Avec un impact inédit par sa durée et son ampleur, le COVID-19 a brutalement perturbé les approvisionnements du secteur du luxe et commence à esquisser de nouveaux comportements consommateurs, sur lesquels les professionnels du marketing devront capitaliser pour s’adapter à un monde « avec » le virus.
Une nouvelle normalité qui devrait accélérer des tendances initiées avant crise. Pour le secteur de la beauté, les mouvements de fond mis en lumière par Mintel en 2019, comme le lien entre nature et science ou la dichotomie connexion/déconnexion devrait se poursuivre.
Momentanément amputée de son réseau de boutiques et de ses ventes en travel retail, le secteur beauté devrait, selon Mintel, connaître une chute de son chiffre d’affaires de l’année de 20 à 30% par rapport à 2019.
Or, comment dessiner un futur désirable pour un secteur faisant appel au sensoriel à l’ère du “sans contact” et de la virée shopping masquée ?
Si le segment cosmétique pourrait connaître un rapide rebond, l’avenir du segment beauté de prestige semble, lui, plus incertain. A moins que les marques ne modifient leurs techniques d’approches vis-à-vis du client final.
COVID-19, un accélérateur de la clean beauty à l’ère du shopping masqué
Fermeture des flux aériens oblige, le tourisme reste le secteur le plus touché, tous pays confondus et avec lui c’est toute l’économie du travel retail qui se retrouve ankylosée. Or, s’il est un domaine qui s’appuie véritablement sur le shopping en aéroport, c’est bien le secteur de la beauté et des cosmétiques.
Générant 500 milliards de dollars de ventes par an selon McKinsey & Company, le marché se caractérise par ce que les américains appellent un “face-to-face service”, où les soins comme essayages se font en magasins. Connaissant une croissance stable depuis 2005, le marché est dominé par 4 pays représentant 36% des ventes : les Etats-Unis, le Japon, le Brésil et l’Allemagne. Toutefois, selon Euromonitor, la Chine devrait dépasser le marché américain en taille d’ici 2023. Fort d’un marché historiquement lié au soin de la peau, la beauté en Chine a grimpé de +6% en 2018 pour générer 320 milliards de dollars de ventes retail. Cependant comme en témoigne l’étude The LookOut par Publicis Sapient et Content Square, le secteur de la beauté n’a pas été touché de la même manière suivant les marchés. Ainsi, si en France, les produits cosmétiques, au même titre que les produits mode et luxe, ont été durement touchés, du fait d’un réseau retail paralysé et d’un e-commerce beauté peu développé, c’est bien l’inverse qui s’est produit aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
Côté marques, la division Active cosmetic chez L’Oréal a grimpé de +13,2% au global et a connu une croissance à deux chiffres dans la zone Asie-Pacifique, porté par le Japon et la Chine. Tendance observée pré-covid, le marché des soins de la peau connaît une croissance plus rapide que le maquillage. Si le confinement a mis les nerfs des populations à rude épreuve, le stress engendré par la peur de la contagion et le confinement, tout comme le lavage systématique des mains avec du gel hydroalcoolique, n’est pas sans influence sur la peau. Voilà pourquoi tout ce qui avait trait au soin de la peau et du corps a connu un véritable boom (en France, la savonnette de luxe a enregistré une hausse de +800% de ses ventes la première semaine du confinement d’après NPD). De plus, les occasions de représentation se faisant plus rares, hormis quelques réunions en visio, la clientèle s’est détournée du make-up. Sur le site leader du e-commerce chinois, Alibaba, les ventes de produits cosmétiques et de soins ont chuté en janvier, tandis que les soins et masques du visage ainsi que les baumes pour lèvres ont bondi en février. De son côté le groupe l’Oréal a constaté durant le confinement une désaffection du make-up et un ralentissement du soin de visage. En revanche la consommation de produits de toilette pour le visage, d’hygiène, de soin pour cheveux et de coloration à domicile ont connu une augmentation.
Le déconfinement devrait confirmer cette progression, port du masque et incertitude financière obligent. Le constat est clair, d’après McKinsey & Company, l’opportunité des marques cosmétiques se trouvent dans “les traitements au dessus du masque”. Il apparaît d’ailleurs que le masque, en dissimulant la bouche, complique la compréhension des émotions et les interactions physiques et délègue tout le signifiant sur le regard de l’individu. Voilà pourquoi, le COVID-19 pourrait marquer l’avènement d’une ère où le parfum, les soins pour cheveux tout comme l’eyeliner ou le mascara pourrait gagner en importance. C’est en tout cas l’observation des membres de SOS Beauty, qui considèrent que le confort va supplanter la couleur. L’idée même de beauté est challengée par un visage reflétant une bonne santé et l’idée de vivre en harmonie avec soi-même. Le confinement a d’ailleurs montré des interprétations très créatives du contouring des yeux.
Pourtant, dans ce climat anxiogène, les marques de beauté doivent répondre présent à la quête de sécurité et de bien-être poursuivie par une clientèle recherchant des repères/routines rassurant.es et régénérant.es. Mintel écrivait en 2019 que la clean beauty, devait être la norme dans le secteur d’ici 2030. Or, la crise aidant, cette prédiction pourrait bien, elle aussi, survenir plus tôt que prévu. Face au risque de contamination et à l’importance incontestée de la santé, les clients risquent d’être encore plus vigilants et attentifs quant à la composition et à la liste des ingrédients, corrélée à leur efficacité.
Un segment prestige menacé par un arbitrage budgétaire renforcé
Le déconfinement rime avec liberté retrouvée mais aussi une réalité différente, avec gestes barrières, attrait pour la sécurité des transactions “sans contact”, sorties shopping masquées perturbant les interactions sociales… et incertitude économique.
Mintel, qui a publié une étude dédiée au COVID, a révélé que 37% des sondés estiment leurs statut financier menacé par la pandémie. Les marques devront donc pleinement considérer l’état des finances de leurs consommateurs en matière de messages et d’offres. Surtout que, pour tous les clients qui se seraient détournés de leurs marques de prédilection, pour des options moins onéreuses, un retour n’est pas assuré. Dans cet environnement, les marques de prestige risquent fort de perdre pied face à des marques plus accessibles.
Le segment prestige a été particulièrement touché. La division Luxe de l’Oréal a vu son chiffre d’affaires chuter de -9,3%, dû à un trou d’air sur la catégorie maquillage, à la fermeture de ses boutiques en propres et de ses points de vente en travel retail. Les résultats du 3e trimestre 2020 du groupe Procter & Gamble ont été grevé par de mauvais résultats sur sa marque SK-II. Pour Laurie Du, analyste chez Mintel si la pandémie ne parvient pas à être maîtrisée rapidement, il pourrait s’en suivre une perte d’attractivité, du moins temporaire, du segment beauté prestige.
Côté parfums, les commandes d’extraits naturels ont chutés avec la pandémie. La perturbation des approvisionnements en matières premières n’a rien arrangé pour les producteurs de parfums : la matière première clé, l’alcool, sur-demandé par le corps médical dans la lutte contre l’épidémie et par les industriels pour produire du gel hydroalcoolique, s’est raréfié. Les producteurs se sont donc mis à appeler à la rescousse leurs clients historiques. La tentation d’une relocalisation de la production, souhaitée par certains, dans une logique de meilleure gestion des coûts et des approvisionnements, se révèlerait à bien des égards un véritable désastre économique et social pour les régions qui en ont fait leur activité vivrière. Il est aujourd’hui vital pour ces producteurs de mettre en place des politiques d’achats avec des engagements contractuels et une politique systématique de préfinancement.
Dans cette crise sanitaire, le monde du parfum, produit par essence non essentiel, est particulièrement touché, qu’il s’agisse de son segment mass-market comme luxe. Cette crise vient s’ajouter à la raréfaction pré-COVID de certains produits à cause du dérèglement climatique. La prévalence des plantes dans les parfums diffèrent suivant le segment : de grands volume d’extraits naturels peu onéreux comme la citronnelle et l’eucalyptus pour l’un, des matériaux nobles dérivant de petites productions, pour l’autre. Afin de garantir leur éco-responsabilité, aujourd’hui difficilement démontrable, les pays producteurs devraient reprendre le contrôle sur leur réseau local en termes de volume comme de politiques de prix.
Il est clair que le segment prestige devra se réinventer afin de devenir un produit plus essentiel et utile. Selon Mintel, 38% des femmes utilisent davantage de produits de beauté premium pour améliorer leur peau. La chimie verte, qui consiste à réduire ou à éliminer des substances dangereuses, s’avère une piste prometteuse en terme de réassurance consommateur. A travers la bioconversion, la biosynthèse et la catalyse enzymatique, il est possible de remplacer des molécules de synthèse issues de produits chimiques nocifs par leurs versions naturelles.
E-commerce et livestreaming, solutions face à la vulnérabilité du réseau retail
L’une des confirmations de la crise, c’est bien l’impérieuse nécessité de disposer d’un relai de croissance via des canaux de distribution diversifiés et l’e-commerce, à bien des égards, est parvenu à sauver la mise pour les professionnels du marché de la beauté. Comme le souligne l’étude de Publicis Sapiens et Content Square, les transactions e-commerce liées à la vente de produits cosmétiques ont connu une hausse de +70%.
Les leaders de la beauté, Procter & Gamble et L’Oréal ont protégé leur croissance grâce au e-commerce, avec respectivement des transactions en ligne en hausse de+35% et +52,6%. Il en a été de même pour le groupe japonais Shiseido, grâce un marché chinois où l’e-commerce est très développé. Dans le luxe, le spécialiste de la distribution sélective du groupe LVMH, Séphora a ainsi enregistré une hausse de +30% de ses ventes dans le commerce en ligne durant la période de confinement.
Le marché français a particulièrement souffert de la fermeture de ses réseaux de boutiques retail et distribution sélective ainsi que de la fermeture des points de contact en aéroport (Travel Retail). Tendance de fond à suivre pour les professionnels du retail de la beauté… et au delà : l’upskilling. Autrement dit; intégrer un volet e-commerce à la profession de conseiller vente retail. Il s’agit là d’optimiser le temps disponible du vendeur boutique pour prodiguer des conseils en ligne. C’est ainsi que, suite à la fermeture de 40% des boutiques de son réseau, la marque chinoise Lin Qingxuan a reconverti temporairement plus de 100 conseillers beauté en influencers pour engager la conversation sur le réseau social multi-usage Wechat.
Avec le COVID, c’est l’essayage des produits qui s’en trouve bouleversé. Des technologies comme la l’intelligence artificielle ou la réalité augmentée (AR), peuvent contribuer à rassurer et redynamiser le marché de la beauté prestige, que ce soit en matière d’expérience digitale comme en boutique. Une occasion de créer de nouveaux usages à distance pour découvrir comme essayer certains produits de beauté. C’est ainsi que L’Oréal, qui a racheté la start-up canadienne Modiface en 2018, a étendu l’utilisation de son outil d’essayage virtuel dédié au rouge à lèvre et à la coloration pour cheveux à 15 entreprises extérieures dont Amazon et Boots. En parallèle, le géant canadien MAC a développé, via un partenariat avec YouCam, son propre outil d’essayage virtuel, tandis que la marque malaysienne Nutox a conçu un outil d’analyse de la peau recourant au deep learning et à la détection visuelle pour déceler rides, hyperpigmentation ou peau terne.
La crise doit aussi amener le secteur à repenser le rôle du retail et à trouver de nouveaux prétextes pour faire (re)venir la clientèle. De même le livestreaming comme les conseils beauté (online beauty advisor service) sont à même d’apporter interactivité et dimension plus servicielle.
- S’appuyer sur une stratégie omnicanale avec des boutiques physiques connectées afin de favoriser les relations humaines. Il s’agit de réinventer l’expérience client d’un secteur basé sur le toucher à l’ère du sans contact grâce à la technologie.
- Capitaliser sur une offre faisant la part belle aux “traitements au dessus du masque de protection” (cheveux, mascara…)
- Développer l’e-commerce en misant sur de nouveaux format comme le live streaming ou à l’instar de Lin Qingwuan, en impliquant les conseillers de vente retail
- Délivrer un produit utile et sain sera le défi majeur des marques en particulier pour le segment prestige, durement éprouvé par la crise. La chimie verte consistant à remplacer les produits de synthèse par des produits naturels.
- Mettre en perspective logique de coût/délais de livraison/empreinte carbone lié à la relocalisation avec la protection des économies locales.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.