A la suite de Nike, Gucci, Glossier, Balenciaga ou encore Jacquemus, de nombreuses marques ont apporté leur soutien au mouvement militant afro-américain Black Lives Matter suite à la mort de George Floyd le 25 mai dernier.
Dans un climat de défiance vis-à-vis du pouvoir et des élites, l’activisme des marques et leur politisation est de plus en plus attendue par une société civile en quête de sens et n’hésitant plus à demander des comptes. Encore faut-il que cette prise de position nouvelle, aussi altruiste soit-elle, soit suivi d’effet sur le long terme. Dans le cas contraire la marque s’expose à l’ire de consommateurs révoltés criant au woke-washing ou appelant au boycott. Au delà d’une dimension exclusivement communautaire, les marques doivent voir dans l’onde de choc BLM un appel à davantage de diversité et de justice sociale dans leur offre comme dans leurs rangs et en particulier au sein de leur conseil d’administration.
Un vif soutien des marques à la lutte contre l’injustice raciale
Le 25 mai 2020, à Minneapolis, George Floyd, un afro-américain de 47 ans meurt asphyxié par un policier blanc des suites d’une interpellation d’une rare violence. La scène est entièrement filmée. La nouvelle de cette énième violence policière envers les minorités américaines ne tarde pas à soulever l’indignation bien au delà des Etats-Unis et de la communauté noire. L’événement n’est pas sans raviver les stigmates d’une histoire américaine gangrénée par le racisme ségrégationniste officiellement en vigueur dans le pays jusqu’en 1965 (Lois Jim Crow).
Mais plus encore il ravive les tensions sociales à l’échelle mondiale auprès d’une communauté noire qui se sent délaissée, discriminée et stigmatisée entraînant notamment en Europe le déboulonnement de statues à l’effigie d’anciennes figures liées, de près ou de loin à la traite négrière.
Ce mouvement Black Lives Matter s’inspire du mouvement des droits civiques et prône une désobéissance civile non violente. Le mouvement tire sa source de l’affaire Trayton Martin, un afro-américain tombé sous les coups d’un policier en Floride en 2012. En 2013, face à un verdict prononçant l’acquittement du policier qui avait précipité sa mort, le hashtag #BlackLivesMatter – la vie des noirs comptent – avait alors émergé sur les réseaux sociaux.
De leurs côtés, les marques n’ont pas tardé à emboîter le pas et à recouvrir leur feed instagram de carrés noirs et de messages de soutien à la cause noire. Si certaines se sont contentées de simples messages génériques véhiculant des valeurs de solidarité, de paix et de tolérance, d’autres sont allés plus loin.
La marque sportive de luxe Nike a partagé une vidéo d’une minute avec le message anti-raciste détournant son fameux slogan publicitaire “Just Do It” en “For Once Don’t Do It”. Le post a récolté plus de 7 millions de vues et a même été repartagé par son rival et challenger Adidas. Converse en a fait de même. En outre, la marque au swoosh a promis un don de 40 millions de dollars à des organisations soutenant le mouvement Black Lives Matter et la justice sociale. Dans la foulée, Michael Jordan et le label Jordan se sont engagés à verser 100 millions de dollars au cours des dix prochaines années pour des causes similaires. Gucci, qui avait rajeuni son image et attiré de nouveaux consommateurs plus jeunes grâce à sa collaboration avec le tailleur du Bronx et figure du streetwear, Dapper Dan, s’est engagé à faire des dons pour la NAACP mais aussi pour CampaignZero qui milite contre les violences policières et Know Your Right Camp qui agit pour le bien-être des communautés noires. Certaines marques emblématiques de la communauté noire américaine telles que Pyer Moss, Noah, Awake ou encore Just Don se sont unis pour fabriquer un t-shirt caritatif, aux initiales de George Floyd. Un t-shirt dont 100 % des bénéfices sont destinés à être reversés à sa famille. Après avoir partagé un triptyque générique de Black Lives Matter suivi d’une vidéo virale du chanteur gospel Keedron Bryant, Simon Porte Jacquemus a posté une série de liens vers des ressources éducatives dont un lien vers une pétition dans ses Insta Stories. Le designer Christian Louboutin a partagé une note personnelle sur sa prise de conscience du racisme sur la page Instagram de la marque agrémentée d’une photo de son enfance et d’une citation de Will Smith : « Le racisme ne s’aggrave pas, il est filmé ».
Hors luxe, d’autres marques ont fait des dons à des organismes comme le géant de la SVOD Netflix qui a reversé 120 millions de dollars pour des universités majoritairement fréquentées par des étudiants noirs mais a aussi créé une page de contenu dédiée comportant près de 50 films liés à la place des noirs dans la société. De son côté, la marque de jouet Lego a versé 4 millions de dollars à destination d’ONG militant pour la défense des droits d’enfant.
Brand Activism : Une prise de position des marques nécessaire mais à hauts risques
Avec la pression accrue des consommateurs pour que leurs convictions soient entendues et la défiance pour les institutions officielles, l’activisme de marque s’affiche de plus en plus. Celui-ci consiste pour une entreprise ou une marque à défendre une opinion ou militer en faveur d’un mouvement ou d’une cause extérieure à son coeur de compétence traditionnelle. D’après le Trust Barometer d’Elan Edelman, 64% des consommateurs fondent leur choix de marque en fonction de leur prise de position sur des questions sociétales.
Si le mouvement BLM est parti d’une volonté de justice sociale pour la communauté noire, il s’inscrit dans une macro-tendance, observée bien avant ,d’un désir d’inclusion et d’un rejet de plus en plus marqué de toutes formes de discriminations et d’injonctions. Dans le luxe et la beauté elle prend la forme d’un rejet d’une vision ethnocentrée et WASP des canons de beauté. Avec ce qui n’était pas encore la maison FENTY mais une ligne de produits cosmétiques distribuée en exclusivité chez Sephora, la chanteuse Rihanna avait provoqué une onde de choc dans la filière en 2017. Forte de 40 nuances de fonds de teints, sa gamme de produit était alors adaptée à toutes les carnations (métisses, noires, très claires). Une démarche inédite rapidement suivie par les géants du secteur. A travers ses trois marques de la galaxie FENTY, l’entrepreneuse Rihanna a redéfini les codes de la beauté via l’inclusion et la diversité. C’est donc tout naturellement, que les 3 marques ont rejoint l’initiative #BlackOutTuesday et stoppé leur vente pendant toute la journée du 2 juin. Un moyen d’exprimer publiquement un soutien au mouvement mais aussi de mettre en avant l’importance de la culture noire et de l’influence de son pouvoir d’achat dans l’économie américaine. Reebok s’est fendu d’un message particulièrement puissant : “Sans la communauté noire, nous n’existerions pas. Les Etats-Unis n’existeraient pas”.
Face au mouvement black lives matter, de nombreuses marques ont toutefois préférées garder le silence, retarder leurs messages ou répandre des déclarations bien trop génériques. D’autres ont, au contraire, cherché à sensibiliser les internautes de manière plus authentique pour les inciter à s’éduquer face au racisme. Il en ressort que l’activisme au service du racisme reste un sujet sensible pour les marques de mode et de luxe.
Les marques dont le soutien s’inscrivait dans la continuité de leurs territoires d’expression et de leurs origines ont été mieux perçues. Nike avait ainsi déjà pris parti par le passé pour la cause noire. La marque de sportswear avait fait parlé d’elle avec la campagne multi-primée de Colin Kaepernick en 2018, mettant en avant un joueur de football américain engagé et controversé qui le 26 août 2016 avait refusé de se lever pour l’hymne américain lors d’un match en signe de protestation contre les violences faites aux minorités. Ben et Jerry’s a marqué les esprits en publiant une déclaration forte dénonçant une « culture de la suprématie blanche » en Amérique. Le message a été d’autant plus accepté et crédible que le fabricant de glaces s’est illustré par le passé par un activisme décomplexé que ce soit à travers le soutien pour le mariage gay ou encore le lancement d’une saveur anti-trump, dénommée Pecan Resist. Glossier n’a pas fait que témoigner son soutien par des mots mais aussi par des dons financiers en explicitant la juste répartition des sommes reversées. La DNVB de la beauté s’est engagé à donner 1 million de dollars à la cause noire en précisant que 500 000 dollars seraient versées aux ONG liées au mouvement et 500 000 dollars supplémentaires aux entreprises de beauté appartenant à des personnes noires. Par cette action exemplaire, la marque reste dans son coeur de métier et élève le débat sur l’inégalité d’accès aux investissements pour les entrepreneurs appartenant à la communauté noire.
Ensuite, pour être audible et crédible, l’engagement de la marque doit s’ancrer dans le temps voire être évènementialisée. Ainsi, plutôt que de proposer un soutien en “oneshot”, la maison Balenciaga systématise une donation annuelle le 25 mai en en faveur de l’organisme National Association For The Advancement of Colored, plus grande organisation de défense des droits civiques.
La décision du géant de la beauté l’Oréal, dans le sillage d’Unilever et de Johnson & Johnson de débaptiser ses produits blanchissants, en signe de soutien à la communauté noire, livre ici un contre-exemple fort éclairant : les mots ne suffisent pas à prouver l’engagement d’une marque. Ceux-ci doivent nécessairement être suivis d’actions sur le long terme et la mission doit figurer dans ses statuts. Ce qui est visé ici c’est le culte de la blancheur – colorisme – et des canons de beauté européens qui, bien souvent encore, diffusent une esthétique caucasienne. Ce faisant, le groupe international a été accusé de “diversity washing”. A sa suite, des réactions punitives se sont manifestées sur les réseaux sociaux avec de virulents hashtags comme #StopLoreal ou #JarreteLoreal.
La réaction eut sans doute été différente si le groupe avait pris soin de questionner, voire de remettre en cause, l’existence même de tels produits, servant à uniformiser la peau, de protéger des UV et d’atténuer les tâches brunes, plutôt que d’opérer un simple changement lexical. Si le geste de l’Oréal fut mal perçu, c’est que les internautes y ont vu de simples effets de langage face à une cause majeure. Autrement dit, comme décrit dans The Conversation, davantage « une simplification du réel plutôt qu’un engagement à déconstruire des représentations de la beauté, souvent non inclusives et donc discriminantes y compris non intentionnellement”. Toute la difficulté de la prise de décision est qu’il ne faut pas discriminer une population au profit d’une autre. Or, en Asie et notamment en Chine, les produits dits “whitening” sont très répandus afin de soigner les tâches brunes, bien loin des préoccupations de colorisme, observables en Occident.
Label with a cause : Pour une diversité en entreprise qui transcende les communautés
La colère qui gronde est symptomatique d’un besoin grandissant pour une RSE plus politisée que les américains nomment politique socialement responsable (PCSR).
Les consommateurs réclament une plus grande acceptabilité sociale et n’hésitent plus à demander des compte directement aux marques. N’importe quelle organisation peut-être confrontée à une campagne “name and shame”, réaction punitive consistant à dénoncer publiquement et nommément les mauvaises pratiques d’une entreprise, d’une marque ou d’un dirigeant. C’est le parti pris de Sharon Chuter, une ancienne cadre de l’industrie de la beauté d’origine nigériane et fondatrice de la marque nationale Uoma, qui a lancé la campagne #PullUpOrShutUp. Celle-ci met au défi les marques de beauté de révéler le nombre de personnes noires occupant un poste de direction et demande au public de boycotter les entreprises qui refusent de le faire. La page Instagram de la campagne est ainsi remplie de messages d’entreprises qui divulguent de telles informations.
Sans compter, que la récupération d’un événement non lié au territoire d’expression de la marque risque d’être perçu comme un geste hypocrite, voire à du newsjacking. Dans une vidéo publiée sur Instagram début juin et visionnée plus de 1,7 millions de fois, l’influenceuse Jackie Aina s’est insurgé contre le comportement de certaines marques “qui aiment capitaliser sur la culture noire, la musique noire, l’esthétique noire, mais qui restent silencieuses quand il s’agit de parler des problèmes et des luttes des Noirs dans notre communauté ».
Les marques de mode et de luxe ont fait beaucoup d’efforts ces dernières années pour accroître la visibilité de la diversité raciale dans leurs campagnes et sur les podiums. Pourtant d’après le dernier rapport annuel de FashionSpot, alors que la saison printemps-été avait été plus inclusive que jamais, la représentation de la diversité raciale décroit légèrement tandis que la visibilité des mannequins plus-size et transgenres est en chute libre.
Si de nombreuses entreprises ont rapidement adopté le hashtag du mouvement, elles ne semblent pas montrer le même enthousiasme dans leurs conseils d’administration : en 2020, seules quatre des entreprises américaines du Fortune 500 avaient un directeur général noir. Pourtant suite à une série de scandales nés de designs offensants en 2019, les grandes marques comme Prada, Gucci ou Chanel n’ont pas tardé à se doter d’un Diversity Board, lui même chapeauté par un Chief Diversity Officer. Un profil expert du multi-culturalisme, génèralement lui-même issus de la diversité. Une structure permettant de donner une visibilité nouvelle aux actions RSE, de lutter contre toute forme de discrimination en interne et de s’assurer qu’aucun design ne risque de près ou de loin d’offenser un client.
Mais avant de prendre la défense d’une cause et d’en revendiquer le combat, il convient pour une marque de faire preuve d’humilité et surtout d’introspection. Or, la plupart des marques qui ont pris la parole lors du mouvement BLM avaient un passif en terme de discriminations. C’est ainsi que Nike, salué pour sa campagne marketing autour de Colin Kaepernick, avait déclaré en 2017 que seuls 10% de ses 353 vices-présidents étaient noirs. Le cabinet McKinsey dans son étude Diversity Wins déclare que “les entreprises qui reculent actuellement sur l’inclusion et la diversité peuvent se désavantager : elles pourraient non seulement faire face aux retournements des clients et des talents, mais aussi, ne pas mieux se positionner pour la croissance et le renouvellement ».
Si la marque de luxe cherche à donner à voir une héros sur-humain, les consommateurs attendent le comportement d’un anti-héro avec ses failles et ses faiblesses et surtout qu’elle assume son passé. Sa prise de position doit être en droite lignée avec son identité, son histoire et s’inscrire dans la durée. Un message de soutien est toutefois perçu comme insuffisant : il doit nécessairement s’accompagner d’un don financier ou en nature.
- Lorsqu'une marque se saisit d'une cause ou apporte son soutien à certains mouvements protestataires, elle doit inscrire sa démarche dans la continuité de son histoire ou de son coeur de métier. La cohérence est guarante de sa légitimité lors de sa prise de parole.
- Si garder le silence est peu recommandé, il s'agit d'accompagner les messages de soutiens à la cause de dons financiers ou naturels. L'empathie est nécessaire mais non suffisante.
- L'engagement de la marque ne peut pas être une communication en "one shot" mais une action de long-terme.
- Il peut-être judicieux de créer un rendez-vous annuel afin de dévoiler chaque année le bilan des efforts menés au quotidien.
- La diversité et l’inclusion ne sont pas que des valeurs corporate, elles doivent prendre corps en interne à travers une politique inclusive dans la nomination des profils à des postes de direction et managériaux.
- La marque doit s’appuyer sur ses campagnes de communication pour éduquer ses consommateurs aux enjeux actuels et créer une impulsion transformative des comportements.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.