte en puissance dans l’e-commerce. Ce dernier est même devenu la première boutique du groupe.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.