Déjà prégnante pré-COVID, la quête des consommateurs pour une mode socialement plus responsable, dans ses procédés de fabrication comme dans le respect des individus qui la confectionnent, trouve un nouvel écho.
Alors que les retailers mode se retrouvent avec des stocks d’invendus sans précédent se pose la question d’une éco-responsabilité renforcée, privilégiant les circuits courts et l’extension de la longévité du vêtement. Auparavant, la mode durable prenait la forme déclarative d’une réduction des émissions de CO2 ou d’un label “sustainable” opaque, demain elle devra être plus innovante et démontrer un impact vertueux envers la biodiversité pour conserver sa désirabilité.
Un devoir d’éco-responsabilité en pleine expansion chez les acteurs de la mode
Pré-COVID, de nombreuses marques de mode ont voulu renforcer la transparence de leur supply chain et agir sur leur empreinte carbone. Désormais la pression de la société civile amène les sociétés à se préoccuper d’une mode socialement plus responsable. Ainsi, le produit et une politique client-centric se trouve contrebalancée par la mise en sécurité des collaborateurs et, par extension, des parties prenantes. Ainsi, d’après le Baromètre international Covid-19 de Kantar, vaste étude réalisée du 14 au 23 mars auprès de 25.000 personnes dans une trentaine de pays, 80 % des personnes interrogées veulent des preuves que les marques se préoccupent de la santé de leurs salariés.
Lors du G7 d’août 2019, 150 marques de mode et du luxe ont signé le Fashion Pact. Se sont ainsi joint à l’initiative du groupe Kering, des acteurs de la fast fashion comme Gap, Zara mais aussi des acteurs du luxe comme Gucci, Ferragamo, Chanel, Nike, Burberry, ou encore Capri Holdings. Le pacte vise 3 objectifs : la neutralité carbone d’ici 2050, la préservation de la biodiversité (écosystèmes naturels et espèces animales) et la réduction du plastique à usage unique. L’initiative impliquera pour les griffes signataires des changements majeurs mais aussi d’importants investissements.
L’idée est d’inciter les marques à ne plus faire cavalier seul mais faire jouer les synergies. Une mutualisation des ressources matérielles et intellectuelles dans un objectif commun : accélérer la transition écologique de la filière mode. Le guide “Circularity: Guiding the Future of Design” proposé par la marque sportswear de luxe, Nike, est un exemple de cet esprit collaboratif nouveau. Celui-ci, s’inspirant du Global Fashion Agenda, fournit aux concepteurs et aux créateurs mode un langage commun en matière d’économie circulaire. Une démarche que l’on retrouve aussi chez Patagonia. La DNVB championne de la mode durable a ainsi choisi de partager, avec l’ensemble de la filière, sa découverte sur les vertus du caoutchouc naturel issu de l’hévéa. La marque y a trouvé une alternative au néoprène dans la conception de combinaisons de plongée.
Signe des temps, on a pu constaté la mobilisation exceptionnelle des acteurs de la filière pour faire face à l’épidémie. C’est ainsi que le fabricant de chaussettes Labonal a converti temporairement son usine de production pour produire des masques de protection alternatifs. Autre acteur du made in France, Le Slip Français, s’est rapproché du comité de soutien de la filière mode et luxe. Il s’agissait de mettre en place un outil collaboratif à destination des acteurs du secteur, afin de répondre à toutes les questions liées à la reconversion de l’appareil productif afin de fabriquer des équipements médicaux. L’entreprise française a ainsi partagé un document open-source facilitant la mise en relation entre fabricants de matières et confectionneurs tout en consolidant la fabrication des masques.
Même le luxe décélère sa cadence, une cadence de lancement de 8 collections annuelles qui se rapprochait dangereusement de celle des géants de la fast fashion comme Zara et H&M, respectivement 24 et 14 collections/an. La maison italienne Gucci, neutre en carbone depuis 2017 a ainsi décidé d’arrêter les pré-collections. De son côté, la lauréate du prix LVMH 2017, Marine Serre, figure de l’upcycling, exhorte à une mode raisonnée qui n’aurait plus qu’une fashion week par an, au lieu de deux. La designer est connue pour ses motifs en forme de lune et ses mises en scène apocalyptiques pour sensibiliser à la question écologique. L’actuelle directrice artistique de la maison Chanel, Virginie Viard, a inauguré un nouveau format de défilé couture à distance pour sa collection sobrement intitulé “Balade en méditerranée” où l’épure et l’humilité étaient au rendez-vous : une vidéo de plus de 7 min présentant 51 looks. Un appel à “voyager léger avec des vêtements faciles à vivre et à usage multiples.” Pour sa collection couture, la maison de luxe est allée plus loin en proposant un format digital sur Zoom avec 30 looks en 1 min 30. De son côté, le directeur artistique des collections homme chez Louis Vuitton, Virgil Abloh a décrété que sa prochaine collection comprendrait 30 looks issus de matériaux innovants, 25 looks issus de matériaux recyclés et 25 looks issus d’anciennes collections. Cette prise de conscience s’est illustré par le mea culpa de designers comme Alessandro Michele chez Gucci et son “nous sommes allés trop loin” ou encore Giorgio Armani. Ils ont tous deux exprimé leur volonté de s’extraire du rythme infernal des fashion weeks internationales. Une cadence qui met sous pression ouvriers textiles mais aussi les appareils de production.
La seconde main : conjonction des aspirations clients et des objectifs commerciaux des marques
L’objet et la possession étaient des notions déjà challengées avant la crise et pourraient bien l’être davantage, à en juger par l’intérêt grandissant pour la mode de seconde main et des offres locatives. Avant COVID, les cabinets de conseil BCG et Altagamma prévoyaient que le marché de la seconde main, estimé à 22 milliards d’euros en 2018 progresserait de 18% d’ici 2021.
Au vue des contractions budgétaires qui se profilent chez les consommateurs et de l’émergence d’une prise de conscience éthique visant à réduire le gaspillage, il est fort probable que des plateformes de revente comme Vestiaire Collective ou Depop en sortent gagnants. Dans son rapport, ThredUp rapporte que 82 % des individus sont ouverts aux achats de seconde main lorsque l’argent se fait plus rare. Fanny Moizant, présidente et co-fondatrice de Vestiaire Collective a rapporté une augmentation des commandes de 119 % sur la plateforme suivie d’une hausse supplémentaire au mois de juin, pour atteindre 144 %, par rapport à l’année précédente. Même constat auprès de l’application e-commerce peer-to-peer Depop : sa VP Growth Marketing, Ianina Lucca reconnaît que la plateforme britannique a connu une performance record sur l’ensemble de ses marchés clés, et qu’elle a connu une croissance à trois chiffres depuis le mois d’avril. Parmi les marques les plus recherchées, on trouve d’après le rapport de Vestiaire Collective des marques durables et éthiques. Ainsi la pionnière du luxe durable Stella McCartney a vu ses ventes augmenter de 42 %, sans oublier d’autres marques comme LOQ, Marine Serre et Veja.
Deux facteurs expliquent l’engouement pour la seconde main lors du confinement : l’ennui inhérent à la période de confinement et la fermeture des réseaux de boutiques en propre des marques. Selon le rapport de thredUP, 70 % des consommateurs conviennent que la lutte contre le changement climatique est plus importante que jamais. Or, comme le confirme Erin Wallace, VP du marketing intégré chez ThredUP, « Choisir l’usagé plutôt que le neuf est l’un des moyens les plus simples de réduire son empreinte de mode et de participer à l’économie circulaire.” Non seulement cette mode “pre-owned” permet de ne rien produire mais en plus elle offre aux acheteurs la possibilité de se procurer des pièces de qualité sans pour autant en payer le prix fort.
« La durée de vie moyenne d’un vêtement est de 3,3 ans, et l’extension de son utilisation peut faire une énorme différence quant à son impact sur l’environnement. Acheter une pièce d’occasion et l’utiliser pendant neuf mois seulement peut réduire son empreinte carbone et sa consommation d’eau de 20 à 30 %” comme l’explique Fanny Moizant. Signe de cette tendance à une rationalisation de l’usage du vêtement, Ebay et Asos se sont dotées de leurs propres plateformes tandis que le grand magasin britannique Selfridges développe son offre locative. ThredUP estime dans son rapport 2020 que la revente a augmenté 25 fois plus vite que le retail traditionnel en 2019, avec 62 millions de femmes achetant des produits d’occasion en 2019, contre 56 millions en 2018 et 44 millions en 2017.
Une supply chain à réinventer et à responsabiliser
L’industrie de la mode est réputée pour être l’un des plus gros pollueurs du monde avec des émissions mondiales de gaz à effet de serre s’élevant à 1,7 milliard de tonnes de CO2 par an, selon un rapport du WWF. Rien qu’aux Etats-Unis, ce sont 21 milliards de tonnes de textiles qui sont jetés chaque année.
Avoir une mode plus responsable implique d’abord de mieux gérer la prévision des ventes et d’optimiser les ressources naturelles précieuses. On pense à l’eau et aux substances chimiques dans la production de coton, mais on oublie bien souvent le gaspillage des chutes de tissus, lors de la phase de production. Le constat est sans appel, comme le rappelle la prospectiviste néerlandaise Li Edelkoort, il va falloir ralentir le rythme et “produire moins mais mieux”. Un credo, à l’instar de la marque de mode masculine éco-responsable Loom, qui passe aussi par un meilleur respect des travailleurs textiles.
C’est aussi faire émerger des labels qualités qui mettent la transparence de la provenance et de la traçabilité au coeur. Burberry a ainsi lancé cette année lors du Earth Day, Re-Burberry, une gamme mixte éco-responsable de 26 pièces. Un étiquetage spécifique avec un code couleur vert pistache est mis en place permettant au client de connaître les détails sur l’origine du produit et délivrant un score maison à partir des “attributs positifs” et sociaux. Comme le rapporte l’Evening Standard, ⅔ des produits Burberry disposent de plus d’un de ces attributs. Pour faciliter des transitions écologiques gourmandes en investissements, les marques de mode devraient opter pour l’expérimentation à travers des collections capsules comme les géants de la fast fashion H&M, Zara ou encore Mango. Des débuts modestes qui permettent de mettre à l’échelle une innovation tout en testant l’appétence des clients pour une gamme plus durable.
Dans le volet social, tout un pan de marques comme People Tree, Armedangels ou encore Nudie Jeans dévoilent ainsi les coulisses de leurs usines. Ainsi, la pratique des marques de fast-fashion changeant délibérément de fournisseurs à chaque collection, allant trop souvent au plus offrant, autrement dit au moins cher, dans le mépris du moindre engagement éthique ou financier ne peut plus être la règle. Fidèle à ses convictions la marque durable française Loom refuse de pratiquer des soldes ou des promotions. Si certains produits peuvent être stockés ou vendus par le biais de remises ou de soldes, pour le reste, il s’agit pour les marques de faire preuve de solidarité en les donnant plutôt qu’en les détruisant. Une démarche choisie par le retailer Banana Republic. C’est l’occasion pour l’industrie d’abandonner des pratiques archaïques et irresponsables où les stocks d’invendus finissaient dans des décharges ou étaient tout bêtement brûlés.
Certaines marques ont fait le choix d’une production raisonnée. Cela leur permet de disposer d’un stock moins important et donc de ne plus être dépendant de promotions monstres pour écouler leurs produits et donc garantir une relation plus qualitative avec leurs prestataires. Il peut s’agir de petites séries comme avec Second Sew ou encore d’un système de précommandes favorisant le juste à temps plutôt qu’une production à flux tendu comme la marque de vêtements française masculine Asphalte. De plus, proposer des produits, moins saisonniers et plus intemporels auront beaucoup moins de mal à être écoulé dans le temps, n’étant pas soumis à l’obsolescence programmée des tendances mode.
D’autres raccourcissent leurs chaînes d’approvisionnements voire agissent directement sur le cycle de vie du produit. La marque de jean denim 1083 privilégie les circuits courts ce qui permet de limiter le temps de transport. La marque pratique aussi un délavage du jean au laser et non au sablage tout en recourant à du coton bio. L’entreprise veut ensuite contribuer à la reconstitution du maillage industriel local pour la filière du lin à travers le projet linpossible d’ici 2021. De son côté, la DNVB britannique Tom Cridland, a lancé des vêtements indestructibles dont le Half-Century Jean (garantie 50 ans) reposant sur un textile hybride (toile selvedge et fibre spectra).
Pour donner à voir une mode durable, de nombreuses marques misent sur l’économie circulaire – mélange de recyclage ou de réusage, mais encore faut-il que les articles soient conçus à partir de matériaux biodégradables. Cela implique comme le recommande Li Edelkoort que les designers soient sensibilisés à l’éco-conception dès leurs formations en écoles.
Il convient de limiter la production de vêtements synthétiques dont les microfibres s’avèrent nocives pour l’environnement et les océans, comme le polyester, la rayonne et le nylon, tout comme les sous-produits du pétrole comme le plastique et le néoprène. Stella McCartney a ouvert la voie à l’élimination du plastique vierge PPE en recourant au polyester recyclé et en incorporant des chutes de tissus et des matériaux recyclés dans ses collections, réduisant ainsi les émissions de gaz par rapport à l’approvisionnement en tissus neufs. Avec l’obsession de la chasse au plastique souillant les océans, l’industrie de la mode s’est mis au diapason de la DNVB Patagonia, qui, dès 1993, s’est mise à recycler des bouteilles en plastique pour concevoir des vêtements extérieurs. Pré-COVID, de nombreuses marques ont entendus les suppliques des mouvements cruelty free venus des Etats-Unis et abandonné la fourrure animale ou les peaux exotiques. Stella McCartney s’est posée en pionnière de l’utilisation de cuir vegan ou encore dans la lutte contre la maltraitance animale, sujets de plus en plus prégnants.
L’industrie de la mode n’est toutefois pas démunie en matière de textile innovants. Ces dernières années toutes sortes de cuirs alternatifs recyclés ont été expérimentés comme les feuilles d’ananas, le liège, les pelures de pommes… L’objectif est à la fois de mettre en place un système circulaire vertueux tout en sensibilisant davantage les clients pour les inciter à agir différemment. Ecoalf est devenu le spécialiste de l’upcycling des bouteilles en plastique et des filets de pêches mais aussi des pneus usés, voire même les moulins à café usagés. La matière qui en ressort, l’ECONYL sert ensuite à la fabrication de maillots de bain, de baskets ou de vêtements d’extérieur. Partenaire des plus grandes marques, leur dernière collaboration a porté sur le développement de la collection éco-responsable Off The Grid lancée par la maison Gucci cette année. De son côté, l’entreprise italienne Orange Fiber, s’est spécialisée dans le recyclage des sous-produit des oranges à jus pour concevoir un sergé épousant la texture de la soie. Enfin, les mexicains Adrian Lopez et Velarde ont développé le Desserto, une matière textile obtenue à partir du cactus Nopal qui a la propriété d’être élastique et respirable.
Qu’on se le tienne pour dit, il est peu probable que la fast fashion disparaisse complètement, elle risque même de gagner en importance. Toutefois dans un monde post-COVID, une mode durable n’est plus optionnelle.
Pour Li Edelkoort, la crise révèle la conscience de la mode alors qu’elle découvre “la quarantaine de la consommation.” Le cabinet Promise Consulting a ainsi identifié 3 signaux faibles pour la période : utilité, frugalité et distanciation. Encore faudra t-il pour que la mode durable soit adoptée par le plus grand nombre qu’elle s’inspire de la vision glamour de Stella McCartney : lier l’éco-responsabilité à la désirabilité. Car il viendra un temps où l’éco-responsabilité ne sera plus ni une posture ni un label mais un standard universel. Il faut donc pour les marques s’y préparer dès maintenant.
- L’action plutôt que la parole. Il ne s’agit plus de faire des voeux pieux mais de démontrer les efforts menés au quotidien pour réduire l’empreinte carbone. L’idée est de faire des enjeux socialement responsables une part prépondérante du business model de la marque. Des début modestes sont préférables notamment via des collections capsules éco-responsables.
- Afin de lutter contre le surstock, les marques de mode sont invitées à approfondir la connaissance de leurs clients et à mettre en place des circuits courts. Plutôt qu’un système en flux tendu comme en fast fashion, il s’agit de mettre en place des systèmes de production à la demande et de pré-commandes.
- Les consommateurs réclament davantage de transparence sur la politique durable de l’entreprise (matières et conditions de travail en usines). 80 % des consommateurs réclament des preuves que les marques se préoccupent de la santé de leurs salariés d’après la dernière étude Kantar.
- Repenser et retravailler la supply chain implique de limiter l’utilisation de fibres synthétiques, agir sur le gaspillage de matières premières (eau, tissu…) et accroître la longévité du vêtement.
- Pour créer une impulsion, il faut lier le concept de durabilité avec désirabilité. L’esthétique des produits doit être soigné. De l’autre, la création de contenu doit avoir une fonction transformative et incitative au changement.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.