L’e-commerce s’est révélé comme un canal de distribution très prisé du confinement et une véritable assurance vie pour retailers et wholesalers en détresse, contraints de fermer boutique. Jusqu’ici antagoniste ultime du luxe malgré sa percée remarquée sur le marché de la mode et du prêt-à-porter haut-de-gamme, le géant américain, à la faveur d’une crise sanitaire amenée à se prolonger, apparaît désormais comme un partenaire crédible pour des marques fuyant la fragilité financière des grands magasins, notamment aux Etats-Unis. Son application mobile Luxury Stores, accessible sur invitation, pourrait bien révolutionner le secteur.
Offre trop générique, image trop orientée mass-market ou encore repaire de revendeurs non officiels et des produits contrefaits… La plateforme e-commerce Amazon cumulait les défauts et était de facto désignée persona non grata pour le marché du luxe. Mais s’il est une chose qui soit certaine c’est que le luxe actuel est protéiforme et surtout organique, autrement dit évolutif. Ainsi, Il n’est aucune règle qui soit gravée dans le marbre, pas même les sacro-saintes lois du marketing du luxe. Burberry a bien relancé face visible son tartan, alors qu’il était devenue un temps l’attribut des chavs, des marginaux friands de la marque britannique en motif all-over tandis que Gucci avait poursuivi le tailleur du Bronx et figure du streetwear, Dapper Dan, avant de le consacrer le temps d’une collection.
Dans le même ordre d’idée, la crise sanitaire fait voler en éclats les préjugés et autres conventions liés à une approche e-commerce du luxe. Certaines plateformes chinoises de commerce en ligne se sont mises à proposer toute une panoplie d’outils technologiques à même de maintenir le contact avec une clientèle confinée mais aussi capter l’attention, toujours plus volatile, d’une clientèle jeune hyper-connectée et sur-informée. C’est ainsi que les marques de luxe se sont données rendez-vous sur la plateforme de livestreaming d’Alibaba Taobao Live pour diffuser leur défilé au plus grand nombre (Fashion Week de Shanghai) quand d’autres ont préféré miser sur la plateforme Tmall Luxury Pavilion (Alibaba). Cette dernière, dont s’inspire fortement Amazon, avait lancé quelques mois plus tôt un nouvel espace dénommé Luxury Soho. Celui-ci mettait à disposition des marques des services de livestreaming, de réalité augmentée, de technologies interactives 3D et de solution de paiement intégré.
Amazon était déjà pré-confinement, le plus grand vendeur de produits de mode au monde. Au point que son seul concurrent mode sur le sol américain reste le distributeur Walmart. Le géant américain, propriété de Jeff Bezos, a ainsi réussi à écouler dernièrement près de 1 milliards de produits de mode. La plateforme a déjà fait une incursion discrète dans le luxe en lançant en septembre son site et son app affiliée VRSNL (Versonial). Cette plateforme de revente de souliers et accessoires, en partenariat avec Zappos fait la part belle au contenu éditorial et à l’histoire des marques à travers sa section The Remix. Avec une curation exigente dans la mouvance de l’Editorial Archive du canadien SSense et The Edit du britannique Farfetch, elle était parvenu à convaincre 36 marques.
La nouvelle-née des applications mobiles du géant Amazon, Luxury Stores se présente telle « une boutique dans la boutique » (a store within a store experience) sur le modèle de la concession. Autrement dit, un espace distinct sur l’application mobile Amazon, reflétant l’univers de la marque. Cette dernière reste maître de son image, de son inventaire et surtout de ses prix. Un pied de nez aux dérives de certains wholesalers, contraints de brader certains produits à plus de 50% afin d’écouler leurs stocks.
Mais surtout, la marque peut y contrôler son image exclusive en proposant une barrière à l’entrée bien connue des plateformes de ventes privées et des maisons d’horlogerie-joaillerie : un accès sur invitation. L’application permet à la maison de luxe de mettre en lumière son offre en prêt-à-porter et produits de beauté au moyen de vitrines virtuelles et à ses clients d’explorer les looks sous toutes les coutures grâce à la vue 360°. Inclusive, l’application mobile propose un essayage 3D sur différentes morphologies et types de peaux. L’idée est d’atteindre les clients là où ils se trouvent et permettre aux marques de cibler une autre clientèle, difficilement atteignable jusqu’ici : les jeunes générations.
Pour l’instant, uniquement disponible aux Etats-Unis, Luxury Stores s’adresse aux 112 millions d’abonnés d’Amazon Prime USA (en décembre 2019) et pourrait, à terme, s’étendre aux 150 millions d’abonnés que le géant e-commerce compte actuellement à travers le monde. Un abonnement Prime qui donne accès de facto à une expédition en 2 jours et livraison same day gratuite ainsi qu’un accès à sa plateforme vidéo SVOD, de quoi entrevoir de futurs créations de contenus originales de la part des marques elles-mêmes. Les non abonnés peuvent néanmoins déposer une demande d’inscription auprès du site web d’Amazon et ainsi être sur liste d’attente.
Toutes les marques ne sont néanmoins pas prêtes pour une remise en question aussi radicale de leur stratégie de distribution. Le Groupe LVMH, fidèle à ses convictions, continue à y voir un risque de destruction du brand equity et préfère opérer sur ses réseaux de distribution intégrés, tandis que Nike a décidé de mettre un terme à un accord de 2 ans en novembre dernier. Amazon pourra surtout compter sur les marques créateurs distribuées en grands magasins et les marques de luxe casual, de type italo-américaines. Passé par les maisons de luxe françaises Lanvin et Balmain à ses débuts, le designer américano-dominicain Oscar de la Renta fut ainsi le premier designer à s’exposer sur la plateforme. La maison britannique indépendante Roland Mouret a suivi ainsi que la marque de lingerie italienne de luxe La Perla. Des marques qui y voient une manière de proposer des produits exclusifs en quantité limitée et un canal de vente complémentaire. En tout, une douzaine de marques devraient nouer un partenariat avec la plateforme, sans forcément communiquer dessus.
La démarche n’est pas sans grand changement, certaines marques opérant une transition d’une distribution physique à un modèle omnicanal. Différence de taille, le taux de retour produits plutôt bas dans le retail physique (10%) s’élève à 30% dans la vente online. La distribution e-commerce du luxe a encore du chemin à faire avant la pleine démocratisation des usages : le taux de pénétration du secteur à l’échelle mondiale n’est actuellement que de 12% (contre 18% en Chine).
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.