Fidèle à son statut d’early adopter du marketing digital, la maison de luxe indépendante Burberry transpose l’interactivité et la viralité du social media dans l’univers IRL du retail sur le marché chinois. Sa nouvelle boutique avec le groupe Tencent (un des BATX), au sein de la Silicon Valley chinoise de Shenzhen devrait faire carton plein auprès de jeunes générations en manque d’expériences instagramables (ou tiktokables c’est selon) et de dopamine. Son secret : mixer contenu et gamification avec récompenses (à débloquer) à la clé. Une solution pour redorer le blason de la virée shopping in-store ?
Burberry : Un first timer de l’innovation digitale
Burberry, l’emblématique institution indépendante du luxe, âgée de 154 ans, est née de la découverte par Thomas Burberry de la gabardine de coton – matière aux fonctions déperlantes et respirantes inouïes pour l’époque – par un temps pluvieux inspiré de la tenue des bergers. Après avoir conçu des vêtements d’extérieur repris pour des expéditions scientifiques et la guerre de tranchées lors de la première guerre mondiale, l’entreprise obtient le titre de fournisseur officiel de sa majesté. Outre le “trench coat” ceinturé, la marque se diversifie dans le prêt-à-porter, rencontre un succès d’estime puis tombe entre de mauvaises mains, multipliant les licences commerciales à tout va (cookies, sous-vêtements, liqueurs, vêtements pour chiens, jouets…) et faisant face à la cannibalisation de modèles plus cheap par les acteurs de la fast fashion. Avec l’arrivée de Christopher Bailey à la direction artistique en 2001 puis partageant son temps avec la direction générale, elle regagne ses lettres de noblesse avec une image plus contemporaine et “a very distinctly english mood” – en bref elle devient une icône de la britannité. La marque bénéficie du savoir-faire de Bailey, passionné de nouvelles technologies et ayant fait ses armes chez Donna Karan et Gucci. Côté produit, il décline les collections de la maison dans diverses nuances de beige, et modernise le tartan avec le motif nova check. Depuis mars 2018, la maison opère une montée en luxe tout en embrassant une esthétique streetwear 90s plus dark et unisexe avec le designer Riccardo Tisci, fort de 12 années à la direction artistique de la maison Givenchy. Mêlant habilement esthétique bourgeoise et punk, Tisci affectionne particulièrement les nuances de noir. Lors de son dernier défilé, il opère un reset complet de ses silhouettes osant enfin la couleur, affirmant même “Blue is the new beige”. Une nouvelle collection, qui, le confinement aidant, fait figure de nouveau manifeste d’un esprit Burberry à la fois libre, romantique, classique et jeune.
En matière de digital, la marque au trench coat est celle des premières fois, reflétant à merveille la devise latine “Prorsum” de ses armoiries (qui va de l’avant).
Elle fut ainsi une des première à rejoindre Facebook en 2009 et à succomber au User Generated Content – contenus de marque créés et agrégés par les utilisateurs eux-mêmes – avec son app sociale The Art of Trench (2009), la première à organiser un défilé diffusé en direct et en 3D (2010), à lancer le tweet défilé (2014), à déployer le see now by now à l’issue de son défilé PPE 2014, à utiliser snapchat discover pour son brand content et à utiliser des snapcodes pour rendre le lancement d’un parfum – Mr. Burberry – plus interactif (2016), à lancer des collaborations en édition limitée – commercial drops – sur Instagram avec B Series (2019) ou encore à nouer un partenariat avec la plateforme vidéo Twitch pour diffuser son défilé Printemps-été 2021 en livestreaming. Sans conteste, sa nouvelle boutique en partenariat avec le géant de la tech chinoise Tencent pose un nouveau jalon dans l’innovation retail.
Le “bespoke digital companion” ou quand le gaming s’invite en boutique
Inaugurée en juillet 2020, la boutique de Shenzhen, au sein de la galerie Bay MixC, entend aller encore plus loin que le fameux flagship londonien de Burberry situé au 121 Regent’s Street, qui détenait le titre de point de vente le plus innovant de la marque et un modèle inspirant pour toute la filière retail. Celui-ci avait donné naissance il y a un peu moins de 10 ans déjà, à un espace de vente digital et hybride où le visiteur pouvait “se promener comme sur le site web Burberry” bien avant la fièvre des concept stores et des espaces détentes “comme à la maison”. Rappelez-vous il y avait alors écrans géants, un studio intégré au sous-sol pour des retransmissions live et des conseillers de vente équipés de tablettes pouvant commander à votre place ou personnaliser votre trench-coat. L’espace était alors tournée autour du visual merchandising et du retail augmenté mais l’expérience se vivait d’abord en magasin.
Ici, sur un espace de 539m² s’articulent dix pièces qui chacune renferment une expérience client exclusive. Pour que l’univers Burberry prenne vie, encore faut-il télécharger un mini-programme Wechat dédié. Sur celui-ci le visiteur peut créer son avatar évolutif reprenant les traits d’un elfe, et le personnaliser à sa guise.
L’innovation c’est que toutes les sections ne sont pas accessibles d’emblée. De mêmes certains skins (ou tenues virtuelles destinées à l’avatar elfique) sont à débloquer.
On retrouve ici les ressorts caractéristiques du monde du jeu vidéo où le joueur se voit récompensé après maintes efforts (actions, interactions, ou victoires lors de combats ou d’énigmes) : soit il monte de niveau en engrangeant de l’expérience comme dans les MMO RPG de type Final Fantasy, soit à force de victoires débloque de nouveaux personnages (jeux de combats et FPS) soit en collectant de la monnaie virtuelle ce qui lui permet d’acheter de nouveaux objets (clochettes au sein de l’univers bucolique peuplé de créatures anthropomorphes d’Animal Crossings).
Dans le cas de la boutique de Shenzhen c’est l’engagement et l’interaction du client avec la marque, online comme offline qui permettent de cumuler des récompenses (ou monnaie sociale) et d’accéder à de nouvelles expériences et des contenus exclusifs. Ces récompenses vont de l’accès à une partie caché du menu dans le café Thomas Burberry à un contenu du mini program. Les clients peuvent ensuite partager leurs découvertes à leur communauté sur les réseaux sociaux.
Autre spécificité, la marque britannique s’appuie sur le glocal – une offre de produits mixant les objectifs globaux avec les goûts et aspirations locales – et la rareté. Ainsi, les produits disponible en boutique sont ici des exclusivités. Tous les produits possèdent des étiquettes avec QR codes. Le client n’a qu’à les scanner pour se connecter à des écrans digitaux. Apparaissent alors d’autres contenus additionnels et du storytelling produit.
La boutique se situe dans la galerie MixC Shenzhen Bay, inaugurée en 2004 mais qui commença véritablement à attirer les marques de luxe en 2009 dont Louis Vuitton, Hermès, Dior et Cartier.
Shenzhen, nouveau point d’ancrage du luxe en Chine continentale ?
Souvent éclipsée par Hong-Kong la cosmopolite, Beijing la capitale et Shanghaï la modeuse, Shenzhen, ville aux 20 millions d’habitants de la province côtière du Guangdong est devenue au fil des années la capitale de la tech en Chine au point d’être considérée comme la Silicon Valley locale.
Avec la pandémie et la volonté de consommer en toute sécurité à l’intérieur des frontières, certains experts commencent à se demander si la ville ne pourrait pas devenir le nouveau centre asiatique de la finance et du luxe. Le duo Hong-Kong et shenzhen générait en 2019 un PIB de 745 milliards de dollars, soit davantage que la 19e économie mondiale incarnée par la Turquie. Les experts considèrent que Shenzhen pourrait se retrouver dans un nouveau cluster économique composé de 9 villes dans le Sud Guangdong avec un PIB de 1,66 trillions de dollars en 2019, d’après le South China Morning Post.
Considérée comme une nouvelle entrante sur la scène internationale, elle ne jouit pas de la notoriété et de la réputation de ces villes-là, ce qui peine à attirer les investisseurs. Ceux-ci préféraient jusqu’ici s’en remettre au concept “un pays deux système” qui prévalait chez sa voisine Hong-Kong – qui n’est qu’à 15 minutes en train grande vitesse – et offrait ouverture aux capitaux et pouvoir judiciaire indépendant le tout sous le patronage politique de Beijing. Mais depuis que la capitale s’est mise en tête de récupérer la perle d’Asie, les mouvements sociaux pro-démocraties qui s’y opposent ont douché les espérances des marques de luxe qui commencent à plier boutiques.
Devant l’instabilité politique qui règne à Hong-Kong, le gouvernement a autorisé Shenzhen à proposer des taxes à des taux très favorables et des allègements fiscaux pour les employés les plus qualifiés. Il est aussi question d’octroyer des subventions ainsi que des exonérations pour la taxe professionnelle.
Autre frein à son développement : la barrière de la langue. A Hong-Kong, ancien comptoir britannique, la langue anglo-saxonne est reine dans la ville comme dans les affaires. A Shenzhen en revanche en dehors du mandarin et du cantonnais point de salut.
Comme le relève Vogue Business, les experts du luxe voient les villes de Shenzhen, Guangzhou et Xiamen bien positionnées pour attirer les acteurs du luxe. Ces derniers étaient jusqu’ici principalement concentrés dans les villes de Beijing, Shanghaï et Shenyang.
S’il est vital de disposer d’une ville servant de passerelle entre l’Orient et l’Occident, rien n’indique que la jeune et dynamique Shenzhen soit favorite. Il semble plus crédible qu’un tel rôle soit dévolu post-COVID à Singapour ou Bangkok.
- Pionnière dans la digitalisation de expérience client dans le luxe, Burberry est une des maisons encore indépendantes et qui parvient à faire le grand écart entre héritage (154 ans d'existence) et innovation (tant produit que canaux de distribution et communication). Elle fut la première à vendre ses pièces défilés 24 h après (Modèle See Now Buy Now), à présenter son défilé en live sur Instagram, à lancer un commercial drop - édition limitée - sur Snapschat. En tant qu'early adopter, la maison de luxe britannique est un trendsetter qu'obvserve attentivement tout l'écosystème du luxe
- Le nouveau point de vente Burberry de Shenzhen pose les bases d'un new retail à travers un Mini program Wechat, fort d'un partenariat avec le géant des télécom, un des BATX, Tencent.
- L'expérience s'articule autour de 10 pièces qui renferme chacune une expérience client exclusive qui va de la personnalisation, au brand content en passant par de nouveaux skins virtuels (tenues aux couleurs de la collection) pour son avatar.
- Semblable à la logique et au gameplay d'un jeu vidéo, le client peut débloquer contenu, services et fonctionnalités supplémentaire à mesure qu'il interragit avec l'application.
- Avec les mesures incitatives déployées par le gouvernement chinois (taxes préférentielles, exonération de charges) et la situation géographique limitrophe de Hong-Kong, Shenzhen est bien positionnée pour devenir le nouveau point d'ancrage du luxe en Chine continentale. A l'heure où Hong-Kong jadis coeur économique et international des achats de luxe aujourd'hui remis en cause, la Silicon Valley chinoise présente un fort potentiel.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.