En crise identitaire et financière depuis plusieurs années, le Groupe Gap (Gap, Banana Republic, Old Navy, Athleta) qui jadis a fait de son empreinte retail un succès, doit maintenant affronter un marché de la mode sinistré en Europe, conséquence directe de la crise sanitaire. Pris de vitesse par d’autres géants de la fast fashion avec des ventes à la peine et un retard dans l’e-commerce, l’enseigne phare de la mode accessible des 90s doit maintenant réduire ses coûts et se séparer de ses boutiques en propre sur le territoire européen. Pour perpétuer le nom et garder malgré tout un point d’ancrage sur le vieux continent, elle mise sur le modèle de la franchise.
Le Covid-19 frappe durement un marché du prêt-à-porter déjà en difficulté bien avant crise en Europe et notamment en France. Pour sécuriser sa trésorerie, l’enseigne sportswear GAP décide de rationaliser son parc de boutiques retail et de se retirer du territoire européen et se consacrer à des marchés plus performants comme son fief historique les Etats-Unis. Pour ce faire, le groupe envisage de fermer l’ensemble de ses boutiques en propres présents sur le territoire européen au deuxième trimestre 2021. Sont concernés les pays abritant ses filiales comme la France, le Royaume-Uni, l’Italie ou encore l’Irlande. Cela représente 129 magasins, dont 80 outre-manche. En France, ce sont l’ensemble des 19 points de vente dont 10 à Paris qui sont amenés à fermer. Cette vague de fermeture de boutiques physiques fait suite à une précédente série de fermetures de grande ampleur – 230 points de vente dont 8 en France – intervenue en 2019.
La décision, révélée par Le Monde et rendue publique par le groupe dans un communiqué, ne signifie pas pour autant un départ total. Pour garder un pied en Europe, le groupe mise sur le développement d’un réseau de franchisés pour transférer les risques et les investissements, tout en s’assurant un revenu régulier à même de financer sa transformation numérique. « En outre, nous sommes en train de revoir notre modèle d’entrepôts et de distribution ainsi que les activités de commerce en ligne de Gap et Banana Republic en Europe », a déclaré le groupe américain dans son communiqué.
Basé à San Francisco, le groupe aux 3666 magasins à travers le monde, a emprunté 500 millions de dollars pour surmonter la crise mais a vu ses ventes se rétracter de 18% au deuxième trimestre, à 3,3 milliards de dollars. Dans le même temps, l’activité a chuté de 48% dans son réseau de boutiques, tandis que le chiffre d’affaires a grimpé de 95% dans l’e-commerce. En Europe, les ventes ont dévissé de moitié en un an, passant de 131 millions de dollars au 2e trimestre 2019 à 70 millions de dollars au 2e trimestre 2019 à 70 millions de dollars sur la période.
Mais le COVID ne vient qu’aggraver une tendance déjà visible auparavant : l’inexorable montée en puissance des enseignes de fast fashion. D’un côté, les nouveaux leaders des années 2000 (H&M, Zara, Primark…) ont inondé le marché avec renouvellement constant des collections, un pricing offensif et une stratégie d’expansion retail inégalée, ciblant les meilleurs emplacements. De l’autre, les représentants de l’Ultra Fast Fashion – marques du groupe britannique Boohoo (Boohoo.com, PrettyLittleThings, Nasty Gal) et du californien Fashion Nova – ont non seulement accéléré leurs cycles de production, mais développé une stratégie digitale hors-pair avec le trio gagnant e-commerce – social media – influencers. Elles s’appuient désormais sur des outils de social listening pour coller au plus près des tendances observés sur les réseaux sociaux et délivrer un flot continu de styles instagramables. A côté, GAP fait pâle figure. Alors qu’il était l’incarnation du cool dans les années 1990 avec un message révolutionnaire de mode accessible et inclusive en particulier dans les produits basic (jeans et t-shirt), il peine aujourd’hui à convaincre les enfants de ses clients historiques : les millennials. Un comble pour une marque qui tire son nom du “generational gap’ – écart générationnel – qu’elle était parvenu à combler entre les hippies idéalistes et les membres pragmatiques de la génération X. Pire, l’enseigne peine à convaincre en raison d’une stratégie de pricing inadapté et un manque de variété. En comparaison, le groupe japonais Uniqlo a su plaire au plus grand nombre – et aux millennials – en déclinant dans une infinité de couleurs des produits basiques bien taillés et en misant sur l’innovation produit (technologies brevetées HeatTech, AIRism..) pour ses doudounes…), le tout en capitalisant sur une image très néo tokyo dont raffolent millennials occidentaux.
Enfin, le modèle de la fast fashion, pointé du doigt pour la répercussion de ses cadences de production sur la planète et les individus, subit une érosion de la confiance auprès de consommateurs – pour la plupart jeunes – en quête d’une mode plus vertueuse.
GAP n’est pas la seule enseigne de grande diffusion mode à souffrir des effets de la crise sanitaire. Citons dans le moyen de gamme l’enseigne masculine Celio, qui s’était placée en sauvegarde l’année dernière, annonce vouloir fermer 102 magasins en France, sur les 478 présents dans l’Hexagone. Dans la fast fashion, l’anglais TopShop voit son existence menacée suite au dépôt de bilan de son groupe-parent Arcadia.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.