Alors que les géants du monde d’hier, luxe compris, vacillent sous l’onde de choc du COVID-19, l’Inde se révèle comme la grande gagnante de la lutte contre la pandémie. Officiellement moins touchée que les autres pays du monde, grâce à une forte réactivité dans la fermeture de ses frontières, la plus grande démocratie du monde abritant 1,3 milliards d’habitants, multiplie les opérations séduction vis à vis d’investisseurs étrangers, soucieux de réduire l’interdépendance de leur réseau supply chain vis à vis de la Chine. C’est que le pays rêve de ravir la place de l’Empire du milieu dans le commerce mondial et nourrit l’ambition de devenir une industrie à 1 trilliard de dollars d’ici 2025. 

Proposant une main d’oeuvre hautement qualifiée et peu onéreuse, le pays abrite aussi le plus grand marché numérique inexploité au monde. Au point que l’e-commerce se développe à vitesse grand V. Un challenge pour un pays dont la population est à 70% rurale.

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Un repli stratégique de la production et du sourcing hors Chine encouragé par le gouvernement

Les économies des géants d’hier (Etats-Unis, France, Allemagne, Italie) ont été particulièrement touchées par les effets d’un confinement mondial quasi-simultané, au point que la récession guette. 

Alors que la crise sanitaire a révélé les failles d’un réseau logistique globalisé concentré en chine, de nombreux acteurs internationaux sont à la recherche d’un marché alternatif pour le sourcing de matière première et notamment de pièces détachées. L’autre raison est une hausse du coût de la main d’oeuvre en Chine, qui a amené de grandes entreprises à délocaliser une partie de leur production dans des pays limitrophes de la Chine comme le Vietnam, la Malaisie ou encore l’Inde. 

Avant l’épisode du COVID, des entreprises comme Apple, Nintendo, HP ou encore Dell avaient jeté leur dévolus sur le sous-continent. Face aux risques de rupture d’approvisionnements, le Japon a ainsi annoncé la création d’un fond de 2,2 milliards de dollars pour déplacer son réseau hors de chine. 

L’Inde a mis en place une politique d’investissement incitative et a davantage ouvert son commerce, au point d’offrir de sérieuses opportunités pour les investisseurs étrangers.  Le gouvernement a ainsi débloqué 6 milliards de dollars US pour donner un coup de fouet à la production domestique et attirer les investissements dans le pays et encourager composants électroniques. Le ministre en chef, Yogi Adityanath, a ainsi promis à des entreprises comme Fedex, Cisco et Adobe des usines flambants neuves si elles décidaient d’installer leurs outils de production dans la région de l’Uttar Pradesh. 

Le régulateur officiel du commerce des investissements (le département de promotion de l’industrie et du commerce intérieur (DPIIT) a opéré des changements dans la politique d’investissement directs étrangersC’est ainsi que l’Agence nationale de promotion et de facilitation des investissements de l’Inde,Invest India, s’est joint à tout un groupe de cabinets de consulting internationaux comme Bain, EY, PWC, BCG ou encore KPMG afin de rebooster l’économie locale. Selon Mr Ankit Pradhan, founder et CEO de Realtyassistant, l’Inde serait un des principales destinations de financement direct étrangers. Pour preuve, l’inde a récupéré en 2019,  la moitié des fonds directs étrangers mondiaux. Dans son rapport India Global Investment Trend Monitor, la CNUCED (Conférence des nations-unies sur le commerce et le développement) a mis en lumière qu’avec un afflux de 49 milliards de dollars en 2019, soit une hausse de 16% par rapport à 2018, l’Inde a fait son entrée dans le Top 10 des bénéficiaires d’IDEDe plus alors que les IDE se tarissaient, le pays est parvenu à attirer des investissements de 64,37 milliards de dollars sur la période 2018-2019, soit une hausse de 6% par rapport à la période précédente. 

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Le plus grand marché numérique inexploité au monde

Au rang de 6e puissance économique depuis 2018, l’Inde abrite un marché domestique gigantesque et contrairement à sa grande rivale chinoise bénéficie d’un régime démocratique, ce qui facilite davantage les échanges avec les puissances occidentales. 

Avec plus de 130 incubateurs-accélérateurs et plus de 150 fonds de capital risque et d’investissement, l’Inde fait figure de 3e hub entrepreneurial au monde mais aussi de 2e puissance digitale au monde où le smartphone est une seconde nature. Le pays dispose de sa Silicon Valley à Bengalore, capitale de la sous-traitance électronique américaine dans les années 90. De quoi entrevoir une dynamisation prochaine de l’E-commerce, un secteur où Flipkart et Snapdeal détiennent à eux seuls 72% de parts de marché. 

Si le pays s’ouvre de plus en plus aux géants internationaux, notamment américains et chinois, pas question de laisser ses fleurons industriels et technologiques tomber entre des mains étrangères. A la suite du rachat de Flipkart par l’américain Walmart, le pays se dote de mesures protectionnistes afin de se prémunir contre toute tentative de rachat ou de fusion opportunistes d’entreprises nationales. 

C’est ainsi que seules les sociétés indiennes ont pour l’heure un accès direct au réseau des kirana, ses petits commerces de proximité disséminés partout sur le territoire. Nielsen en a ainsi recensé 6,65 millions de ses commerçants indépendants au mois de février. D’après l’association des détaillants d’Inde, ce tissus d’entreprises familiales génèrerait 375 milliards de dollarsOr, contrairement à l’occident, ces petites structures éparses constituent 90% du commerce intérieur, là où les chaînes de supermarchés et autres épiceries ne représentent que 10%. 

En outre, devant les prétentions des GAFA, comme Amazon et Facebook, le gouvernement indien a par ailleurs durci le ton en matière de gestion des données personnelles et de droit de la concurrence. Sont notamment visés, les rabais trop importants. Sécurité et garantie des approvisionnements sont devenues les préoccupations majeures des clients et les marques l’ont bien compris en délivrant des messages de soutien tout en agissant avec ingéniosité. La crise a ainsi réaffirmé la valeur famille ainsi que celles de l’amour et de l’amitié. Celles-ci ont multiplié les espaces de d’information dédié à la menace du COVID-19 et multiplié les livraisons à domicile. Le groupe agroalimentaire Nestlé a ainsi développé son propre Q&A avec AskNestle.in impliquant médecins et nutritionnistes complété par des webinars en live afin de rassurer sa clientèle, tandis que le fabricant de produits alimentaires MTR Foods a noué des partenariats avec des applications comme Swiggy, Zomato ou Curefit afin de pouvoir assurer des livraisons sur tout le territoire. Dans un pays où 4 indiens sur 5 n’ont pas accès à l’eau potable, la marque d’eau minérale locale Bisleri Water s’est échinée à démontrer la pureté de son eau à travers 140 tests. En parallèle, l’entreprise à travers sa plateforme e-commerce Bisleri@doorstep, s’est mise à assurer la livraison en 48h de son eau mais aussi de produits d’épicerie, de lait et de boissons. 

En terme de production comme de distribution, les professionnels s’attendent à une mutation des comportements consommateurs avec une accélération de la pénétration du e-commerce. Cela devrait se traduire par une explosion de la demande quant à la livraison à domicile de produits basiques. C’est à cette fin, que Facebook a décidé de racheter 9,99% des parts de Jio Reliance Technology, principale entreprise télécom du pays qui compte 388 millions d’abonnés. Celle-ci est en passe de lancer sa propre plateforme e-commerce, JioMart et ainsi concurrencer les autres acteurs du marché Amazon, Flipkart (Walmart) et BigBasket (Alibaba). Le choix de l’Inde est loin d’être anodin pour Facebook, puisqu’il s’agit du pays abritant le plus grand nombre d’utilisateurs de la messagerie instantanée Whatsapp (400 millions).

La production de contenu va se mettre au diapason d’une époque agile en quête de frugalité et d’interactivité accrue. Ce faisant, en Inde comme ailleurs, l’user generated content (UGC) devrait connaître son âge d’or.  Pour MRT Foods, l’après-COVID devrait donner lieu à un besoin consommateur vers plus de confort, de variété et une nourriture de confort

 

Destination dont les coûts en termes d’opérations et de production restent faibles et disposant d’un réseau supply chain, certes perfectible mais existant, l’économie indienne pourrait sortir de la crise du COVID, revigorée. Au point de s’émanciper de son statut de challenger face à la Chine. Le pays est d’ailleurs en passe de lui ravir le titre de pays le plus peuplé au monde. L’Inde a néanmoins encore du chemin à parcourir pour se positionner sur la carte des supply chain internationales. Dans un soucis de diversification des zones de production et de rééquilibrage face à la toute puissance chinoise, ce mouvement de capitaux et d’appareils de production étrangers vers le sous-continent pourrait bien créer des émules. 

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A Retenir
  • Relocaliser hors de Chine s'impose aux professionnels de manière à se prémunir de toute rupture supply chain, dont le risque est accrue en cas de concentration sur une seule zone géographique, tout en bénéficiant d’une main d’oeuvre hautement qualifiée. 
  • Installer ses unités de production en Inde, c’est bénéficier de mesures incitatives de la part du gouvernement qui s’ouvre davantage encore aux investissements directs étrangers. Le pays a ainsi fait son entrée dans le Top 10 des états bénéficiaires des IDE en 2019.
  • Mettre en sécurité le consommateur et garantir ses approvisionnements est aujourd’hui majeur face aux besoins impérieux des populations en produits de premières nécessité. Ces éléments de réassurance doivent figurer dans le message des marques.
  • Partir à la conquête de la plus grande démocratie du monde implique d’anticiper l’accélération prochaine ecommerce d’un marché digital sous-estimé mais très équipés en appareils mobiles. Des investissements importants seront néanmoins nécessaires pour aller à la rencontre d’une population à 70% rurale. La vente en ligne est actuellement dominée par Flipkart et Snapdeal.
  • Mettre à contribution le client dans la production de contenu sur les réseaux sociaux s’avère nécessaire. Pour accroître l’engagement sur les réseaux sociaux, conversations combinant interactivité et co-création seront centrales.