Sortie fin décembre 2020, l’adaptation du premier tome “Daphné et le duc” de la Chronique des Bridgerton, série originale Netflix, s’avère aussi son plus grand succès avec 82 millions de foyers atteints les 4 premières semaines.

Superproduction en costumes d’époque, diversité dans le casting, musiques pop revisitées… Les péripéties de Daphné dans le Londres huppé de la Régence anglaise ont offert un bel échappatoire aux spectateurs confinés. Mettant tout le monde à l’heure anglaise, les tenues apprêtées inspirées de la série ont rencontré un franc succès. Étrangeté dans un monde post-covid, marqué par un engouement renforcé pour le “no bra” – sorte de rejet d’un corps oppressé, le corset, son contre-pied radical, se retrouve en tête des ventes. 

La Chronique des Bridgerton est une adaptation d’une saga littéraire à succès écrite en 2010 par Julia Quinn où chaque tome – il en existe 9 – insiste sur un protagonisteen particulier. La saga raconte les frasques sentimentales et torrides de jeunes gens dans l’aristocratie britannique lors de la régence anglaise. Une période marquant l’émergence des idées progressistes contemporaines où le roi George III, atteint de démence et marié à la reine Charlotte cède le trône. 

La série qui en est sortie est l’œuvre de Chris Van Dusen dans le cadre d’un accord à 150 millions de dollars avec la plateforme SVOD Netflix avec la productrice et ardente défenseuse de la diversité et du féminisme à l’écran, Shonda Rhimes. Celle-ci a rejoint Netflix à la vue de la liberté créative permise par la plateforme. On lui doit notamment la série médicale, autant que sentimentale, Grey’s Anatomy. Pour concevoir une adaptation plus inclusive que l’ouvrage de référence mais l’ancrer dans une impression de vraisemblance, Rhimes a l’idée de prendre pour un fait une rumeur vivace à cette époque-là, selon laquelle la reine Charlotte était métisse et d’origine africaine. Dans une logique d’empowerment, elle choisit de faire de cette reine, l’héritière du trône d’Angleterre, alors même que ce rôle a en réalité échu au futur George IV. Partant de là et de l’abolition de l’esclavage, elle a l’idée d’un casting donnant la part belle à la diversité à la cour du royaume d’Angleterre. Il en ressort un monde libéré du racisme et un plaidoyer pour l’égalité ancré dans l’histoire, familier tout en étant hors du temps. 

Ses anachronismes et son inexactitude historique maîtrisée sont aussi sa force, contrairement à la série à succès Gossip Girl, sortie 10 ans plus tôt. La série proposait elle-aussi un personnage omniscient très au fait des scandales sous forme d’une voix off, mais contrairement à la série de Rhymes, l’identité de celle-ci n’était révélée qu’à la toute fin de la série. Montrant là aussi les frasques d’une jeunesse dorée mais ancré dans le monde contemporain – ici l’Upper East Side de New York – la série fut – selon The Atlantic – rattrapée par les conséquences de la crise économique et financière, tant et si bien que la série diffusa son ultime épisode en 2016 dans l’indifférence la plus totale. 

Une liberté de ton qui contraste avec le formalisme des séries traditionnelles en costume comme l’adaptation de Guerre et Paix par BBC One, considéré par la critique comme l’une des meilleures séries costumées, à sa sortie en 2016. Contrairement à La Chronique de Bridgerton, les scènes érotiques de cette micro-série en 6 épisodes avaient dû être tournées de telle manière à ne pas choquer les téléspectateurs britanniques. Toutefois l’adaptation du chef d’oeuvre de Tolstoï interrogea, notamment par l’ajout d’une scène d’inceste, non présente dans l’’ouvrage d’origine.

La Chronique des Bridgerton pourrait bien constituer la pierre angulaire de la productrice dans la conception de son “Shondaland”, un  futur empire du divertissement, dont le potentiel de marque globale (trame et casting inclusif ainsi que expertise dans le marketing-to-women) pourrait à terme devenir le pendant “Girl Power” des Studio Marvel. Ted Sarandos, Content Chief Officer chez Netflix a ainsi confié au New York Times que plus de la moitié des 125 millions d’abonnés à la plateforme ont déjà visionné un show signé Shondaland. Et les résultats vont dans ce sens. Netflix ayant ainsi révélé qu’il s’agissait du meilleur lancement d’une série dans l’histoire du streaming avec une audience de 82 millions de foyers lors de ses 28 premiers jours de diffusion (là où la plateforme en attendait 19 millions de moins). Un chiffre à néanmoins nuancer dans le sens où il prend en compte les spectateurs ayant regardé au moins deux minutes. Selon les données de Netflix, la série a été N°1 dans 83 pays dont ses deux principaux marchés (Etats-Unis et Grande-Bretagne) mais aussi le Brésil, la France, l’Afrique du Sud, Singapour, l’Inde et la Thaïlande. 

La série a aussi nourri un vif intérêt pour les tenues et accessoires inspirées de ceux portés par les personnages et en premier lieu son héroïne, Daphné Bridgertone. La plateforme de recherche mode Lyst a remarqué que les recherches de corsets avaient augmenté de 123% depuis le lancement de la série. Même son de cloche de la part de Etsy. A Business Insider, la marketplace emblème du Do-It-Yourself a confié que les recherches de corsets au cours des trois derniers avaient connu une augmentation de +91% par rapport à la même période l’année dernière. Devant, ce succès, certains retailers, à l’instar de Orchard Corsets, ont adapté leur assortiment et leurs fiches produits pour capitaliser sur le succès de la série. Un phénomène que l’on avait observé en 2020 dans le secteur de la beauté où certaines marques avaient créé un contenu, voire rebrandé, des produits anti-maskne. Parmi les pièces les plus vues sur Lyst, on recense des parures de tête signées Simone Rocha et Magnetic Midnight, des corsets de la marque de luxe russe Rasario ou encore Dion Lee, et des robes signées Brock Collection et Erdem. Stylight, qui avait repéré l’attrait pour les produits Chanel dans la série Emily In Paris à l’automne dernier, a repéré un intérêt croissant (+150%) pour les robes de style empire et leur silhouette sablier avec une taille haute et une base plus ou moins évasée. Notons aussi le succès des souliers de type Mary Jane (+36%), les robes en velours (+69%) ou encore les serre-têtes – un mouvement similaire lors de Gossip Girls – (+42%). Il en va de même pour les bandeaux à perles et plumes tout comme les long gants, respectivement à +49% et +93%. Profitant de la tendance loungewear, les recherches de pyjamas inspirés de la régence ont aussi connu leur moment de gloire (+56% depuis la sortie). L’attrait pour le corset est pour de nombreux critiques liés à la décontraction des tenues de confinement. Pièce modulaire, le corset permettrait de s’habiller rapidement. Cet instrument de contrainte, reflet d’une société patriarcale, réapproprié par les femmes contemporaines devient un manifeste de féminisme et d’empowerment. A moins que la réponse ne soit dans les expérimentations réalisées par les consommateurs confinés. Mais les accessoires de mode ne sont pas les seuls gagnants collatéraux du show. Etsy relève ainsi un attrait pour des objets d’art de vivre vintage ou inspirés de la Régence, comme les services à thé, qui ont augmenté de 110 %. Si la série a une influence non négligeable dans le Regency Core, il faut aussi y voir le résultat des défilés AH20 de New York avec des robes somptueuses chez Rodarte, Christopher John Rogers ou encore Carolina Herrera. 

Le succès de Bridgerton confirme l’attrait du public pour les films britanniques en costumes comme Downtown Abbey ou encore The Crown, autre production originale de Netflix à succès. Ce Regency Core, qui découle de la Regency Romance – sorte de littérature à la fois romantique et sulfureuse fustigeant les biais de la haute société, que l’on retrouve chez Jane Austen et William Tackeray – n’est pas la seule tendance à bénéficier du suffixe “core”. En 2020 lors du confinement, le Cottage Core, sorte d’appel au vert dans une ville bétonnée et confinée, était aussi un échappatoire révé.