L’impact économique et social de la crise sanitaire va amener les marques, en particulier dans le luxe et la mode, secteurs par essence “non essentiels”, à une refonte de leur approche marketing où le “nous” transcende le “je”.
S’il est trop tôt pour crier à un minimalisme de rigueur, l’heure est à l’introspection pour des marques qui font face à un désir redoublé de justice sociale . A la lumière du contexte sanitaire, celles-ci doivent démontrer leur utilité au service au bien commun. Mais comment mettre en place un brand purpose marketing sans risquer de passer pour opportuniste ou, pire, adepte d’un “mission washing” éhonté ?
En combinant sincérité, intégrité et altruisme dans leur raison d’être, les marques « soignantes” ont l’occasion d’incarner le rôle d’acteur du changement. Le baromètre Elan Edelman est très clair : les individus attendent des marques qu’elles fassent les “bons” choix : pour 50% des français, le comportement des marques pendant la crise du COVID-19 sera décisif dans leurs futures décisions d’achats.
La crise, point d’inflexion en faveur du sens commun et d’une RSE plus lisible ?
La crise et le confinement ont amené les individus à questionner l’essentiel et le nécessaire. La période a aussi généré un stress financier autant que psychologique. En cela, elle annonce une mutation des attentes des consommateurs. Des éléments qui doivent être pris en compte par les marques lors de la formulation de leur raison d’être.
Cette raison d’être, que les anglo-saxons nomment “purpose” désigne une ambition d’intérêt général que cherchent à poursuivre les dirigeants d’entreprises. Une raison d’être que l’on retrouve à travers l’ouvrage de Simon Sinek, Start with a Why.
Initiée avant-crise en France et calqué sur le droit européen, la loi PACTE – Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises – a instauré le concept d’”entreprise à mission”. Elle permet aux marques d’endosser un rôle à plus forte responsabilité dans les grands défis sociétaux à venir. Cette raison d’être est un concept nouveau de ce côté de l’atlantique. Il prend racine dans le mouvement B-Corp – Benefit Corporation – apparu en 2006 et qui a été précurseur dans le fait de réunir les entreprises du monde entier qui souhaitaient affirmer leur rôle sociétal au cœur de leur raison d’être. Un mouvement qui comprend à ce jour plus de 3200 entreprises réparties dans 71 pays.
La dernière étude d’Elan Edelman montre que, dans un climat de défiance généralisé envers les grandes institutions, les consommateurs attendent des marques qu’elles aident les pouvoirs publics à accélérer leur plan de transition écologique et sociétale. De même, une étude d’Accenture de 2019 révèle que 62 % des clients attendent que les entreprises s’engagent sur les grandes problématiques comme le développement durable, la transparence ou les politiques de non discrimination à l’embauche. En cela, la crise a fourni de nombreux exemples d’implications citoyennes et solidaires hors-normes de la part des états comme des marques.
De nombreux acteurs de la distribution, notamment dans le luxe et la mode, n’ont pas hésité à reconvertir temporairement leur appareil de production dans la fabrication d’équipements médicaux (gels hydroalcooliques chez LVMH, Fabrication de masques de protection chez Kering) à réaliser des dons financiers aux établissements hospitaliers, à annuler ou reporter des commandes pour mettre en sécurité leurs employés ou à garantir à ces derniers le versement de leurs salaires malgré la fermeture de leur points de vente sans user des aides financières de l’Etat (Chanel).
Plus encore, les événements ont rappelé qu’une raison d’être ne se décrète pas, elle se vit au quotidien et irrigue chaque action, décision ou message de l’entreprise.
Bien que facultative d’après la loi PACTE, à l’heure de la nouvelle normalité du COVID, la démarche n’est plus une option. C’est ce que révèle le baromètre de confiance d’Elan Edelman qui voit émerger la notion de “marques soignantes”, à savoir, des marques qui, plus que des produits, proposent des solutions tout en préservant la santé de l’ensemble de leur parties prenantes. 87 % des sondés attendent ainsi des entreprises qu’elles se consacrent en priorité à la production de produits qui vont permettre aux individus de résoudre leurs problèmes actuels. Selon Marion Darrieutort, Présidente d’Elan Edelman, ces “marques qui agissent dans l’intérêt de la santé et de la sécurité de leurs consommateurs, mais aussi de leurs employés, de leurs fournisseurs et de la société verront leur leadership renforcé et pourront attendre un impact positif pour leur business quand la crise sera derrière nous. »
Très clairement le contexte actuel dresse un “avant” et un “après” où il faudra que les marques puissent attester de leur contribution à l’effort collectif sur la période, au risque de passer pour méprisantes ou insensibles. L’avant avait été particulièrement chargé en engagement futur pour réduire l’empreinte écologique, sans forcément être complété par des actions terrains. Aujourd’hui les actes liés à une responsabilité sociale et environementale (RSE) supplantent la parole, une démarche qu’ont préféré d’ailleurs prendre les marque de luxe comme LVMH. Celui-ci ne s’est pas fait prié pour mettre en place un pont aérien pour acheminer des masques en pleine pénurie mondiale.
L’empathie, valeur cardinale du purpose-driven marketing post-COVID
Le confinement a été un moment de questionnement pour les individus sur leurs choix et projets de vie et a rappelé le concept du “We’re all in this together”, rimant avec un vivre ensemble planétaire. Il a, du même coup, fait naître un besoin renouvelé de contact humain et de proximité. Un appel à la cohésion et à l’entraide que les marques doivent favoriser.
Fait rare pour être souligné, le COVID, érigé en ennemi commun, a fait prévaloir la santé de l’individu sur la continuité de l’activité économique, y compris sur le territoire américain. Selon l’étude Elan Edelman, 73% des personnes interrogées déclarent qu’il est du devoir des marques de protéger leurs salariés.
Cette tendance à inclure une dimension “durable” plutôt que “client-centric, se retrouve dans la formulation de la raison d’être des entreprises du CAC40. D’après l’étude Comfluence de mars 2020, la mention « durable » est ainsi en hausse de 8,2 points ( 40%) alors que “client” est en baisse de 8,8 points (36,7%). Une revendication par ailleurs très forte de la part des consommateurs.
La chaîne de restauration rapide McDonald’s a ainsi suscité un vif intérêt positif sur les réseaux sociaux en promouvant un nouveau modèle de magasin plus sûr lors de sa réouverture afin de contribuer à la sécurité des employés et des clients. Au delà du doublement des mesures de sécurité sanitaire sur place (signalétique et équipements désinfectant) la marque a inclus un élément d’innovation particulièrement différenciant et répondant aux problématiques actuelles : le service complet à table, les repas étant livrés par chariot.
La raison d’être de la marque se doit de refléter le produit mais aussi son équipe. Il est primordial que les valeurs fondamentales de la marque se reflètent dans ses initiatives RSE. Connecté à une raison d’être faisant la part belle à des valeurs d’unité et de soutien , le groupe média indien Laqshya a ainsi mis en place des distributeurs de gel hydroalcoolique dédiés au personnel de la police à Mumbai. De même, la décision des chaînes britanniques de bricolage – jardinage Homebase et B&Q, de rester fermées, malgré leur désignation comme service essentiel a été particulièrement bien accueillie par les consommateurs. Ils y ont vu une approche privilégiant la sécurité. C’est ce qu’a démontré l’enquête de réputation menée par l’Alva – Association britannique spécialisée pour les lieux accueillant du public – qui relève un impact positif sur l’image perçue. Ainsi, 81 % des personnes sondées ont accueilli positivement l’initiative des deux marques, tandis que 18 % sont restés « neutres ».
En revanche, toujours en Grande-Bretagne, la décision de la chaîne britannique de restauration Greggs de faire volte-face pour les mêmes raisons de sécurité et d’hygiène n’a pas produit le même effet. Après avoir annoncé à maintes reprises sa réouverture prochaine, le retailer a déclaré qu’il revenait sur sa décision, invoquant le risque d’un trop grand afflux de clients. Si toujours d’après l’ALVA, 70% des personnes interrogées ont déclaré avoir un sentiment « neutre » à l’égard de la chaîne, un pourcentage impressionnant de 14 % s’est montré très négatif à l’égard du plan d’action contre le coronavirus du vendeur de saucisses roulées. La raison ? D’un côté les deux entreprises de bricolage – jardinage ont démontré une réouverture réfléchie et pas “à n’importe quel prix” en soulignant dans leur communication l’importance des mesures de distanciation sociale obligatoires en magasin pour assurer la sécurité des employés et des clients. De l’autre chez Greggs, il y a eu un message contradictoire qui a pu laisser penser à une décision mal assumée. Or, il apparaît clairement que l’épisode plus ou moins traumatique du confinement rendra les consommateurs encore plus vigilants et circonspects vis-à-vis de l’attitude des marques.
Autre point sur lesquels les marques peuvent agir le maintien de l’emploi et le soutien envers leurs collaborateurs : les groupes de luxe LVMH et L’Oréal ont annoncé qu’elles maintiendraient l’emploi des jeunes (apprentissages et stages) malgré le contexte COVID.
Vers une (re)connexion des marques avec le monde réel
Pré-COVID, les professionnels du marketing accordaient déjà une importance grandissante à une raison d’être tangible.
“Monde d’avant” ou “monde d’après”, la question importe peu. Ce qui compte c’est de donner à voir une marque respectable et en phase avec son époque et ses grands enjeux (transition écologique, rejet des normes, égalité entre les sexes, lutte contre les inégalités et les discriminations….) Quelle que soit la cause choisie par l’entreprise sur le long-terme, elle doit faire partie intégrante de son éthique et s’y tenir.
Bien que la plupart des organisations reconnaissent l’importance de « donner en retour », elles n’arrivent pas toujours à créer des contenus autour de leurs actes de manière ni à engager leur public ou à l’inciter à participer. Or, la marque peut puiser sa fonction transformative dans une raison d’être claire et inspirante, d’une carte à jouer. Autrement dit, permettre à ses parties prenantes d’en sortir augmentées et rassurées sur leur potentiel. Des experts conseillent aux marques de prendre appui sur la mécanique de la science du bonheur pour accélérer leur développement. Cette matière académique, voisine de la psychologie positive et enseignée dans les prestigieuses universités de Yale, Harvard ou encore Berkeley consiste à comprendre le processus du bonheur chez un individu. Il en ressort que 2 principaux leviers, activables par les marques facilitent cette accession à un sentiment de béatitude : la gratitude et la gentillesse.
Harikrishnan Pillai, PDG et co-fondateur de TheSmallBigIdea abonde expliquant que “l’’empathie, la gentillesse et la collaboration sont les éléments qui peuvent aider les individus à traverser cette période incertaine. Si ces leviers apparaissent comme universel encore faut-il que la marque dispose d’une meilleure connaissance des aspirations de ses audiences et clients via des technologies délivrant une data certifiée pour proposer un message personnalisé. Or, trop de marques s’obstinent encore à délivrer à travers leur purpose des promesses trop génériques ou circonscrites à leur seul secteur d’activité. A cet effet, les marques devront paradoxalement adapter leurs messages de communication loin d’une idéologie purement consumériste tout en agissant sur la préférence de marque. De plus, c’est l’audience qui détermine l’objectif et la personnalité de la marque en fonction de ses initiatives.
La raison d’être s’inscrit dans un devoir de vérité et de transparence où la marque dit ce qu’elle fait et fait ce qu’elle dit. La raison d’être, une fois dans les statuts, ne saurait être exclusivement motivée par une volonté de combler un déficit de visibilité ou de légitimité. A contrario, le retour de bâton ou “backlash” envers la marque comme ses dirigeants ne se ferait pas prié. De même la formulation d’une raison d’être confondant vitesse et précipitation peut avoir raison de la réputation de l’entreprise.
Les experts s’accordent sur le fait que le purpose marketing sera l’aspect le plus critique pour une marque, dans ce contexte « post-COVID ». Cette recherche de purpose va probablement s’accélérer et toucher d’autres segments de clientèle – ne se limitant plus à des générations (millennials et Z en tête) ou à des zones géographiques spécifiques.
La pertinence du message qui découlera de ce purpose marketing en s’appuyant sur une raison d’être claire et tangible précipitera le destin des entreprises. Son incidence ne sera pas que sur ses clients et autres enthousiastes mais sur l’ensemble de ses parties prenantes dont ses collaborateurs actuels et futurs. C’est de sa capacité à rendre son utilité sociale audible que la marque et son image, s’en trouveront grandies ou affaiblies.
- Les consommateurs préfèrent les marques purpose-driven qui elles-même font preuve de davantage de résilience en période de crise. Les marques doivent faire preuve de solidarité avec les personnes dans le besoin.
- L’authenticité reste le meilleur call-to-action (CTA) qui soit pour les marques. “We’re all in this together” : la raison d’être des marques doit traduire une volonté pleine et entière de faire société.
- Se focaliser exclusivement sur une solution de survie est un mauvais calcul qui plus est court-termiste. Définir une raison d’être claire et différenciante s’inscrit quant à elle dans un temps long et permettra d’attirer à l’externe comme de fidéliser en interne.
- A la marque d’endosser un rôle transformatif où elle permet au client d’écrire une histoire dont il est le héro tout en le sensibilisant au respect de nouvelles valeurs d'intérêt supérieur. Les initiatives RSE induite par la raison d’être doivent refléter les valeurs fondamentales de la marque en cohérence avec sa personnalité et sa propre histoire. Empathie, gentillesse et collaboration font figure de valeurs clés. De plus, une raison d’être ne se décrète pas, elle se vit au quotidien et reste fidèle à la vision pionnière de la marque.
- Au delà de la signalétique et de la mise à disposition de gel hydro-alcoolique, s'interroger sur la mise en sécurité de l’ensemble des parties prenantes et pas que ses clients. Ces mesures doivent être communiquées de manière claire, efficace et en temps utile.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.