A la faveur du confinement, le mouvement exclusivement vestimentaire de la “prairie dress” qui s’était imposé à la fashion week de New York en septembre 2018 est devenu un lifestyle complet qui a envahi les feeds des réseaux sociaux TikTok, Instagram ou encore Reddit. Une nostalgie d’une période pré-industrielle qui va de paire avec la quête d’une mode plus durable, faite de grands espaces, de décors bucoliques autant que de couleurs pastels et de tenues fluides. Découvrez ce que cache la tendance #CottageCore. 

 

#CottageCore ou le fantasme de l’auto-suffisance urbaine

Le confinement a réveillé chez les citadins une furieuse envie de grands espaces et de vie plus simple, plus réfléchie et moins frénétique. Entre anxiété, frustration et ennui, les internautes, et plus particulièrement les adolescents de la génération Z (nés entre 1995 et 2012) ont trouvé dans le #cottagecore, un échappatoire merveilleux vers un environnement fantasmé. Cette tendance, qui a paradoxalement trouvé refuge sur les réseaux sociaux américains et britanniques, revisite le sujet pictural de la pastorale du XVIIIe en lui donnant une image plus contemporaine. Pour rappel ce style de peinture donne à voir une vision romantique, pour ne pas dire romanesque, de la vie à la campagne. Ici se mêlent personnages de bergères, de paysans, de sources naturelles, de verts pâturages et d’animaux d’élevage. 

Ce romantisme n’est pas sans rappeler le mouvement Arts and Crafts de William Morris du XIXe siècle où la nostalgie d’une époque révolue mais non connue, le moyen-âge irriguait les peintures de John Collier et sa relecture du cycle arthurien. Cette réappropriation de l’esthétisme d’un âge d’or sublimé s’observe encore aujourd’hui au quotidien avec la tendance années 70 et 80 qui fait florès auprès des millennials tandis que la génération Z rêve d’années 90 et 2000. 

L’appel de la campagne indui par le cottagecore séduit pour son esthétisme aux accents éco-responsables, la qualité de vie qu’elle promet et sa dimension réconfortante. Amanda Brennan, experte tendance chez Tumblr déclarait à Vox, qu’elle avait relevé une corrélation entre la popularité du mouvement et l’augmentation du nombre de cas COVID relayés par les medias. Ainsi, entre mars et avril, Tumblr a observé une hausse de 153% de contenus taggés “cottagecore” selon le site Business Insider. Sur la période, le nombre de likes relatifs à des contenus ouvertement cottagecore a quant à lui augmenté de 500%. Le mot est d’ailleurs apparu sur Tumblr en mars 2014Mais le mouvement rappelle l’obsession de bons nombres de confinés : comment garantir son autosuffisance et revenir à une activité vivrière. D’où la mise en avant des activités artisanales comme la poterie, le crochet ou encore la pâtisserie. Le cottagecore prône un mode de vie en apparence simple et surtout un isolement choisi, loin des turpitudes quotidiennes et de la promiscuité de la vie urbaine.  

La tendance peut néanmoins être rapprochée de la dissonance cognitive qui habite tout un chacun quant à l’adoption massive de pratiques éco-responsables. Autrement dit, une réelle prise de conscience et une envie de changement chez les individus interrogés dans le cadre d’enquêtes et autres sondages mais qui reste encore très rarement suivie d’effet tangible. C’est finalement l’idée de reconnaître les vertus d’un nouvel usage, d’adhérer à une philosophie de vie sans les notions de contrainte et de sacrifice qu’elle implique

@KreisBloemaert / wikipedia

Ce CottageCore reste la tendance visuelle la plus importante du confinementSur Instagram, le mouvement compte 739 541 posts, un chiffre qui dépasse la tendance normcore, qui faisait fureur durant la décennie 2010, qui ne présente que 181 674 posts. Autrement dit une dualité entre le sensible et l’uniforme

Il existe d’ailleurs une douzaine d’itérations du mouvement qui sont autant de sous-cultures comme le cottagecorelesbians parmi l’écosystème lesbien, les versions plus horrifiques du cottagegore et goth cottagecore, sans oublier le grandmacore, le goblincore et le frogcore. Une tendance qui n’est pas exempte de polémique. Ainsi si la plupart des individus se mettent en scène dans des décors naturels grandioses, révèlent un teint diaphane ou une sexualité fluide et queer, les personnes noires sont ici sous-représentées.  Un constat qui a poussé Noémie Sérieux, derrière le compte instagram @cottagecoreblackgirls (CCBG) à s’afficher au même titre que quatre autres jeunes femmes dans des scènes de pique-niques champêtres. Un acte de subversion, pas forcément compris au sein de la communauté noire,  visant à contester l’hégémonie WASP du mouvement. Anachronique, le mouvement ne puise pas moins, en effet une partie de son esthétisme dans l’époque victorienne, époque où les personnes noires étaient fortement discriminées. 

Un style vestimentaire pionnier, durable et “modeste” 

Apparu en 2017, le style CottageCore – soit un style vestimentaire évoquant la vie de “cabane dans les bois” – est avant tout un style vestimentaire féminin et en apparence facile à vivre. Un subreddit traduit parfaitement l’idée qui en découle : “your grandma, but like hip” – le style de votre grand-mère, en plus tendance. Pour le Huffington Post, c’est l’univers honirique et sylvestre du songe d’une nuit d’été de William Shakespeare, le drame du meurtre en moins. 

Il est possible d’y voir un rapprochement avec le style négligé et “effortless”, caractèristiques observable chez la parisienne et qui reste d’abord une spontanéité savamment travaillée

L’esthétique vestimentaire peut paraître comme une riposte au normcore monochrome tout en étant consécutive au mouvement féministe MeToo. C’est en effet une mode couvrante voire semi couvrante, avec des robes mi-longues cachant coudes et genoux. A la différence de la mode modeste, en provenance du Moyen-Orient et qui vise à limiter, au nom de la décence, les parties de peau visible, cette mode se montre résolument féminine avec des ruchés, volants, froufrous, gradins, smocks et autres broderies. Côtés motifs, il est question de nappes à carreaux, de motifs vichy et d’imprimés liberty. 

Le cottagecore a commencé à être médiatisé avec le style “prairie dress” qui s’était imposée, à travers des marques comme Batsheva lors de la fashion week de New York en septembre 2018. Un nom qui fait directement référence à la série des années 70 « La petite maison dans la prairie » et à la garde robe de son héroïne, Laura Ingalls. Depuis cette esthétique d’”urban pionneer girl” est devenu l’apanage de marques de mode décontractées comme Dôen, Free People, Anthropologie, Ganni ou encore Christy Dawn et Madewell.

Si la tendance va de paire avec un engouement croissant pour une mode plus durable, il semble que la nouvelle adaptation des « Quatre filles du docteur March » par Greta Gerwig y soit pour quelque chose. C’est donc l’image de la pionnière qui parvient à apprivoiser une nature sauvageLe mouvement a, de plus, connu un formidable écho avec le nouvel opus musical de Taylor Swift. Issue de l’univers country, résolument engagée contre Donald Trump, l’artiste autrice-compositrice-interprète millennials a sorti un 8e album, Folklore, plus personnel et majoritairement composé de ballades romantiques et intimistes. Au format physique, ce nouvel opus se décline en 8 éditions, toutes montrant Taylor Swift, délaissant son rouge à lèvre iconique, portant une tenue éthérée et flânant dans les bois dans une superbe photographie noir et blanc. On la voit aussi arborant une pièce rarement médiatisé mais de saison : le cardigan. Un vêtement qui porte même une chanson de l’album.  

@liferondeau / Unsplash

Entre DIY, communauté et île paradisiaque : les clés du succès d’Animal Crossing New Horizons

Les autres noms du Cottage Core sont “farmcore” ou “countrycore”. Un esprit champêtre et bucolique qui n’est pas sans rappeler le jeu le plus populaire du confinement : Animal Crossing New Horizons. Ce 5e opus du jeu est le premier à sortir en natif sur une console, en l’occurence la Nintendo Switch. Il s’est hissé numéro 1 des ventes de jeux vidéos aux Etats-Unis, en Corée du sud, au Japon, en France et en Espagne. 

Animal Crossings projette le joueur humanoide dans un univers naïf et enchanteur peuplé d’animaux sympathiques et anthropomorphes et rythmé par le temps réel et le changement de saisons. Le gameplay insiste sur l’artisanat et le jardinage en milieu naturel, un cadre propice au cottagecore. Ici nul méchant, calamité ou acte de violence. De la musique au scénario, en passant par les activités, tout confère à la relaxation. 

Dans ce jeu de simulation, les joueurs peuvent entièrement personnaliser leur île avec des objets artisanaux comme des lampes à champignons, des clôtures en bois, des bancs en rondins, des cabanes à oiseaux et des grands parterres de fleurs. Cette personnalisation a cependant un prix, il faut au préalable rendre toute une série de menu services pour être rémunéré en clochettes. Car le joueur commence la partie à devoir rembourser un prêt contracté auprès d’un manager à l’apparence d’un Tanuki, prénommé Tom Nook. Parce qu’il s’agit de bâtir une société florissante, le New York Times n’hésite pas à y voir une allégorie de l’Americain Dream en plus accessible. Un discours qui entre en résonance avec les jeunes générations inquiètes pour leur avenir et confronté depuis leur enfance à toutes sortes de crises (dérèglement climatique, chômage, terrorisme, violence quotidienne…). Il est en effet question d’objectifs réalisable et à portée. La communauté qui s’anime permet aussi de briser l’isolement du confinement, tandis que son absence de fin, le rend compatible avec l’absence de repères temporels liés à la crise du COVID. 

Le joueur peut aussi sans trop d’effort s’improviser styliste. Le jeu possède en effet un éditeur de skins dans lequel le joueur peut personnaliser à sa guise sa tenue de tous les jours comme sa tenue pour une soirée costumée. Un concept qui n’a pas tardé à séduire certaines marques de mode comme Marc Jacobs ou Valentino. 

 

Le Cottage core est donc un moyen de s’extraire du réel, de renouer avec une nature sublimée et un éloge de la lenteur qui contraste avec nos sociétés urbaines hyper connectées. Mais, que l’on ne s’y trompe pas, si cette tendance évoque un mode de vie désirable plus en harmonie avec la nature, il est aussi l’expression de la dissonance cognitive autour des questions d’éco-responsabilité. Autrement dit, il ne faut pas oublier le décalage qui peut exister entre la volonté de changement et les actes eux-mêmes, surtout durant une période de crispation économique comme actuellement. 

@Nintendo
A Retenir
  • Véritable antidote au doomscrolling de l’ère COVID, le Cottagecore est un mode de vie faite d’auto-suffisance, de simplicité, de durabilité, de communauté et de sérénité. Une nostalgie d’une ère pré-industrielle et un formidable moyen pour les jeunes générations (Z en tête) de s’extraire d’une réalité confinée. 
  • La tendance est apparue sur Tumblr en 2014 et a été remise sur le devant de la scène avec la nouvelle adaptation cinématographique des quatre filles du docteur March,  le 8e album de la chanteuse pop Taylor Swift, Folklore et l’univers TikTok. 
  • Le mouvement puise son inspiration dans la période romantique et le mouvement arts and craft, l’Angleterre victorienne du XIXe siècle ainsi que dans le thème de la pastorale  du XVIIIe siècle tout en y apposant un verni contemporain. 
  • Un style vestimentaire féminin, fluide, modeste et aux tons pastels empreint de liberté. Imprimés vichy, liberty et napperons de pique-niques champêtres sont les motifs phares. La mise en scène est souvent complétée de forets ou prairies ensoleillées de petits animaux, de linge séchant au soleil
  • Vision paradoxale et citadine d’une naturalité sauvage fantasmée n’existant que sur les réseaux sociaux, le cottagecore appelle à la déconnexion et à la lenteur. En outre, il valorise l’artisanat et le DIY (Do It Yourself). Deux éléments à l’origine du succès du jeu vidéo de simulation bucolique Animal Crossing New Horizons.