En quête de croissance avant COVID, concurrencés par des plus petites marques premium, les géants de la distribution et leurs produits FMCG “essentiels”, tout comme leurs intermédiaires, les distributeurs, ont connu une année 2020 peu alarmiste. 

Bénéficiant de l’ascension des courses en ligne, d’un report de consommation avec le retour en force du repas à domicile et la priorisation des approvisionnements sur les références stars. Mais le business model de la grande consommation nécessite une mise à jour : d’une focalisation sur l’innovation produit et le facteur prix, l’industrie doit passer à une culture de marque authentique, saine et créatrice de valeur. Et le content marketing tout comme l’e-commerce peuvent les y aider. 

Forte résistance des distributeurs et confirmation de la résilience des produits de grande distribution

Pour rappel, l’acronyme “FMCG” – pour Fast Moving Category Goods, ou PGC en français – désigne les biens de grande consommation, qu’ils soient dans l’alimentaire (frais, surgelés, conserves), les boissons, les produits d’entretien de la maison. 

Comme pour d’autres secteurs, le COVID agit tel un catalyseur de tendances préexistantes avant-COVID tout en faisant naître de nouveaux usages de consommation, le tout autour des valeurs de santé, d’hygiène, de naturel et de bien-être

Pré-Covid, le consommateur s’intéressait au “acheter moins mais mieux” de même qu’au “mieux manger”, regardant davantage la composition et l’origine des produits. Avec le COVID, la préservation de la santé pour soi comme pour ses proches devient d’autant plus critique. 

Pré-Covid, les experts tablaient sur un marché du e-commerce retail de 400 milliards de dollars dans le monde d’ici 2022. On relève que le segment FMCG était l’un des mieux préparés aux risques systémiques de la crise. Ainsi, plus de 75% des marques présentes dans l’étude The OC&C Grocer Global 50 – étude qui répertorie les 50 acteurs clé du secteur FMCG – sont entrés dans la crise avec un ratio de dettes/fonds propres deux fois inférieur. De quoi y voir le signe d’un effet de levier sain. L’étude considère que de nombreuses marques du classement sont idéalement positionnées pour réussir dans cette ère du New Normal. Un quart des marques ont connu une croissance à deux chiffres comme Wilmar, TBS, Marfrig et WH Group. 

Les grands distributeurs, partenaires clés du segment FMCG, ont bénéficié de l’arrêt des activités hors-domicile consécutives aux mesures de restriction de déplacement, créant une situation de monopole artificielle. Le retour à la consommation alimentaire à domicile s’est fait au bénéfice de la grande distribution et ce tout format confondu (hypermarché, supermarché, proximité, drive). 

A la veille du grand confinement, d’Europe, aux Etats-Unis, en passant par l’Australie, les consommateurs se sont rués dans les rayons des hypermarchés et supermarchés pour se procurer des biens de premières nécessités. Des achats de paniques qui ont touché des produits alimentaires non périssables (pâtes, riz, café…) et des produits d’hygiène (papier toilette, savonnettes, gel hydroalcoolique). Plus étonnant, la tendance s’est vérifiée dans des pays moins touchés par la vague de propagation du virus et appliquant un confinement moins strict comme l’Australie et l’Allemagne. 

Reckitt Benckiser a ainsi vu ses résultats culminer à 3.5 milliards de livres, soit une croissance de +13,3% sur le troisième trimestre. Maison mère de Durex, le groupe a vu ses ventes de préservatifs et de produits liés au bien-être sexuel décoller à mesure que les mesures de distanciation sociale étaient assouplies. Sur la période, sa division santé a ainsi enregistré une croissance de +12,6%. Ses marques Dettol et Cillit Bang ont d’ailleurs bénéficié de l’engouement des consommateurs pour un renforcement des mesures d’hygiène. Sur les douze semaines qui ont précédé le 4 octobre, les ventes de nettoyants maison ont généré 38 millions de livres. Des chiffres qui cristallisent une demande accrue pour les soins auto-administrés, la santé sexuelle et le bien-êtrePour le troisième semestre, le géant américain Procter & Gamble (P&G) a vu ses ventes grimper de 9% à 19.3 milliards de dollars, bénéficiant de l’attrait de la clientèle pour des produits premium dans les domaines de la maison, de la santé et de l’hygiène. Les préoccupations liées à la préservation de la santé des individus et l’achat de stockage en masse en vue de la sanctuarisation du domicile ont permis à Unilever de voir ses ventes croître de 4,4% à 129 milliards d’euros, en particulier grâce à ses marques Domestos et Cif. De son côté, le plus grand groupe alimentaire mondial, Nestlé, a connu une croissance organique de 4,9% sur la période, tiré par une demande très soutenue en direction des produits pour animaux, de la consommation de café à domicile et des produits laitiers. 

Santé éclatante des marques FMCG à la lueur du Covid
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Ascension des courses en ligne et développement du sans contact

La crise sanitaire a eu des impacts sur les attitudes, les valeurs et les opinions des consommateurs. Le COVID a pulvérisé de nombreux freins concernant l’achat e-commerce de biens de premières nécessités, loin de la seule high-tech, de la mode ou des produits culturels. Ainsi, partout dans le monde la livraison à domicile de produits d’épicerie s’est démocratisée.  Or, les ventes retail online devraient représenter 6,5 trilliards de dollars d’ici 2023, selon Statista

Si de nombreuses marques avaient déjà développé leur activité dans le e-commerce (Pepsi, Unilever, Mondelez…), la crise sanitaire a convaincu certaines marques de s’y mettre comme Heinz et Lindt. En pleine pandémie, le fabricant de ketchup Heinz a ainsi lancé en moins de 3 semaines, avec l’aide de l’agence e-commerce Good Growth, son site Heinztohome pour vendre ses produits en conserves phares. Mais déjà la marque américaine souhaite étendre ses services à ses sauces et produits pour bébés. Empathique, le site propose une livraison gratuite pour le personnel de santé du NHS ainsi que pour les professionnels des urgences. PepsiCo – qui a vu ses ventes de snack décoller (Doritos ou encore Tostitos) du fait de la généralisation du home office et à l’inverse vu ses ventes de boissons fortement impactées par la fermeture des bars et restaurant – a renforcé ses positions, avec l’aide de la plateforme canadienne Shopify. Deux sites web ont été développé sur le modèle Direct-to-consumer. D’un côté, Pantryshop.com vendait des lots de marques Pantry comme Quaker, Gatorade, Tropicana et Sunchips. De l’autre, Snack.com proposait une offre parmi la centaine de produits de la division Frito-Lay comme Lay’s, Cheetos et Ruffles. « Celui qui gagne dans le e-commerce aujourd’hui et est en mesure d’attirer les familles qui expérimentent ce service d’épicerie pour la première fois, je pense qu’il va gagner ces familles à l’avenir », comme le déclare le CEO de PepsiCo, Ramon Laguarta.

Les achats de produits de grande consommation via l’e-commerce ont augmenté de 41%, tandis que le part de marché en valeur (8,8% en 2019 est passée à 12,4% au deuxième trimestre 2020, selon l’étude « Winning Omnichannel » de Kantar. 

En France, le réflexe e-commerce, en forte progression depuis le début du confinement, a dépassé les 10% de part de marché pour les PGC depuis début avril. Un niveau record pour un circuit qui était inférieur à 6% un an plus tôt. Plus étonnant encore, les ventes de produits frais traditionnels ont explosé, alors que d’ordinaire la taille restreinte de l’assortiment ou encore l’impossibilité de toucher ses fruits et légumes constituent des freins majeurs. La livraison de produits de grande consommation à domicile s’est révélée être un puissant allié avec une part très hétérogène en fonction des pays. 

Les ventes FMCG ont été moins touchées en Asie qu’en Europe, grâce à une forte pénétration e-commerce. Ainsi en Corée du Sud et en Chine le e-commerce représente déjà 18-20% des ventes. En Chine, les débuts de la pandémie ont été marqué par une envolée des ventes d’alcool et de produits frais, selon Euromonitor. De son côté, la France pourtant leader en 2019 dans les pays occidentaux, voyait ses ventes en ligne ne représenter que 7,1%. Un chiffre néanmoins en-deçà du Royaume-Uni (6,3%) et des Etats-Unis (5,6%). De l’autre, l’Europe a été plus durement touchée sur les activités hors domicile qu’en Asie et en Amérique Latine où les applications de livraison de repas sont plus répandues. 

Mais déjà, il faut entrevoir la sortie du tunnel. Pour rassurer la clientèle et la convaincre de revenir, le protocole sanitaire doit être au cordeau. Avec le COVID, le rôle des distributeurs a évolué  : il s’agit désormais d’aider les clients à acquérir rapidement et en toute sécurité un bien, à la manière d’un distributeur automatique à la Kroger. Au point que le magasin devient avant tout un point de collecte des commandes. Cela peut passer par un dispositif de paiement sans contact comme chez Walmart ou la possibilité de faire ses courses sans obligation de paiement immédiat avec un dispositif de type scan and go comme dans la vingtaine de points de ventes américains Amazon Go. 

Developpement du e-commerce et de la livraison à domicile pour les marques FMCG
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Vers un renforcement du branding des marques de grande distribution

Grâce à 5 piliers, le segment FMCG a connu une croissance insolente durant quarante ans. Le succès des marques de grande consommation reposait sur un branding orienté mass market avec une marge supérieure de 25% par rapport à des produits non siglés, une expansion via des partenariat avec des distributeurs de taille diverses, une capitalisation sur l’enrichissement des classes moyennes – via des marques spécifiques – dans les pays émergents (BRICS) pour trouver de forts relais de croissance, l’internalisation renforcée des fonctions marketing et une politique de croissance externe via des fusions-acquisitions. 

Or, concurrencé de toute part, avec ce modèle inchangé depuis le lendemain de la seconde guerre mondiale, le secteur a vu ses profits chuter, avec une croissance ralentie de +10,4% par an entre 2000 et 2009, suivie d’une chute de -3,2% par an entre 2010 et 2019. Autre phénomène, les marques leader perdent du terrain en part de marché dans le secteur face aux petites marques et aux marques distributeur (MDD). Elles ne représentent ainsi plus que 25% de la croissance du secteur (en valeur) des marques américaines du panel Nielsen. Là où les petites et moyennes marques comptent pour 45% et les MDD comptent 30%. L’équipement de la maison est de loin la catégorie de produit qui performe le mieux. Quant aux quelques marques qui ont malgré tout surperformé, elles ne le doivent pas à la croissance mais à leur niveau de marge. 

A la veille du COVID, les marges d’exploitation des marques de grande distribution ont atteint 18,1%, proche du plus haut niveau de marge enregistré en 2007 et un tournant par rapport à 2016 où elles plafonnaient à 16,4%. Si les marges ont connu une amélioration c’est bien grâce à une stratégie de réduction des coûts comme celle réalisée par Nestlé ou Danone en 2019. Or, s’il commençait à vieillir avant le COVID, aujourd’hui il apparaît comme hors jeu. 

Il faut pour le secteur transformer son modèle marketing en prenant davantage en compte les valeurs prônées par les consommateurs et les tendances de consommations qui se trouve renforcées par l’épidémie de COVID et l’expérience du confinement comme l’importance de la qualité/prix (avec une premiumisation vers un produit sain, favorisant les circuits courts et les consommations alternatives), l’ubiquité digitale (qui va au delà de la simple omnicanalité retail physique et e-commerce) et la croissance fulgurante du e-commerce. D’après l’étude OC&C Grocer Global 50, la force motrice de l’envolée des revenus du secteur en 2019 (+3,9% en comparable) fut le mix prix. De l’autre, la premiumisation a été une des clés de succès pour le secteur en 2019 avec l’incursion de Nestlé dans la nourriture pour animaux ou encore Unilever qui a bâti un portefeuille de marques de soins de la peau de prestige. 

Selon Will Haylar, OC&C UK Managing Partner,  les marques vont devoir revoir leur priorités de portfolio, accroître leur visibilité dans les marchés – surtout en Asie – mais aussi canaux et sous-catégories en croissance et adopter une allocation des ressources plus dynamique avec un usage plus franc des fusions et acquisitions. En 2020, Coca Cola a décidé de se séparer de la moitié de son portefeuille de 400 marques. La coupe de ses poids morts – scalabilité faible ou inexistante et ne comptant que pour 2% du revenu du groupe – décrite par le groupe comme des « marques zombies », permettra renforcer l’innovation (produit, packaging…). Coca Cola a aussi réduit de 30% ses dépenses marketing par rapport à 2019. Mais surtout ces marques devront relever le défi de la contraction de leur rôle au Food Service, un enjeu d’autant plus prégnant pour les marques de boissons. 

Pour digitaliser son offre et surtout son expérience client, le segment FMCG pourrait bien opter pour des investissements massifs, des acquisitions majeures voire des cessions d’actifsSon défi à l’ère post-COVID est clairement de recréer de la préférence produitLes experts s’accordent sur le fait que la digitalisation du shopping accroît de 22% la possibilité d’un repeat purchase. Or, pour créer de la préférence produit dans un environnement saturé et être perçu comme utile, encore faut-il connaître plus finement le profil et les attentes des consommateurs. Les jeunes générations sont à la recherche de marques authentiques, spéciales et originales. Par ailleurs, 70% des consommateurs attendent de leurs marques préférées des actions sociales et environnementales. 

Citons ainsi Ben & Jerrys qui prend régulièrement parti sur des grands sujets de société (soutien au mouvement Black Lives Matter, anti-trumpisme aux élections américaines). Par ailleurs, Danone est devenu en 2020, la première entreprise à impact du CAC40, révélant du même coup sa raison d’être “Apporter la santé par l’alimentation au plus grand nombre”. 

Selon Gaëlle Le Floch, Strategic Insight Director auprès de Kantar panel Worldpanel France, l’année qui s’annonce s’avère plus concurrentielle qu’à l’accoutumé. Pour surmonter les nombreux défis qui les attendent “les distributeurs devront repenser leur gamme, ainsi que leurs stratégies de prix et de promotion et accélérer leurs transformations numériques. Les industriels devront ajuster leurs portefeuilles de produits pour s’adapter à de nouveaux comportements et routines.”

Alors que l’optimisme est en berne en Europe, en Chine et en Inde, on observe un accroissement des dépenses au-delà des produits d’épicerie et des biens d’équipements de la maison. 

Les marques FMCG doivent renforcer leur branding
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A Retenir
  • Le secteur FMCG - biens de grande consommation - était en meilleure forme qu'il y a quelques années lors de l'arrivée du COVID. Les grandes marques disposaient de solides fondamentaux au point d'être idéalement positionnées pour prospérer à l'ère du New Normal.
  • Favorisées par l'arrêt des activités hors domicile, l'ouverture des points de vente de la grande distribution et surtout la priorisation sur les références stars, les grandes marques devraient même sortir renforcées de la crise.
  • Comme dans d'autres secteurs, l'e-commerce a permis de livrer des denrées alimentaires au domicile des consommateurs. Cette nouvelle dimension servicielle est amenée à se maintenir et à se développer. Reste une disparité géographique : les ventes ont été moins pénalisé par l'arrêt du hors domicile (primordial pour les boissons) en Asie qu'en Europe où la pratique e-commerce pour faire ses courses alimentaires reste moins développé.
  • Si le succès des FMCG reposait depuis la fin de la seconde guerre mondiale sur 5 fondamentaux, au premier rang desquels figurait le mix prix et le développement des pays émergents, l'avenir se jouera sur la qualité avec une premiumisation (produit plus sain, circuit court, consommation alternative) et de l'innovation produit et distribution (ubiquité digitale et épicerie e-commerce)
  • Pour surmonter la crise, les marques FMCG sont appelé à renforcer leur culture de marque de manière à renouer avec la confiance et à créer une préférence de marque plus forte.  De plus elles devront financer davantage dans l'innovation produit. Pour ce faire, elles peuvent se séparer de marques poids morts et viser des marchés, catégories de produits et canaux à forte croissance.