Avec une esthétique digne d’impressions sur papier glacée, la modeste application de partage de photos est devenue en 10 ans un réseau social incontournable. Fort d’1 milliard d’utilisateurs actifs, Instagram s’apparente désormais à un baromètre des tendances visuelles pour tout ce que la planète mode & luxe compte de marques, designers, photographes, mannequins et autres influencers. Pour la première fois l’application figure au classement Best Global Brands par Interbrand, classement qui évalue chaque année les marques les plus puissantes au monde.
“Je suis un cliché” disait le pop artist Andy Warhol à l’âge d’or des publicitaires de Madison Avenue dans les années 60. La formule n’a jamais été aussi vraie aujourd’hui tant la décennie 2010 était sous le signe de l’image et de la mise en scène de soi et de son quotidien.
L’aventure Instagram débuta en Octobre 2010. Autrement dit, l’année où un autre acteur de la sharing economy vit le jour : la plateforme de location de tenues de luxe Rent The Runway. Avec Instagram, Kevin Systrom et Mike Krieger, deux diplômés de Stanford, ont lancé une plateforme de partage de photos rehaussées par des filtres sublimateurs et autres outils de retouches photos.
Au bout de deux mois, la plateforme social media compte 1 million d’utilisateurs. Son succès fulgurant attise les convoitises et par un beau jour de 2012, Facebook rachète l’entreprise. Le groupe de Mark Zuckerberg a tôt fait de remplacer la publicité par son système de ventes automatisées. Cette stratégie fait grimper le chiffre d’affaires de 1 milliard de dollars en 2015 à 20 milliards en 2019, soit plus du quart de son chiffre d’affaires, selon l’ouvrage « No Filter: The Inside Story of Instagram », de Sarah Frier, journaliste chez Bloomberg.
En 2016, il chipe le format de vidéo éphémère à Snapchat et créé les stories Instagram. Ces vidéos verticales, visibles 24 heures, ont pour but d’inciter à des publications plus spontanées. Leur succès ne se dément pas, à en juger par les 500 millions d’internautes qui en postent chaque jour.
En 2018, Instagram compte 1 milliard d’utilisateurs. Pour marquer le coup, la plateforme lance IGTV, un format vidéo longue durée (1 heure), vertical. IGTV contraste alors avec les 1 min réglementaires initiales. Défilés, court-métrages, interviews – conversations, les marques de luxe s’en donnent à coeur joie et s’approprient le potentiel narratif et immersif.
L’expérience visual social media procurée par la plateforme est depuis devenue adjectif. Ainsi, “instagramable” s’est fait synonyme de “la photo parfaite” et la raison d’être du secteur mode & luxe pour ce qui est des défilés, points de vente retail et autres pop up stores. Désormais, le choix des mannequins et des invités placés en front row – au premier rang – se trouve directement influencé par leur nombre d’abonnés.
6e réseau le plus populaire au monde derrière Facebook et Youtube, le réseau social s’est petit à petit mué en fabrique d’influenceurs. Plus accessibles que les traditionnelles égéries, ces simples blogueurs passionnés se sont professionnalisés, promouvant des produits de la marque moyennant rémunération, les marques louant leur liberté de ton, savant mélange de proximité et de spontanéité.
Mais devant la banalisation de la pratique et la trop grande visibilité de certaines célébrités, les marques se sont progressivement éloignées des Mega influencers (+ 1 million de followers) pour s’intéresser à des individus aux communautés moins nombreuses mais plus fidèles et plus engagées : les micro puis les nano influencers (respectivement entre 10 000 – 100 000 et moins de 10 000).
Instagram est devenue la 4e application mobile la plus téléchargée de la décennie et en moins de 10 ans la terre d’élection de marques de luxe. Ces dernières ont été séduites par un esthétisme de haute volée et la création d’un contenu vecteur de proximité et d’intimité (coulisses des défilés et tournages de campagnes publicitaires, immersion dans le processus créatif du directeur artistique…), complémentaires avec le storytelling corporate de la marque. En 2019, le réseau connaît un tournant avec la fonctionnalité checkout qui permet aux marques de créer des contenus shoppable, autrement dit la possibilité pour l’utilisateur d’acheter les produits présentés dans les posts en eux-mêmes. Dès lors l’application visuelle cesse de n’être qu’une simple plateforme d’inspiration et devient une entité commerciale.
Arrivée directement à la 19e place dans le classement Interbrand 2020, Instagram et ses plus d’un milliard d’utilisateurs est valorisé à 26.060 millions de dollars. La marque se place ainsi devant Chanel à la 21e place (21.203 millions de dollars) mais derrière Louis Vuitton (17e à 31.720 millions de dollars). Notons que les deux maisons de luxe désignent les valeurs françaises les mieux placés dans le classement.
Toutefois, la popularité d’Instagram commence à s’éroder. En 2017, la plateforme révèle des travers illusoires avec le Fyre Festival, un festival de musique frauduleux qui a bien failli virer au drame. Sujet qui donna lieu à un documentaire très populaire à sa sortie sur Netflix en 2019. La plateforme peine aussi face à la poussée de la micro-vidéo. Donnant à voir un ton plus spontané et un reach plus généreux, les plateformes spécialisées comme TikTok,Twitch ou Discord sont prises d’assault bien au delà de leurs segments de niche originel. Le surinvestissement des grandes marques de mode et de luxe dans des campagnes marketing sponsorisées depuis 5 ans entraîne une crise du Reach organique (portée organique). D’après Business of Fashion, le groupe LVMH a considérablement gonflé son budget marketing en 7 ans, pour atteindre 5,6 milliards de dollars en 2018, soit 12% des revenus du groupe. Cette crise oblige les petites et moyennes entreprises à accroître considérablement leur budget social media pour émerger. Après avoir analysé 1,4 millions de posts instagram issus de 3600 profiles de marques en avril 2019, Trust Insights avait analysé l’engagement utilisateur (1,54%), 3 mois plus tard il n’était plus que de 0,9%. Un phénomène qui a aussi été constaté plus tôt sur Facebook : de 16% en 2012, il est passé à 2,27% en 2015. Il semble aussi que le changement de l’algorithme du feed en 2016 y soit pour quelque chose : le classement chronologique a été remplacé par un contenu pertinent aux yeux de l’utilisateur.
La photo parfaite et les injonctions afférentes de ses clichés commencent à lasser du côté d’une génération Z en quête de plus de sens et de moins de fake. Prenant en compte les problèmes de santé mentale (anxiété et dépression) remontées par la jeune génération, Instagram a décidé de retirer le système des likes, tandis que la seconde moitié de 2019 sonnait la fin du filtre insta-beauty, qui incitait toujours plus d’utilisateurs à ne se montrer que sous un air ultra-filtré à grand coup d’opérations chirurgicales.
Enfin, son propriétaire, Mark Zuckerberg voit d’un très mauvais oeil la cannibalisation du temps passé de la plateforme visuelle au détriment de sa marque phare Facebook, boudée par la jeunesse (à peine ⅓ des 16-18 ans utilisent encore Facebook, ils était 50% l’année dernière). En septembre 2018, las de voir les ressources d’Instagram réduites à peau de chagrin, ses cofondateurs préfèrent quitter l’entreprise, trois mois après avoir franchi le cap du milliard d’utilisateurs. Désormais Mark Zuckerberg, songe à fusionner Facebook et Instagram. Pour le pire ou le meilleur, l’avenir le dira.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.