Alors qu’une nouvelle vague pandémique s’abat sur l’Europe et les Etats-Unis, toute la filière du cinéma se retrouve sous la menace d’une nouvelle fermeture des salles. Après avoir déployé des mesures d’hygiène et de prévention pour inciter les spectateurs à revenir en salles, la résistance des exploitants s’organise face à un box office mondial chamboulé et très dépendant des superproductions d’Hollywood. Ajoutez à cela le statut d’ « activité non-essentielle », d’“espace confiné” et un port du masque obligatoire tout le long de la séance et vous comprenez pourquoi le cinéma est aussi durement impacté par la crise. Entre projections privées pour le grand public, digitalisation de l’offre de films ou séances en espaces découverts, des solutions se font peu à peu jour. Face au marasme occidental qui frappe violemment la Grande Bretagne et par extension les films Bollywood, la Chine bat pour la première fois le box office américain tandis que le Japon enregistre un nombre d’entrées records sur son sol.
Le coup de théâtre : quand les blockbusters s’éclipsent et que le virus s’en mêle
Le cinéma en a déjà vu d’autres : l’avènement du parlant, la concurrence de la télévision, la censure, des conflits mondiaux, l’obligation soudaine des studios aux Etats-Unis de vendre leurs salles et donc de perdre une audience acquise ou plus récemment, la grève des scénaristes ou encore les investissements massifs dans les technologie 3D et HD. Avec le virus du COVID-19 c’est une toute autre histoire qui se déroule sous les yeux médusés de la profession. Toute région confondue, les professionnels ont dûs intégrer de nouvelles mesures sanitaires (port du masque obligatoire, jauge à 50%, distanciation…) En France, des messages de prévention étaient diffusés avant la séance. En Inde, depuis le déconfinement des salles à mi-octobre, pile pour les fêtes hindous de Diwali, c’est désinfection des mains, prises de température, distanciation à 2 m et capacité réduite à 50%. Cette réouverture tardive a engendré une perte de 1,5 milliards de dollars pour les studios Bollywood.
Wonder Woman 1984, Kingsman: Première mission, Mort sur le nil, Dune… Depuis la rentrée c’est le même scénario qui se reproduit : Les exploitants de salles doivent faire face à des reports en cascade de la part des principaux studios américains. Préférant éviter un mauvais démarrage commercial tout comme le risque de piratage, nombres de studios préfèrent miser sur une sortie mondiale en 2021. C’est ainsi le cas de Black Widow de Disney ou encore le remake de la comédie musicale West Side Story par Steven Spielberg. Or, cette décision des studios a pour effet de saturer l’année 2021 en blockbusters, fragilisant les films d’auteurs locaux, déjà malmenés par la SVOD des Netflix et consorts. Disney a décidé de repousser d’un an l’ensemble des films des sagas Star Wars et Avatar initialement prévus sur la période 2021-2027.
Ultime coup de grâce, le nouvel épisode de la franchise James Bond : Mourir peut attendre – ultime volet avec Daniel Craig dans le rôle titre – a vu sa sortie mondiale une nouvelle fois reportée mais cette fois-ci à avril 2021. Un camouflet pour des exploitants de salles qui espéraient faire du retour de l’agent secret au service de sa majesté, dans cette superproduction à 250 millions de dollars, la locomotive tant attendue. Le dernier James Bond en date, Skyfall, au budget similaire, avait rapporté 1.109 milliard de dollars. Face à ce énième report, Cinéworld, plus grande chaîne de cinémas du Royaume-Uni, seconde plus grand réseau mondial de salles et propriétaire de Regal Cinema et Picturehouse, a préféré fermer temporairement ses sites. Cela représente 127 cinémas au Royaume-Uni, 526 Regal Cinema sur le sol américain et 123 salles en Europe de l’Est et en Israël. Autre conséquence : la chaîne, diffusant la moitié des films de Bollywood en Grande Bretagne, le marché indien risque de voir sa part de marché internationale en pâtir. Chaque année cette industrie du film de Bangalore aux 2,8 milliards de dollars, produit plus de 2000 films mêlant danse, chant et mise en scène spectaculaire (nombre impressionnants de figurants) afin de fédérer une nation complexe de 1,4 milliards d’individus.
Pré-Covid en France, la fréquentation des salles était en recul de 21,3% au mois de janvier par rapport à la même période l’année dernière, d’après les chiffres du CNC. Janvier 2019 avait ainsi été le mois de janvier le plus important de la décennie avec des films comme Aquaman, Creed II ou encore Astérix et la potion magique. Cette année-là, 213 millions de tickets avaient été vendus, soit la deuxième meilleure performance depuis 1966, largement aidés par les productions américaines dont les studios Disney. La part de marché du cinéma français était en recul (35%) contre 45% dans les années 1980. Dans le même temps, la fréquentation des films américains était en hausse de 32,7% à 117,76 millions d’entrées.
L’assèchement des productions américaines a ceci dit offert une exposition inégalée au cinéma français avec une durée d’exploitation étendue. Ce faisant, les films hexagonaux “Antoinette dans les Cévennes” de Caroline Vignal ou encore “Adieu les cons” d’Albert Dupontel bénéficient d’une traction supplémentaire inespérée. L’annulation de James Bond a ainsi libéré pas moins de 700 écrans pour son créneau initial du 11 novembre. Ce faisant sur la période juillet-août, le CNC constate 13% d’entrées supérieures par rapport à l’année dernière. Sur le mois de septembre, le cinéma hexagonal, l’un des principaux marchés d’Europe, pouvait se targuer de 5,5 millions d’entrées et d’une part de marché “historique” de 56%. Situation exceptionnelle alors que l’importance des blockbusters de langue anglaise va croissant. La situation reste bien moins rose pour les exploitants contraints de trouver de nouveaux leviers de croissance, en particulier en région parisienne, région particulièrement friandes des films made in USA. En moyenne, les exploitants de salles français réalisent un chiffre d’affaires annuel de 1,4 milliard d’euros. Avec le confinement et la faible reprise de juin, la perte estimée pour l’année 2020 est évaluée à 750 millions d’euros.
Dans le même temps, l’Asie qui semble plus épargné donne à voir une note plus optimiste. Selon les sociétés de tracking Maoyan et Mojo, le box office chinois de 2 milliards de dollars supplante pour la première fois le box office américain à 1,94 milliards de dollars. Spécificité du marché chinois, dont les salles ont rouvert dès juillet à 50% de leur capacité, 80% du box office provient de films domestiques. Cette année, le blockbuster “My People, My Homeland” a réalisé un chiffre d’affaires de 19,1 millions de dollars le weekend dernier et le drame au budget de 80 millions de dollars “The Eight Hundred” sur la résistance du Kuomintang à Shanghai lors de l’invasion japonaise a déjà rapporté 460 millions de dollars. Mais le film international qui rapporte la timbale sur ce marché n’est autre que Bad Boys For Life de Sony, engrangeant 426.5 millions de dollars. En 2019, Avengers : End Game avait fait un carton. Il est du reste le film qui a rapporté le plus et le meilleur démarrage de l’histoire du cinéma américain. Depuis sa sortie, la suite de l’aventure des superhéros a rapporté à l’échelle mondiale 2, 797 milliards de dollars, plus fort qu’Avatar et Titanic. De son côté, au Japon, l’anime “Demon Slayer” enregistre des audiences records, détrônant “Spirited Aways” alors que les spectateurs se sentent en sécurité. Le weekend de sa sortie le film a engrangé 44 millions de dollars, surpassant les 3 premiers jours d’exploitation de la Reine des neiges 2… de Disney qui avait tout de même rapporté l’année dernière 30 millions de dollars.
Pour sauver les meubles devant une production rendu à l’état de “stop motion”, les exploitants ont eu l’idée cet été de ressortir d’anciens blockbusters et autres films familiaux.Les bobines de certains films cultes sont ressortis en salles pour le plus grand bonheur des cinéphiles, des nostalgiques et des jeunes générations désireuses de revivre une époque qu’elles n’ont elles-mêmes pas connues. Pour sa réouverture, le Grand Rex, salle mythique parisienne a projeté Gladiator puis programmé des soirées spéciales Blade Runner ou encore Terminator. C’est ainsi que 27 ans après sa sortie, Jurassic Park de Steven Spielberg truste à nouveau le box office américain. Sorti en 1993, ce film sur les dangers de la science, véritable mise en abyme du film à grand spectacle hollywoodien et jalon majeur dans l’histoire des effets spéciaux, le film avait fait plus fort qu’E:T rapportant 357 millions de dollars à sa sortie outre-atlantique et 914 millions de dollars dans le monde. Depuis sa sortie, le film a rapporté 837 millions de dollars. Cet été, il a rapporté 517 642 dollars dans 230 salles, principalement des drive-ins, des cinémas de plein air où l’on vient avec sa voiture. D’autres films de Steven Spielberg ont renoué avec le box office US lors de l’après confinement comme les Dents de la mer (2e) , E:T (8e) et les Goonies (10e). Pour son 25e anniversaire, Retour vers le futur de Robert Zemeckis est arrivé à la 6e place.
L’idée lumineuse : le cinéma pour soi plutôt que chez soi
“Rech. proj. pour proj. priv.” Afin de rassurer les spectateurs et leur proposer de visionner le film qui leur fait envie en dehors de leur salon et les mettre hors de portée des géants de la SVOD, certains exploitants ont peut-être trouvé la parade : louer une salle de cinéma aux particuliers pour qu’ils organisent leur propre projection privée en compagnie de leurs amis. Aux Etats-Unis, les groupes AMC, Cinemark et Alamo Drafthouse ont adopté le concept. Aux clients de remplir un formulaire sur internet pour choisir le lieu, la date et l’horaire, voire le film pour un prix compris entre 99 dollars et 150 dollars, le prix pouvant varier en fonction de l’ancienneté du film. Chez AMC, la plus grande chaîne de cinéma américaine, une séance avec un film récent coûte entre 149 dollars et 349 dollars. Chez Alamo, le locataire doit s’engager, en plus du tarif de location de commander pour 160 dollars de nourritures. Derrière ces tarifs a priori prohibitifs se trouve la possibilité, comme pour un abonnement netflix partagé, de répartir le coût de la location entre 10 à 30 participants. L’idée reste d’éviter aux spectateurs de partager la salle avec des inconnus.
En France, certains cinémas dont le Studio Galande – l’unique salle parisienne où il est possible de visionner et de vivre – le Rocky Horror Pictures Show tous les weekends depuis 1978 – ont fait équipe avec la startup Cociné. Cette jeune pousse propose aux cinéphiles de revoir leurs films préférés sur grand écran, qu’il s’agisse d’un film culte, d’un film moderne ou d’un film qu’ils n’ont pas pu voir en salle. Le spectateur n’a qu’à rejoindre une séance existante ou créer la sienne. A charge pour l’intéressé d’en parler au maximum autour de lui. Si la jauge minimale exigé par la salle est atteinte la séance a lieu. Disposant d’un catalogue très fourni de plus de 550 films (auteur, blockbusters, animations), l’exploitant n’a qu’à demander les droits de diffusion et le fichier pour une projection, tout en ayant l’assurance de ne pas ouvrir une séance à perte.
Aux Etats-Unis comme en France, l’idée reste la même, garantir confort, sécurité et expérience personnalisée.
L’alternative : quand la VOD prends des airs de première
Face à un risque, bien réel, de reconfinement des spectateurs, les studios misent sur la VOD et la SVOD comme nouveaux canaux distribution offrant ainsi proximité, sécurité et choix.
Disney a pris de court la profession en annonçant le retrait pur et simple de ses productions des salles obscures. C’est ainsi que Soul, nouveau film d’animation des studio Pixar, très attendu pour Noël, sortira exclusivement sur la plateforme de streaming Disney +. De son côté, le film en live action Mulan après le plus mauvais démarrage d’une production Disney dans le box office chinois, pourrait bien connaître le même sort. En Inde, lors du confinement en mars et la fermeture de 10 000 salles, les réalisateurs locaux ne se sont pas fait priés et ont immédiatement fait migré leurs dernières productions sur des plateformes comme Netflix et Amazon Prime. La Metro Goldwyn Mayer (MGM) a eu moins de chance, selon Bloomberg. Détenteur des droits de la franchise James Bond, le studio au lion rugissant n’est pas parvenu à obtenir les 600 millions de dollars de droits de diffusion exclusive sur un an sur les plateformes SVOD Apple + ou Disney + et amortir ainsi son budget pharaonique. A cause du confinement, le studio aurait déjà perdu entre 30 et 50 millions de dollars.
Principal financeur du cinéma hexagonal, Canal +, vient de lancer Canal Plus Première, nouvelle case visant à promouvoir une fois par mois un film en avant-première et donc jamais sorti. L’initiative a débuté le 23 octobre avec le film familial Le Jardin Secret avec Colin Firth et agrémenté d’une interview toute aussi exclusive par Laurent Weil. En parallèle, la chaîne payante s’est engagée à soutenir la distribution des œuvres cinématographiques en France via une enveloppe de 2 millions d’euros par an jusqu’en 2022.
En France toujours, les acteurs de la VOD à l’acte bénéficient de l’assouplissement de la chronologie des média en France : en temps normal un film ne peut pas sortir en VOD avant un délai de 4 mois après sa sortie en salles (sauf exception de film ayant choisi une sortie en Direct to VOD). En revanche, les acteurs de la SVOD comme Netflix et Amazon restent soumis à la réglementation en vigueur qui impose un délai de 36 mois après la sortie d’un film. Netflix, qui jusqu’à présent était mal-pourvu en films de répertoire a signé cette année un partenariat avec MK2 Films, distributeur et détenteur d’un catalogue de plus de 600 films. Les français confinés ont pu ainsi découvrir 12 des films de François Truffaut dont la saga Antoine Doinel. Alors que d’autres rétrospectives devraient voir le jour, la plateforme marche ainsi sur les plate-bandes de Arte, MUBI ou encore la Cinetek. Face au titan du contenu, les groupes audiovisuels français TF1, France Télévision et M6 se sont unies pour bâtir une plateforme de SVOD faisant la part belle aux productions françaises et européennes : Salto.
- La crise révèle la très grande dépendance et l'importance croissante des blockbusters américains, en particulier en Europe. Avengers : End Game reste le plus grand succès au box office mondial. Toutefois, pour la première fois, la Chine se rend maîtresse du box office, récupérant la place des Etats-Unis, plombé par la maitrise tardive de la première vague et le confinement prolongé de certaines villes clés dont New York et Los Angeles. La France s'avère moins touchée que les marchés anglo-saxons et principaux distributeurs des films Bollywood en Europe et qui impactent durement le marché indien.
- Alors que le contrôle de la pandémie reste très hétérogène, les studios américains préfèrent miser sur des sorties mondiales pour leurs blockbusters en 2021, générant un gigantesque appel d'air pour les exploitants de salles ainsi qu'une fenêtre de tir inédite pour les productions européennes. En revanche, la visibilité de ces dernières s'annonce extrêment réduite alors que l'embouteillage des sorties US sur l'année prochaine se précise.
- Pour contourner l'offre réduite des superproductions made in USA, les distributeurs ont ciblé les nostalgiques et ont ressorti des films familiaux cultes. Surprise : Jurassic Park (1993) archétype du Blockbuster moderne culmine au box office américain, juste devant un autre film de Steven Spielberg, les Dents de la mer.
- Pour maintenir la distanciation sociale tout en continuant de se faire des films en salle, les exploitants innovent et démocratise le concept de la projection privée. Garantissant le respect des seuils minimaux de spectateurs, ces derniers peuvent privatiser une séance entre amis et choisir la programmation via des applications comme Cociné.
- L'accélération de la distribution des films reste la principale préoccupation des studios qui s'empressent de les proposer, moyennant un supplément, sur les plateformes de VOD et SVOD.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.