Première bourse de sneakers au monde, StockX vient de revendre pour 2,5 milliards de dollars de marchandises.
Renseignant sur l’évolution en temps réel de la valeur de ces chaussures de sport, ce nouveau NASDAQ du “drop” illustre bien la fièvre qui s’est emparé de certains acheteurs, y voyant un investissement dont le ROI à la revente rattrappe voire supplante les sacs de luxe. Alors que la sneaker est devenue un basique du quotidien, certains modèles et pièces originales s’arrachent à prix d’or sur le marché de l’occasion. Retour sur le succès fulgurant de cet attribut de la culture streetwear et de la démocratisation d’un style devenu bien plus qu’un simple accessoire de mode.
La sneaker, un concentré de culture street et de cool qui secoue la hype
Polyvalente, confortable, innovante et stylée, la basket a fait son chemin depuis ses prémices sur les terrains d’athlétisme et de basket-ball jusqu’aux podiums des plus grandes marques de luxe, en passant par la scène hip-hop. La sneaker possède un lien de parenté avec le streetwear, la culture qui rassemble n’importe quel consommateur indépendamment de son origine sociale, raciale ou de son genre.
Le terme “sneaker” provient de l’industrie du caoutchouc avec des entreprises comme Candde Manufacturing qui avaient lancé dès 1868 un modèle révolutionnaire de semelles silencieuses permettant “d’approcher par surprise”. Devenu la norme, ce symbole de la performance puis de l’anti-conformisme et de la subversion des années 1960 et 1970 s’est depuis éloignée de sa stricte fonction utilitaire originelle. Elle en a toutefois conservé son caractère statutaire. A l’image des valeurs du hip-hop il y est question d’estime et d’honneur. En réaction à un mouvement disco clinquant et WASP only, les immigrants caribéens et les afro-américains organisent, en pleine ségrégation sur le sol américain, des block parties dans le quartier du Bronx. Là-bas une contre-culture se développe à grand coups de rap, de djing, de graffiti et de breakdance. C’est là que s’émancipe la technique du sampling, qui consiste à élaborer de nouveaux morceaux musicaux en coupant ou remontant des extraits d’anciennes pépites.
Le style, si caractéristique, reste un temps lié à la délinquance à travers deux figures : le dealer de drogue et les Lo-Lifes. Ces derniers, à cours d’argent, pratiquent le vol de lots entiers dans les magasins, revendent la majorité et gardent pour eux-mêmes ce qu’ils aiment. Ainsi naît la curation des articles de streetwear.
En 1984, la sneaker qui rayait déjà le parquet des terrains de basket-ball devient incarnation avec la star de NBA Michael Jordan qui arbore une chaussure à son effigie conçue par son sponsor Nike : la fameuse basket montante blanche, rouge et noire Air Jordan 1, au grand dam de la fédération de basket. La même année, la maison italienne Gucci devient la première marque de luxe à lancer un modèle de sneaker, une tennis reprenant le motif signature à rayures vertes et rouges. Le rapprochement officiel de la sneaker et du hip-hop s’opère en 1986 lorsque Run DMC lance son morceau “My Adidas”. L’histoire retient qu’à la demande du groupe lors d’un concert les spectateurs avaient été appelé à brandir leur modèle superstar. Devant le nombre de personnes détenant le modèle iconique, l’équipementier sportif Adidas avait signé un partenariat d’1 million de dollars.
Dès 1996, la sneaker commence à fouler le sol des podiums des maisons de luxe : Prada lance ses “chaussures de voile” les PS0906. A sa suite, Pierre Hardy, alors chez Hermès lance la Quick, Lucas Ossendrijver, une basket montante en soie pour la collection homme chez Lanvin en 2006 et Nicolas Ghesquière, l’Arena chez Balenciaga en 2008. Une démarche qui était déjà à l’oeuvre des années plus tôt mais bien plus confidentielles comme Karl Lagerfeld chez Fendi dans les années 1970. L’idée est ici d’élever la qualité des chaussures par des empiècements de cuir et de matière précieuse. Délaissant la dimension pratique pour son esthétisme, c’est là que la sneaker moderne est née.
Visibles aux pieds des designers dans les coulisses des grandes maisons, la basket fait une entrée tonitruante dans le luxe en 2009 avec Louis Vuitton qui lance la Don en édition limitée avec le rappeur Kanye West. Mais il faudra attendre la saison Automne-Hiver 2017 et la collaboration entre Louis Vuitton et Supreme, figure du skate urbain de New York pour que la fièvre du streetwear s’empare définitivement du luxe. Dès lors, la systématisation du “drop” dans le luxe – littéralement le compte-goutte, soit une collection capsule à durée limitée et en circuit court – voit le jour. La même année, Balenciaga lance la Triple S, véritable phénomène de société qui lance la mode clivante des dad’s sneakers où l’esthétisme consensuel devient secondaire.
Avec l’inflation du nombre de drops de luxe la basket devient ambivalente : d’un côté un objet symbole démocratique et abordable, de l’autre une oeuvre d’art rare et élitiste. Toutefois, le succès de la basket ne se dément pas : le marché mondial des chaussures de sport qui représentait 58 milliards de dollars en 2018 devrait atteindre 88 milliards de dollars d’ici 2024.
StockX : Un indicateur à la pointe du marché de la revente dans la culture streetwear
Figure majeure de la sneaker sur le marché secondaire, StockX a engendré plus de 10 millions de transactions au 1er semestre 2020, soit une hausse de 50 % des transactions effectuées par rapport à l’année dernière. A l’instar de celui-ci et de GOAT, les retailers présents sur le web ont réussi à tirer leur épingle du jeu malgré le confinement grâce à une diversification des canaux de distribution comme le e-commerce en étant dans la revente et le marché primaire. A l’inverse, les Stadium Goods et Flight Club ont subi les conséquences de la fermeture de leurs points de vente physiques. De son côté, la marketplace mobile-first GOAT a dû fermer son fulfillment center de Culver City, engendrant des retards de livraisons.
Au départ, seuls ebay, Craiglist et les réseaux sociaux permettaient de revendre des baskets sur internet avec une expérience d’achat très hétérogènes. Les prix restaient discrétionnaires et la qualité n’était pas forcément au rendez-vous. Arrivé en 2015, StockX, “le wall-street” de la sneaker, a insufflé de la transparence et de la confiance dans un marché de niche opaque et affaire de seuls connaisseurs. A l’instar des magasins d’usine comme Fight Club, Sole Stage et Stadium Goods (Farfetch) ou d’autres sites e-commerce comme Grailed ou GOAT, l’enjeu était de certifier l’authenticité des produits pour combattre les contrefaçons.
Fondé par Josh Luber, StockX est un site web novateur qui met en relation acheteurs et les vendeurs en permettant aux premiers d’enchérir sur des chaussures disponibles en édition limitée. Le prix affiché fluctue comme n’importe quel actif financier et dépend de sa désirabilité à l’instant T. Une désirabilité entretenue par l’actualité et la pop culture. Les deux premiers épisodes de The Last Dance, documentaire en 10 parties diffusé sur Netflix ont récolté 6,07 millions de téléspectateurs. Dans le même temps StockX a connu une augmentation de 76% de trafic sur son site les dimanches où le documentaire sur les Chicago Bulls était diffusé.
La plateforme dispose d’un processus d’authentification qui permet de s’assurer que les sneakers ne sont pas contrefaites, un problème endémique dans l’industrie des chaussures de sport. Le site se rémunère avec des commissions de l’ordre de 9% sur l’acheteur et et le vendeur, avec un taux dégressif en fonction du nombre de transactions conclues.
Après la sécurisation de l’expérience client, l’autre clé du succès repose sur la création de contenu. C’est en racontant l’histoire qui se trame derrière chaque modèle de sneakers que ces nouveaux retailers créent de la valeur et entretiennent la désirabilité. Il s’agit donc de créer des évènements clients et faire équipe avec des figures influentes du milieu streetwear. L’idée est d’entretenir un esprit de communauté en travaillant à la fois avec des marques établies et des marques émergentes.
Pour le confinement, StockX a lancé sa campagne social media #FlexFromHome. De mars à avril, il s’agissait d’inciter les internautes à se mettre en scène avec leurs meilleurs looks de confinement. Pour chaque post pertinent, la plateforme générait un don de 1 dollar, qui s’ajoutait à son engagement de 20 000 dollars pour le fond Covid-19 Feeding America. Autre initiative interractive intéressante : le challenge « Sneaker Showdown » mis en place par Stadium Goods en partenariat avec Ebay. Sur les comptes instagram des deux marques, les internautes étaient appelés à voter pour la paire de sneakers qui serait vendu à prix réduit.
Enfin l’autre moyen de se différencier consiste à diversifier le mix produit au delà de la sneaker et du streetwear. C’est ainsi que StockX a étendu son offre aux montres de luxe et aux sacs en mai 2017. En 2018, la plateforme de trading s’est mise à proposer des figurines du designer KAWS avant d’ouvrir une toute nouvelle section “collectibles” en octobre 2019. Celle-ci comprends des jouets déco, des planches de surf ou encore des cartes à collectionner. La marketplace s’adjoint ainsi l’exhaustivité, la profondeur et la force de curation – sélection des marques et produits – digne d’un concept-store, renforçant davantage encotre sa crédibilité street.
La revente de sneaker : un investissement qui peut rapporter gros
A chaque lancement de “drop” de la part du secteur du luxe, c’est la même scène qui se répète : qu’il pleuve, qu’il neige ou qu’il gêle, les files d’attentes ne désemplissent pas. Certains, pour la plupart millennials, préfèrent camper sur place pour ne pas rater l’occasion -le fameux FOMO, Fear of Missing Out – de se procurer le modèle tant désiré.
En mettant la main sur le streetwear, des marques de luxe, comme Gucci, ont réussi à capter une nouvelle clientèle fan de hip-hop et de rap – genre musical qui a ravi le trône occupé jusqu’en 2017 par le rock aux yeux de la jeunesse – mais aussi et surtout à ré-instaurer de la rareté dans un paysage saturé. De plus, au grès des collaborations, chaque modèle renvoit à une figure inspirante, réelle ou fictive, qu’elle soit issue du monde du sport ou de l’entertainment. En 2019, NPD avait d’ailleurs identifié la sneaker de designer comme le segment en plus forte croissance dans les chaussures.
Dernier “drop” en date, mais confinement oblige, entièrement digital : la collaboration entre Dior et Nike pour lancer les baskets Air Jordan 1 OG. Résultat : plus de 5 millions de personnes inscrites pour espérer être tiré au sort pour pouvoir acheter l’une des 8000 paires mises en vente. Le nombre de personnes était 625 fois supérieur à ce qui était réellement disponible. Les chaussures étaient vendues à 2 000 dollars pour la version basse et 2 200 dollars pour la version haute. Elles ont été revendues plus de cinq fois plus chères que leur prix retail sur le marché secondaire.
Au début de l’année 2020, StockX a vendu la Nike Dunk SB Low Paris 51 950 dollars, faisant d’elle la sneaker la plus chère jamais vendue sur la plateforme détrônant la place occupée par la Nike Mag Air Back To The Future depuis 2016. Il aura suffi que Travis Scott porte un modèle pour en faire augmenter immédiatement le prix de 40 % sur la plateforme. Sortie en 2016 et éditée à 89 exemplaires, la réplique du modèle porté par Marty McFly dans le second volet de la saga culte Retour vers le futur était estimée à 22 882 euros en 2019.
En juillet 2019, la Nike Waffle Racing Flat Moon fut adjugé chez Sotheby’s pour 437 500 dollars, faisant d’elle la basket la plus chère de l’histoire. Un record battu au mois d’août 2020 : une paire de baskets Jordan 1 portées en 1985 par la légende du basket-ball et star des Chicago Bulls , Michael Jordan a été vendue aux enchères, pour 615 000 dollars.
Au départ, la sneaker était un domaine intéressant sportifs et passionnés, les fameux sneakerheads, mais depuis que l’objet a été décliné dans le luxe et que les prix à la revente deviennent stratosphériques, des revendeurs professionnels s’en mêlent, entraînant une saturation du marché. D’un côté des personnes mandatées pour faire la queue et de de l’autre des “autobuyers”, autrement dit des logiciels bots capable d’écouler un modèle à la vitesse de l’éclair. Un système plus égalitaire qui rend ou non admissible les individus à la vente du produit. Face à ces excès, les deux leaders du secteur, Nike et Adidas ont mis en place des tirages au sort, ou “raffles”.
La basket était autrefois un club fermé et qui plus est réservé aux hommes. Au point que l’intérêt des femmes pour le produit n’était pas pris au sérieux. Seul Reebok et son modèle Freestyle avait compris avant tout le monde l’intérêt authentique des femmes en pleine déferlante aérobic en 1982. Or, les derniers chiffres du rapport de StockX fait état d’un engouement des femmes en hausse de 70%, par rapport à 2019. De même, les millennials ne sont plus les seuls intéressé par les sneakers.
L’univers de la sneaker convoque nostalgie, art, performance et influence. Les experts conviennent qu’en période de crispation économique et face à la prise de conscience grandissante des considérations éco-responsables, les clients devraient se tourner encore davantage vers le marché de la revente. C’est ainsi que les consommateurs ayant un besoin impérieux de liquidités proposeront leurs sneakers ou articles streetwear à la vente, étoffant ainsi l’offre, ce qui pourrait du même coup doper la demande. Ce marché de la revente mondiale de sneakers est amené à tripler, passant 2 milliards de dollars à 6 milliards de dollars rien qu’aux Etats-Unis d’ici 2025. De leurs côté, les marketplaces sneakers et streetwear pourraient être tentées de rentrer sur un marché primaire estimé à 100 milliards de dollars et devenir des distributeurs agréés en nouant des contrats d’exclusivité avec les marques pour la sortie de certains modèles.
- StockX est une marketplace spécialisée dans la revente de sneakers et d'articles sportswear. L’entreprise de Detroit a mis au point un “indice boursier” offrant une plus grande transparence sur les prix. La fluctuation de la valeur des modèles dépends de leur rareté et de leur désirabilité à un instant T.
- Voyant son volume de vente et son trafic peu impacté par la crise du COVID-19 grâce à son canal e-commerce, StockX a réalisé ses meilleures ventes aux mois de mai et juin. L’entreprise a revendu pour 2,5 milliards de dollars de marchandises en valeur.
- La sneaker est devenue une valeur refuge avec le cabinet Cowen la comparant à une “classe d’actif alternatif émergent”. La tendance est portée par les conséquences de la vague athleisure et la recherche de confort.
- Un marché de la revente de sneakers amené à tripler d’ici 2025, passant de 2 milliards de dollars à 6 milliards de dollars.
- Air Jordan 1, basket montante mythique du joueur de basketball, Michael Jordan bat tous les records de vente. Commercialisée 65 dollars à sa sortie en 1985, elle coûte désormais 185 dollars en vente retail. Mais pour les modèles de sneakers les plus rares les prix s’avèrent stratosphériques.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.