Alors que des réouvertures prennent enfin forme dans une  nouvelle normalité, nombre de professionnels du retail, notamment dans les univers du “touch & feel” comme la beauté et la mode, ont vu leurs revenus et leur trésorerie considérablement entamés par les brusques fermetures administratives résultant de la crise sanitaire. Si l’on en croit l’émergence de nouveaux comportements de consommation plus frugaux et les mesures de distanciation sociale, la reprise ne rimera pas avec “business as usual”. La crise a toutefois mis en lumière la nécessité, pour les retailers, d’accélérer leur transformation digitale : qu’il s’agisse de transférer momentanément l’activité sur un canal e-commerce ou de réengager ses clients confinés. Voici ici un plan de bataille efficace pour des professionnels du retail déjà éprouvés avant COVID. 

 

La sécurisation et le développement du cash flow, une question de survie pour les retailers

Pour les retailers, la crise du COVID vient se superposer à une crise de la rentabilité face à la force de frappe des géants du e-commerce (en termes d’offre, de tarification ou de délai de livraison), tirant toujours plus les prix vers le bas et à leur prise galopante de parts de marché. 

Il est clair que la reprise qui s’amorce n’est pas un retour à la normale. Il s’agira plutôt d’une reconstruction très lente et progressive de la demande des consommateurs et beaucoup détaillants ne survivront pas dans leur forme actuelle

Selon Antony Karabus et Farla Efros, respectivement CEO et président de l’entreprise de stratégie Retail HRC, la demande totale des consommateurs pour des articles « non essentiels » sera probablement réduite de 50 % au cours du prochain trimestre et de 20 à 30 % pour la période des fêtes. De même, les détaillants dont les bilans sont très endettés, demanderont probablement une protection contre leurs créanciers et seront tentés de liquider ou de fermer une grande partie de leur parc de magasins. Ce constat, observable sur le marché canadien, qui déconfine progressivement son économie, devrait se retrouver dans les autres pays occidentaux. 

Aujourd’hui certains retailers, en particulier les plus petits et les indépendants font face à des dettes à honorer et une nécessité de financer la reprise de croissance que ce soit en matière d’équipement technologique comme en terme de réorganisation des réseaux logistiques (en particulier pour le dernier kilomètre).  

Dans un moment aussi décisif, le salut viendra des liquidités disponibles, car oui “Cash is King”. Pour les experts de HRC, les coûts d’exploitation augmenteront considérablement pour servir les clients dans un environnement plus « sûr ».

Dans un premier temps il s’agit de protéger et de renforcer les liquidités disponibles. Pour cela il peut être judicieux de prévoir de solides flux de trésorerie glissants sur 13 semaines afin d’actionner les mesures nécessaires afin de réduire l’érosion du cash jusqu’à ce que la demande reparte. 

La règle est d’annuler ou de reporter au maximum toutes les dépenses non essentielles qui ne généreraient pas un ROI de deux ou trois ans.  Dans cet ordre d’idée il convient de différer les remaniements non essentiels des magasins, de négocier avec tous les vendeurs afin de mettre au point des modalités de paiement différé pour toutes les dettes en cours. 

Conserver une communication régulière avec les prêteurs sur actifs et autres prêteurs sur garanties s’avère essentiel pour réduire le risque de défaut de liquidités. Il sera alors envisageable d’explorer d’autres stratégies d’atténuation du risque de crédit-bail pour conserver ces liquidités. 

Le développement des liquidités peut passer par une concentration de l’offre et/ou des magasins en activité. Il peut s’avérer utile de faire appel à un liquidateur pour effectuer des ventes de liquidation dans les magasins qui ne seraient pas en activité.

Retenir ou retarder le paiement du loyer des magasins les plus faibles, voire de tous les magasins est une option qui permettra d’économiser de l’argent et de renforcer la position de négociation. Attention toutefois, de telles stratégies d’atténuation des risques immobiliers s’accompagnent de risque de mise en défaut de paiement.

Une coupe drastique dans les coûts de main-d’œuvre comme dans le marketing n’est pas une solution viable : ce ne sont que des solutions court-termistes, préjudiciables à long terme sur l’image et les résultats du point de vente.

Il est conseillé de faire appel à un professionnel de la réduction des loyers, réputé pour son impartialité, pour explorer des stratégies viables et négocier au nom du retailer avec le propriétaire pour mettre fin aux magasins secondaires et de réduire les coûts de location ou de passer à un loyer à indexé à un pourcentage de chiffre d’affaires lorsque cela est possible.

A moins d’être essentiel à la reprise de l’activité, l’ensemble des postes ouverts devront être annulés, de même que toutes les dépenses discrétionnaires sans remboursement clair devront être reportées. 

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Vers une adaptation de l’offre/service retail en fonction de la demande client ou partenaires. 

Point essentiel abordé précédemment dans le cas du marché indien, il convient de connaître parfaitement le profil de ses clients. Autant le dire de prime abord, il sera sans doute nécessaire (si ce n’est pas déjà le cas) d’investir dans un outil CRM (Customer Relationship Management) performant. 

Il va falloir dresser un inventaire des produits distribués et, au regard des résultats des ventes précédentes, se concentrer sur les produits best-sellers, quitte à réduire un temps la taille de l’assortiment.

Ensuite, il va s’agir de déterminer la quantité de stocks qui peuvent être mis en vente au printemps et à l’été 2021 et les stocks qui doivent être dégagés pour faire place à l’automne. 

Etablir des prévisions réalistes de la demande des consommateurs par trimestre, d’ici à 2022 s’avèrera précieux pour guider les acheteurs de marchandises dans la planification des flux de trésorerie futurs.

Afin de déterminer la viabilité du magasin, il s’agira de se fier à la prévision de la demande des clients. 

Exercice au long cours, il faudra développer des processus disciplinés de gestion du cycle de vie des produits à la vente afin de minimiser l’érosion des marges mais aussi de perfectionner la rentabilité des stocks à mesure de leur vente.

Par ailleurs, trois stratégies peuvent être actionnées pour faire correspondre l’infrastructure organisationnelle aux tendances émergentes du marché. 

C’est que la période se prête à l’esprit collaboratif en impliquant l’ensemble des parties prenantes et même les marques concurrentes. 

En fonction des capacités de production et des besoins émis par des partenaires, un ajustement même temporaire au niveau de l’infrastructure, du portefeuille de produits/services et de la voie d’accès au marché pourra être mis en place. 

Le choix le plus répandu dans cette crise a été de conserver la même infrastructure en produisant de nouveaux produits. Ce sont ainsi les marques de luxe qui ont reconverti leurs appareil de  production de parfums pour produire du gel hydroalcoolique ou encore les marques de mode qui se sont mises à produire des masques et des surblouses. 

De son côté, la société chinoise Huami, fabricant de smartwatch liée à l’activité physique, travaillant avec Xiaomi, s’est reconverti dans la data analytics. En examinant les données auprès de 115 000 utilisateurs à Wuhan et dans les régions avoisinantes de juillet 2017 à février 2020, Huami a découvert une anomalie dans les données de janvier sur le rythme cardiaque lors du sommeil. La marque développe désormais un système d’alerte précoce pour détecter de telles défaillances cardiaques. 

A l’instar de Walmart, il est possible de délivrer le même produit/service mais cette fois-ci par l’intermédiaire d’infrastructures différentes. Le retailer a ainsi l’intention de faire appel à 150 000 employés temporaires aux États-Unis pour répondre à une demande accrue. L’entreprise américaine cible les profils issus des secteurs de l’hôtellerie et de la restauration, menacées de licenciement.

D’autres retailers peuvent choisir de continuer de se consacrer exclusivement à leur produits mais via des canaux différents. C’est le cas de la marque de produits de beauté Lin Qingxuan. Pour la Saint Valentin, la marque chinoise a décidé de mettre à contribution plus de 100 conseillères de vente pour développer son versant social selling. Résultat : en seulement deux heures de livestreaming les ventes d’une conseillère ont égalé celles de quatre points de vente retail et la marque a enregistré pour le mois de février, une hausse de ses ventes de l’ordre de 120 % par rapport à l’année dernière.

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Digital et e-commerce : armes de réengagement massif pour le magasin Brick & Mortar

Afin de prévoir de manière réaliste la demande des clients, une transformation numérique s’avère plus que nécessaire.  

Mike Rittler, Head of Retail Card Service à la Banque TD, souligne la nécessité pour un retailer de bénéficier d’une solide présence en ligne pour maintenir l’intérêt des clients et prospects au regard du point de vente comme de ses produits pendant cette période.

Les retailers en difficulté doivent privilégier le maintien d’un contact étroit avec leur clientèle par le biais de contenus engageants ou de formulaires numériques lorsque la rencontre de visu est impossible ou réduite. C’est ainsi que la marque de sportswear de luxe Nike s’est engagée auprès de ses clients chinois par la voie numérique en leur proposant des séances d’entraînement à domicile. Ainsi, sur la période de décembre 2019 à fin février, Nike a enregistré une croissance de plus de 35 % de ses ventes e-commerce dans la Grande Chine par rapport à la même période l’année précédente. 

Les clients à la recherche de réponses et de conseils se tourneront très probablement vers les médias sociaux. Il ne faut donc pas négliger l’efficacité des réseaux sociaux pour favoriser les interactions. Il s’agira de réagir aux demandes et aux préoccupations des clients, mais aussi pour fournir de manière proactive des mises à jour sur la situation actuelle de votre entreprise.

Une fois la composition de l’inventaire déterminée, il y aura lieu d’assurer une forte capacité omnicanale qui permettra à l’inventaire ne satisfaisant pas aux demandes locales de répondre aux commandes numériques. 

Ce sera l’occasion de développer des services comme le click & collect – que les américains appellent Buy-Online-&-Pickup-Instore (BOPI), autrement dit la possibilité pour le client de venir retirer en magasin son achat fait sur internet tout comme le ship-from-store, autrement dit la possibilité pour le client que le retailer lui délivre son achat directement à son domicile. 

En fonction de l’expiration du bail, il peut être utile de procéder à une hybridation du rôle des magasins afin qu’ils servent à la fois de mini-centre de traitement numérique et de centre de traitement omnicanal

En cette période, une règle d’or demeure : pas de surpromesse. Il est ainsi inutile de proposer un service e-commerce si la livraison s’avère impossible. Pour les cas où le client ne pourrait pas avoir accès à la boutique, il convient de proposer au client la possibilité d’acheter une carte cadeau virtuelle afin de soutenir le point de vente et de permettre à celui-ci de l’utiliser lors de la réouverture. 

Par sa violence et son universalité, le COVID constitue un événement sans commune mesure avec les précédentes récessions et autres événements économiques qui ont pu ralentir les affaires des retailers. Si d’innombrables entreprises ont dues prendre des mesures réactives pour éviter des pertes plus importantes, elles ont compris l’impérieuse nécessité de l’omnicanalité pour faire face à la fermeture de leurs réseaux de boutiques physiques. Il en va de même de la nécessité de disposer d’un plan d’urgence afin de se tenir prêt face à la prochaine crise (qui répond à un cycle de 1 an à 18 mois en moyenne). 

La crise a constitué un formidable vecteur d’accélération dans les usages numériques (travail à distance, numérisation de documents administratifs, généralisation des solutions et moyens de paiement “sans contact”…) , il s’agit donc de rejoindre et de poursuivre ce mouvement. Comme le rappelle Mike Rittler, les vrais leaders émergent en temps de crise, et tout le monde se tourne vers les leaders pour surmonter cette crise. En outre, ce sont les entreprises qui donnent la priorité aux besoins de leur personnel (clients, employés et partenaires) qui prennent les meilleures décisions sur le long terme.

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A Retenir
  • Sécuriser l’existant afin d’accroître la capacité en cash flow : annuler ou reporter toute action “non essentielle” qui ne génèrerait pas un ROI sur 2 ou 3 ans. Pour faire face à une soudaine érosion du cash qui pourrait advenir, Il peut être utile de prévoir de solides flux de trésorerie glissants sur 13 semaines. Disposer de liquidités permettra de financer l’équipement technologique du magasin comme de répondre à un accroissement prochain de la demande. 
  • Évaluer la situation de l'inventaire et miser sur les produits best sellers en analysant les précédents résultats des ventes. Il s’agit de déterminer la quantité de stocks qui peuvent être mis en vente au printemps et à l'été 2021 et les stocks qui doivent être dégagés pour faire place à l'automne.
  • Prévoir de manière réaliste la demande des clients par trimestre, jusqu’à 2022 via une transformation numérique idoine. Disposer d’un canal e-commerce n’est plus une option. Envisagez d'élargir l'éventail de l’offre de produits en ligne mais aussi des services (BOPI, ship-from-store). S’il n’est pas possible de vendre et d’expédier en ligne, il s’agit pour le retailer de proposer des cartes cadeaux pour impliquer les clients dans le soutien de la boutique. Pour les retailers en situation d’urgence, il peut être judicieux d’adresser un formulaire numérique pour sonder les attentes. Pour les retailers en position de force et ayant développé un modèle omnicanal, il s’agit de focaliser leurs efforts sur le développement d’une expérience client online sans couture (simple et agréable).
  • Dimensionner le parc de magasins. Il est possible de réduire les coûts de location en fermant les magasins secondaires et en passant à un loyer indexé à un pourcentage de chiffre d’affaires.
  • Enclencher un plan de réengagement massif à l’aide du numérique en amont et pendant la période de réouverture. Pour cela répondez aux questions et attentes de l’audience par une stratégie de contenu engageante sur les médias sociaux ou via une action de marketing direct reposant sur une campagne e-mailing. Bien que les magasins soient fermés, il convient de valoriser et de remercier les clients fidèles. De même, les retailers sont invités à continuer de s'engager avec leurs vendeurs et partenaires. Cela peut prendre la forme d'offres spéciales par l'intermédiaire de leur partenaire financier ou de collaboration avec des distributeurs pour offrir la gratuité des frais de port.
  • Faire correspondre l'infrastructure organisationnelle aux tendances émergentes du marché en agissant sur les 2 leviers produits et canaux. Les retailers  suffisamment agiles pour ajuster leur infrastructure, leur portefeuille de produits/services ou leur voie d'accès au marché pourront disposer d’opportunités significatives.