Alors que les retailers sont à pied d’oeuvre pour préparer un plan d’urgence sécurisant personnels et clients en boutique, de nombreuses innovations (paiement sans contact, BOPIS/BOPAC, inventaires consultables en ligne…) amènent à repenser l’expérience client ainsi qu’à redéfinir le rôle des magasins et des conseillers de vente.
La tendance du shopping “sans contact” impulsé par le milieu des épiceries comme le distributeur australien Woolworths dans la zone Asie-Pacifique, pourrait bien devenir la règle pour l’ensemble des magasins physiques. Et il y a urgence, si l’on en croit la prévision d’une baisse de trafic en magasin pour les biens non essentiels.
De centres de transactions à lieux d’expérience : Une reconfiguration accélérée des espaces retail
La crise sanitaire actuelle va accélérer la nécessité de repenser complètement les réseaux de magasins en termes de quantité, d’emplacements et de taille.
Une redéfinition de l’endroit et du rôle du commerce de détail physique
La stratégie de diminution des stocks et une crise de liquidités inciteront les entreprises à opter pour des magasins plus petits, accélérant ainsi une tendance amorcée avant crise, et conduiront à une reconfiguration de l’agencement.
Avec le contexte sanitaire actuel, « les points de vente physiques vont subir de nombreux changements, en termes de taille, de contenu et de message« , a confirmé Michele Pasini, partner chez Storage Associati, le studio d’architecture derrière les concepts retail luxe pour des marques comme Tod’s et Giuseppe Zanotti. Pré-COVID, il avait déjà relevé une métamorphose à l’oeuvre dans les aménagements retail avec une réduction du nombre de cabines d’essayage, une concentration des produits exposés et la mise en place d’entrées différenciées pour les clients et les fournisseurs.
C’est ainsi que les flux de circulation de la clientèle devront être modifiés. Pour ce faire les professionnels du commerce de détails pourront s’appuyer sur des systèmes de vidéosurveillance afin de mieux suivre les flux clients en boutique pour opérer un reconfiguration à moyen terme.
Aux yeux de Christopher Walton, contributeur pour le magazine Forbes, le magasin ne sera plus un lieu pour faire du shopping, mais plutôt un « quelque part » ou « quelque chose » grâce auquel il sera possible d’acquérir toutes sortes de marchandises à n’importe quel moment.
La boutique va ainsi agir “tel un distributeur automatique géant” placé là où les clients en auront le plus besoin, à savoir : à proximité de leurs bureaux, de la salle de sport ou bien encore dans le sous-sol de leurs appartements. Pour l’architecte Massimilano Locatelli, pour éviter des baux commerciaux trop prohibitifs, les boutiques pourraient même, à plus ou moins long terme, évoluer vers de simples vitrines où le client ne pourrait que regarder les articles avant de les acheter en ligne.
Pour Laura Saunter, rédactrice en chef de la section retail chez WGSN Insight, « L’avenir du point de vente retail devra s‘adapter à un consommateur qui voudra être en mesure d’opter ou non pour l’interaction humaine, à mesure qu’il se forgera sa propre expérience en magasin. Et d’ajouter, “les stratégies mises en place devront permettre peu ou pas d’interaction humaine, tout en offrant un excellent service« .
L’avènement de nouveaux espaces de vente et de collecte sains et sûrs
Pour Federica Levato, partner et responsable produits grande consommation et pratiques retail, la conception des magasins verra sa singularité renforcée : « Ils ne se ressembleront pas tous, mais il y aura différents formats afin de répondre à des demandes spécifiques [et] pas nécessairement pour vendre un produit ».
Les séances d’essayage transposés au domicile du client amèneront à repenser le rôle des cabines d’essayage dans les points de vente physiques, notamment parce que les consommateurs risquent d’être, dans un premier temps, réticents à les utiliser pour des raisons de sécurité sanitaire.
L’architecte Locatelli a envisagé des espaces retail qui pourraient comprendre des pièces séparées consacrées aux procédures d’assainissement. Dans l’ensemble, il pense que la flexibilité sera la clé des concepts de design intérieur, tandis que la VR et même le gaming redéfiniront les environnements de vente au détail.
Pour Matteo Thun, dont le studio d’architecture éponyme est à l’origine de divers projets retail dans le luxe comme le siège suisse d’Hugo Boss, la crise entraînera un besoin de modularité et de flexibilité, ainsi que davantage de verdure intérieure.
Autre annexe amenée à se développer en boutique : le micro-entrepôt, prendra encore plus d’ampleur et dépassera le seul secteur de l’épicerie (où elle a débuté) pour s’étendre à tous les domaines, y compris dans les centres commerciaux.
Pasini s’attends à ce qu’il y ait une zone séparée dédiée à l’emballage des marchandises, qui seront ensuite remises aux clients avant leur sortie du magasin ou directement livrées à leur domicile.
Concevoir des points de ventes physiques adaptés au distanciel signifie également que la navigation dans les magasins se fera l’écho de flux de circulation à sens unique, que les épiceries ont mis en place, créant ainsi un espace supplémentaire entre les acheteurs, selon Laura Saunter. En outre les heures d’ouverture pourraient être ajustées afin de permettre aux consommateurs de faire leurs achats en dehors des heures de rush.
Une expérience retail augmentée grâce à la technologie
L’urgence sanitaire a introduit de nouvelles priorités, comme en témoigne Andrea Ruzzi, directeur général européen de la mode chez Accenture, telles que des attentes accrues en matière de propreté des magasins, des ajustements du merchandising pour tenir compte de la distance sociale, des évolutions de la demande dans certaines catégories de produits, un contingentement du nombre d’acheteurs dans un magasin et une expérience sans contact.
Au commencement : le click & collect des retailers spécialisés dans les produits d’épiceries
La mise à niveau technologique a débuté dans les boutiques commercialisant des produits d’épicerie. Kroger a ainsi annoncé son premier magasin à emporter exclusivement destiné aux commandes « click-and-collect » tandis que Starbucks a annoncé son intention de de reconfigurer ses points de vente en magasins à emporter dans un avenir proche.
Cette accélération des épiceries DTC (Direct-to-Consumer) d’un genre nouveau et seule option désirable afin d’éviter les mouvement de foule et les scènes de panique, s’avère un véritable succès. Ainsi, au début de l’année, le FMI a révisé ses estimations concernant les ventes de produits d’épicerie en ligne aux États-Unis, les faisant passer de 100 milliards de dollars il y a seulement trois ans à près de 150 milliards de dollars.
L’enseigne de grande distribution texane H-E-B a créé un service de commande à destination des seniors tandis que l’enseigne Target a vu son activité épicerie exploser.
L’ère de la transaction commerciale et omnisciente “sans contact”
L’autre technologie en plein essor est le paiement “sans contact” par carte bancaire.
Avec 80% d’utilisateurs, la carte de crédit demeure le moyen de paiement préféré des américains selon une étude Bain de 2018. Elle est suivie par les espèces (79%) et les cartes de débit (59%). En revanche l’Apple Pay n’est utilisé que par 9 % de la population. Ce système a déjà été mis en place par de nombreux retailers comme Target et Starbucks. Walmart est allé plus loin en proposant à ses clients d’utiliser le service Walmart Pay sur son application éponyme pour permettre le paiement via le scan d’un code-barre. « Nous avons des clients retailers qui constatent déjà une utilisation importante et spontanée du paiement sans contact, enregistrant une augmentation de 20 à 40 % de l’utilisation, en particulier via des services comme Klarna et AfterPay », estime Nikki Baird, vice président innovation retail chez Aptos, qui prévoit également la mise en œuvre de microcrédits « buy-now-pay-later » à l’avenir. Face au succès d’Alipay (Alibaba) et WeChat Pay en Chine, de nouveaux acteurs du paiement accélèrent le processus de transaction, notamment Satispay en Italie et la société de technologie de paiement Nexi qui permet aux utilisateurs de recevoir un message texte contenant un lien pour effectuer une transaction « sans être redirigés sur une plateforme e-commerce » ou une application.
De même, il ne sera plus nécessaire pour les clients de faire la queue à une caisse : L’utilisation de devices personnels permettra aux vendeurs d’enregistrer la transaction à n’importe quel endroit de l’espace de vente, Les espaces de paiement pourront prendre la forme de d’installations mobiles « scan-and-go » comme au Sam’s Club Now ou prendre la forme des 20 points de vente retail sans caisse sur le territoire américain du concept Amazon Go. Dans ce dernier cas, le client scanne un code-barres pour entrer dans le magasin puis est libre de prendre tout ce qu’il veut dans les rayons et d’en ressortir aussitôt.
BOPIS et BOPAC : services omnicanaux pour rediriger le client vers le magasin
De l’aveu de Christopher Walton, l’innovation la plus prometteuse, mais dont l’infusion technologique sera sans conteste la plus longue, reste le BOPIS (Buy Online PickUp In Store) qui se voit conférer un nouveau rôle avec cette crise. Ce système, adopté entre autre par Walmart, prends de multiples forme, d’un click & collect à la Kroger tout comme via des casiers à emporter, en passant par des consignes jusqu’à des drives-distributeurs automatiques.
De l’autre côté, de nombreuses collectivités locales ont conditionné l’ouverture des magasins de détail non essentiels à la possibilité de fonctionner exclusivement via une BOPAC. Ce service “Buy Online, pickup at curbside”, initialement apparenté aux produits d’épicerie, mis en place par un centre commercial Westfield en Australie, consiste à acheter online et à récupérer son achat sur le bord du trottoir. Un service qui permet d’économiser sur le personnel et les frais d’expédition tout en étant particulièrement utile pour le retailer d’un centre commercial ne disposant pas d’ une entrée donnant sur l’extérieur.
Enfin des véhicules autonomes et itinérants pourraient être stockés par le point de vente pour aller directement à la rencontre du client et ainsi délivrer leur colis.
Une réinitialisation métier : Un vendeur connecté et en sûreté
Avec le coronavirus le métier de retailer s’en trouve bouleversé : il s’agit désormais d’aider le client à acquérir rapidement et facilement ce qu’il recherche.
Pour ce faire la technologie agit comme un facilitateur métier et une extension du rayon d’action du professionnel. Le simple fait de mettre les conseillers de vente du magasin, sur les médias sociaux, de vendre localement et à leur réseau de clients, est un moyen puissant d’amener le magasin aux clients.
D’après Erika Andreetta, partner chez PwC Italia et responsable du conseil aux retailers et aux consommateurs, « la sécurité des clients et du personnel sera, à court terme, la priorité numéro un ». Pour rassurer les clients, les les magasins disposent de nombreuses options possibles comme des thermocontrôleurs à l’entrée. Ces derniers serviront à contrôler les clients et les zones de sécurité équipées de masques de désinfection et de protection à distribuer aux clients. Ainsi, les poignées de porte à commande vocale, les meubles et textiles antibactériens pour les tapis et les cloisons des cabines d’essayage deviendront la nouvelle norme, tandis que les matériaux transparents contribueront à restaurer la confiance des clients.
Des robots/drones intelligents devraient être en mesure d’identifier les rayons qui éprouvent le besoin d’être approvisionnés à des fins de tri, de déterminer les zones du magasin les plus exposées au risque d’infection en fonction des flux de circulation et des comportements clients observés voire même de procéder au nettoyage de la surface de vente.
« Même dans l’immédiat, lorsque les gens auront à juste titre peur d’aller dans des magasins physiques, la relation humaine sera de plus en plus forte », a déclaré Federica Levato, Partner et leader des produits de consommation et des pratiques de vente retail au niveau mondial chez Bain & Co. Elle a noté que les vendeurs évolueront de simples vendeurs à des entertainers, en engageant les consommateurs d’une manière beaucoup plus avancée via la technologie.
Grâce à des plateformes numériques telles que Hero et Whisbi, les utilisateurs visitant le site de commerce électronique d’une marque ou d’un retailer pourront demander à se connecter en direct avec les vendeurs pour recevoir des suggestions sur les nouveaux produits, les tendances et les tailles, avant d’être éventuellement redirigés vers l’article souhaité sur la boutique en ligne pour compléter l’achat. Ces outils renforceront également l’approche proactive des vendeurs, qui pourront engager des conversations numériques pour tenir les clients informés et les inciter à visiter le magasin physique.
Une prise de rendez-vous avant-visite, via des outils comme OpenTable, contribuera à réguler le trafic mais aussi à personnaliser l’expérience client en magasin, notamment dans le cas des marques de beauté. « Les clients devront sélectionner les articles qu’ils veulent essayer en ligne avant de se rendre au magasin et les trouveront disponibles à la date et à l’heure prévues pour le rendez-vous », a confirmé Andrea Ruzzi. Un tel service sera aussi valable au sein des enseignes moyen-de-gamme et accessibles. Pour ce qui est des marques de luxe, habituées à traiter les clients de manière personnalisée, Erika Andreetta, de chez PwC Italia, pense qu’elles vont recréer l’écart avec les autres retailers en adoptant un modèle de vente retail « en atelier », dans lequel la formation du personnel et l’introduction de la technologie seront des facteurs clés de succès.
Pour accompagner cette mise à niveau de l’expérience client et l’upskilling des équipes, disposer d’un CRM de gestion de la relation client s’avèrera essentiel tandis que les marques devront se concentrer sur la reconstruction et l’élargissement de la clientèle locale. Il sera alors essentiel de permettre aux consommateurs de s’inscrire et de sauvegarder leurs préférences et leurs informations personnelles, ainsi que de les intégrer dans l’ensemble des points de contact, afin de mieux s’engager avec eux.
C’est un fait , les clients ne devraient pas revenir tout de suite à leurs anciennes habitudes et le trafic en magasin physique risque sérieusement d’en pâtir. Néanmoins cette épreuve aura permis aux professionnels de faire un pas de géant dans la digitalisation de leur point de vente et de préparer l’avènement d’un retail 4.0, un retail plus confortable, plus sûr, réinventant du même coup l’expérience client. Le client pourra ainsi choisir le service et l’interaction désirée. Il deviendra essentiel pour la survie des magasins, en particulier dans les malls et autres centres commerciaux de s’assurer que le client puisse sortir récupérer ses produits et même si « sortir » signifie se rendre au bord du trottoir comme dans le cas d’un BOPAC.
Pour Christopher Walton, cela signifiera d’avoir moins d’individus (clients comme employés) mis en danger et un modèle de distribution davantage autosuffisant pour les retailers.
- Poursuivre l'expérience client physique. Selon Aptos, le retail physique n’a pas dit son dernier mot. Un de ses clients prévoit que 50 % de sa croissance en Chine proviendra, pour le reste de l'année 2020, de la vente en direct tout en coexistant avec le modèle des épiceries en ligne. Le point de vente physique restera le principal point de contact pour les marques de luxe pour communiquer leurs valeurs et leurs histoires. Néanmoins, avec des stocks moindres, la boutique devrait voir sa taille réduite et devenir à l’avenir plus évolutive. Enfin, l'adoption d'une approche omnicanale efficace et centrée sur le client définira le succès d'une marque pour mieux répondre aux demandes des consommateurs.
- Renforcer les moyens de paiement "sans contact" et sans espèces, y compris les auto-chèques via des appareils mobiles. La carte de crédit reste le moyen de paiement préféré des américains. Le paiement peut se faire via une installation de terminaux “scan-and-go” ou d’un système intégré d’identité numérique unique à la Amazon Go. Plus encore il s’agit de veiller à mettre à disposition du client comme du conseiller de vente des surfaces tactiles plus saines et donc plus sûres.
- Permettre à la clientèle de sortir récupérer les produits achetés en ligne même si cela implique pour le client de “sortir” sur le trottoir attenant au magasin (BOPAC). Le marché des commandes online de produits d’épicerie a connu une croissance à 3 chiffres lors du confinement en Chine.
- Faire du digital le premier point de contact du point de vente en se concentrant sur la reconstruction et l'élargissement de la clientèle locale. Le retailer pourra s’appuyer sur un contenu interactif engageant, un catalogue en ligne proposant un inventaire produit en temps réel tout comme la possibilité de prendre un rendez-vous. En effet le client devra pré-sélectionner en ligne avant sa venue en magasin les produits qu’il souhaite essayer. Ce faisant il sera primordial de s’assurer de l’alignement du stock en magasin et online.
- Personnaliser la relation client à l’aide d’un outil CRM et analytics performant, de manière à progressivement abandonner une expérience client “sans visage”. Il sera essentiel de permettre au client de s'inscrire et de sauvegarder ses préférences et ses informations personnelles, ainsi que de les intégrer dans tous les points de contact. Une démarche d’autant plus pertinente pour les marques MDG et accessibles. Des apps proposant des services additionnels et facilitant le dialogue sans contact entre client et vendeur peuvent y contribuer. Les marques de luxe pourraient se différencier en intégrant dans leur programme de formation et dans leur cérémonie de vente une expérience “en atelier”.
- Amener le magasin au client, surtout si celui-ci est isolé par le biais des applications mobiles ou des médias sociaux. Le live streaming et le social selling porté par Wechat fait des émules en Europe avec la fonctionnalité shopping d’Instagram ou l’app Facebook Shops.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.