La mode se fait le reflet des conjonctures sociétales de l’époque : soit elle les amplifie, soit elle les prends à revers. La présente époque troublée et incertaine voit reparaître le style gothique et ses milles nuances de noir, aussi élégantes qu’austères et véritable sensation des défilés automne-hiver de cette année.
La collection capsule que lance aujourd’hui le groupe de fast fashion H&M avec The Vampire’s Wife reprends cette iconographie chère aux périodes de crises mais avec des silhouettes glamour 60s-70s aussi envoûtantes qu’éco-responsables. L’ensemble distille un esprit bohème, fluide et audacieux que l’on retrouve dans le style “prairie girl”, style pour lequel la marque invitée reste très connue et que ne renieraient pas les afficionados Z de la tendance #cottagecore.
Cela fait déjà 16 ans que H&M crée l’événement chaque année avec le concept de la collection capsule. Ce concept fut d’ailleurs inauguré avec Karl Lagerfeld. Depuis des maisons de luxe (Versace, Balmain ou encore Moschino) et des marques créateurs (Kenzo, Erdem..) se sont succédées sans discontinuer. Cette stratégie permet d’accroître la notoriété de la marque invitée et d’élargir son audience, voir de rajeunir son coeur de cible. En effet avec des prix plus accessibles, ces « échantillons » de produits mode et démocratiques, en édition limitée, constituent un point d’entrée de choix dans l’univers de la marque.
La nouvelle marque invitée de l’enseigne suédoise de fast fashion est une marque womenswear culte auprès des connaisseuses de mode. The Vampire’s Wife succède à Giambattista Valli et à ses robes spectaculaires rehaussées de broderies et constellées de perles de culture qui était à l’honneur en octobre 2019. Derrière cette marque britannique fondée en 2016 se cache Susie Cave, authentique It-girl anglaise des années 90. A la fois designer, mannequin mais aussi muse, notamment du photographe David Bailey, Susie Cave a fait ses armes auprès de Azzedine Alaïa et Vivienne Westwood. Elle est en outre l’épouse du chanteur, auteur et compositeur derrière le groupe de rock Nick Cave and the black seeds, Nick Cave. Ce dernier est lui-même surnommé Prince of darkness (le prince des ténèbres). Le nom The Vampire’s Wife semble tout droit sorti d’un roman de littérature gothique et fantastique d’un John William Polidori, d’un lord Byron ou d’un Bram Stoker – père de Dracula, or il n’en est rien. Le nom de la marque provient d’un projet littéraire rédigé mais finalement avorté de Nick Cave. Il prends racine dans un drame familial : la perte d’un de ses deux fils.
Son style signature se compose de silhouettes féminines, de robes à volants, d’épaules affirmées et de motifs vintage. Les tenues de cette incarnation du style nostalgique de la “prairie girl” aux accents victoriens ont déjà conquis des personnalités de la musique, du cinéma et de la mode comme Florence Welch (la chanteuse du groupe Florence and the Machine), Cate Blanchett, Keira Knightley, Kate Moss ou encore Sienna Miller. La collection que Susie Cave propose ici est fait de mini robe mystique en dentelle aux épaules rehaussées, de mini robe avec un nœud et de cape romantique en dentelle argentée. Les pièces de prêt-à-porter s’accompagnent d’accessoires fantaisie comme les colliers à breloques, les bracelets et les boucles d’oreilles qui reprennent une symbolique ésotérique et apotropaïque – qui éloigne le mauvais oeil – avec des yeux, des nuages et des dents de vampire. Dans l’esprit gothique, la couleur dominante reste le noir profond avec un soupçon de reflets argentés, symbole d’éternité. D’après le communiqué de l’enseigne suédoise, elle se présente tel un clin d’œil à l’Amérique avec une « obscure âme européenne ». Transparaissent alors les thèmes de la féminité, de la vulnérabilité, de la force, de l’intimité et de l’inconnu. La figure de la vamp, qui dérive elle même de la fameuse créature ténébreuse n’est pas décidément pas loin.
Durable, la collection met l’accent sur des matières en nylon et polyester recyclés. Très porté sur les initiatives éco-responsables (collection conscious, corner “take care” avec service de réparation en magasin…), H&M réconcilie ici un glamour magnétique avec des pratiques éco-responsables. Une opération qui épouse le virage amorcé en 2016 par le groupe via son sustainability Report sous l’impulsion de sa très médiatique directrice du développement durable, Helena Helmersson, désormais à la tête du groupe. Objectif affiché du groupe : devenir “producteur de mode circulaire et positive.”Le distributeur projette un objectif ambitieux : 100% de matériaux durables dans les collections d’ici 2030. Actuellement, 57 % des matières utilisées par le groupe pour fabriquer ses produits sont recyclées ou issues de sources durables.
Cette micro-collection évènementielle coincide avec le lancement d’une nouvelle ligne, destinée cette fois-ci aux jeunes générations et baptisée Vampire Girl sur le point de surgir au mois de novembre.
La figure du vampire, ce non-mort incarné fait partie intégrante de l’imagerie gothique. Introspectif, il interroge sur son rapport pulsionnel au sexe, à la folie et à la mort. Politique, il devient symptôme d’un état violent et trouble, d’une menace, comme d’un virus. Benjamin Simmenauer, professeur à l’Institut français de la mode, rappelait dans le monde que la mode, était avant tout interprétation de l’époque : sous l’effet de la pandémie, elle pourrait ne plus occuper une fonction de représentation mais de protection et ressusciter la tendance néo-gothique. Que l’on l’appelle néo-gothique ou dark glamour, cette interrogation sur le rapport de la mode et la mort chère à des créateurs comme Alexander McQueen ou Rei Kawakubo, a ressurgi dans les collections Automne-Hiver 2020-2021. Aux côtés des designers connus pour leur esthétiques dark et dystopiques, comme Marine Serre ou Martin Margiela, Balenciaga et ROKH ont suivi le mouvement lors de la fashion week de Paris. Chez Margiela, les soeurs jumelles Maddie et Margo Whitley ont rendu hommage au film d’horreur de Kubrick, Shining, à travers une déclinaison gothique qui s’est poursuivie dans le maquillage avec un teint blanchâtre, des traits de crayons fin et des yeux fumés. Dans le même temps, la maison Azzaro a nommé à sa direction artistique Olivier Theysken, connu pour ses influences gothiques et romantiques. Une des dernières DNVB – Digitally Native Vertical Brand – en date, spécialisée dans les cocktails sains pour apéritif, Haus, a, de son côté, décidé d’arborer une police néo-gothique qui contraste avec la tendance observée jusqu’à présent dans le branding des DNVB, plutôt adepte d’une police sans-sérif privilégiant les rondeurs.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.