Avec 800 millions d’utilisateurs actifs, TikTok (Douyin en Chine), l’application sociale de micro-vidéos s’avère un véritable hit viral dont le succès ne s’est pas démentie lors du confinement. Son format artisanal et ludique font de lui un réseau social très plébiscité par les membres de la génération Z et de plus en plus en vue par les annonceurs.
A l’heure de la crise du reach sur les réseaux sociaux conventionnels comme Instagram, les marques de mode, dans le sillage de Calvin Klein ou Levi’s sont invités à se familiariser avec des codes nouveaux mixant spontanéité, fun et imperfection pour toucher un segment hermétique aux messages marketing traditionnels. Il s’agit là d’une occasion unique pour les marques de mieux cibler et d’étendre leurs fichiers clients.
Un authentique hit viral venu de Chine
Star du confinement aux côtés d’autres acteurs du #StayAtHome” comme le jeu de simulation bucolique Animal Crossing New Horizons, TikTok totalise 800 millions d’utilisateurs actifs, dont 100 millions aux Etats-Unis.
D’après la société d’analyse de trafic Sensor Tower, l’application de partage de courte vidéo a été installé plus de 2 milliards de fois. Fort de son éditeur vidéo intuitif et sa banque musicale très fournie, la créativité sans limite qu’offre l’application s’avère plus que bienvenue chez les ados en plein confinement. Rien qu’entre les mois de mars et avril 2020, la plateforme a récolté 5 millions d’utilisateurs supplémentaires.
Au commencement, il y avait Musical.ly, start-up de Shanghai, fondée en 2014 et très liée au marché américain. L’application de micro-vidéo était alors spécialisée dans les vidéos de playback musical de 15 secondes. La start-up tire parti de la fermeture de la plateforme vidéo Vine en 2016. Cette année-là, ByteDance, startup tech de beijing officiant dans l’intelligence artificielle, lance une application similaire : Douyin 抖 音, littéralement “le son qui secoue”. En l’espace d’un an, elle cumule 100 millions d’utilisateurs et se fait une place de choix en Thaïlande et au Japon. Devenue la même année la start-up la plus valorisée au monde, ByteDance choisit un autre nom, TikTok, pour faciliter son lancement hors de Chine en septembre 2017. Le nom est une référence à l’expression “chaque seconde compte” ou “clock is ticking” et un clin d’oeil appuyé au hit international de la chanteuse pop Kesha sorti en 2009, incarnation de l’insouciance noughties. En août 2018, TikTok fusionne finalement avec Musical.ly, alors populaire en Europe. Elle est depuis devenue la « destination des vidéos mobiles de courte durée ».
Avec Calvin Klein et Ralph Lauren, qui ont créé leur chaîne, les premières marques de mode ont fait leur entrée en 2018. Le premier contenu de marque fut initié en septembre 2018 par la marque Guess aux Etats-Unis à travers le hashtag #InMyDenim. Ici le challenge consistait à partager ses tenues Guess. La marque avait misé sur l’influence marketing pour promouvoir le challenge, dont Chriss Kerr Rio @ourfire, 2,3 millions de musers et Sharla May, @madison_willow, 983 000 musers.
L’application gagne une forte visibilité en 2019 avec le clip de la chanson “Old Town Road” de Lil Nas X. Visionné près de 67 millions de fois sur TikTok, le single a caracolé en tête du Billboard Hot 100, restant 17 semaines dans le classement. La même année, au mois de novembre, la France découvrait l’application. Mais le grand tournant débute en décembre 2019 avec la maison Céline, qui est devenue la première marque de luxe à choisir un influenceur TikTok comme égérie. La maison de luxe, sous la direction d’Hedi Slimane a jeté son dévolu sur Noen Eubanks, e-boy de 18 ans, star des playbacks vidéos et déjà 8 millions de followers. Dans son sillage, la marque française n’a pas tardé à entraîner d’autres maisons de mode et de luxe tels que Gucci, Balmain, Balenciaga, Prada, Alice + Olivia, Tory Burch, Jacquemus…
Avec 700 millions de téléchargements, Tik Tok est devenue l’application la plus téléchargée en 2019.
Le nouveau point de ralliement social media de la génération Z
Avec eux, Instagram et ses filtres exhausteurs de réalité appartiennent déjà au passé. Eux ? Les membres de la génération Z.
Nés entre 1995 et 2012, ils se voient comme acteurs du changement sociétal à venir, à grand renfort de d’altruisme et d’activisme tant éco-responsable que politique. Biens décidés à faire bouger les lignes, moins résignés que leurs confrères Millennials, ils ont conscience du caractère éphémère du temps qui passe et des objets.
L’application est particulièrement populaire auprès des C.A.R.L.Y.s – segment d’adolescents de 25 ans et moins, révélé par l’étude Klaviyo, qui ne disposent pas encore de leur propre argent – qui revendiquent et assument l’imperfection. Vicky Banham, une influenceuse beauté sur Tiktok abonde « Alors qu’Instagram est devenu une plateforme bien établie, TikTok a une population jeune qui fiche pas mal de la photo parfaite ». La plateforme entre en résonance avec leurs demande de contenu brut, sans prise de tête et exprimant leur personnalité.
Ce sont ces ados ultra-connectés, appelés musers, qui ont fait de TikTok le phénomène qu’il est devenu. Le cabinet de recherche Moffet Nathanson avait identifié l’Inde, les États-Unis, la Turquie et la Russie comme étant les pays avec la plus grande base d’utilisateurs en 2019. De plus, 66 % des utilisateurs mondiaux de la plateforme ont moins de 30 ans, selon la société d’analyse de données Business of Apps. Bien qu’elle gagne du terrain dans les usages au-delà d’un silo purement générationnel, l’application s’adresse surtout aux 13-25 ans tandis que son coeur de cible se situe entre 16 et 18 ans.
Intensifier sa présence sur l’application s’annonce comme un véritable enjeu pour l’avenir des marques, dans le sens où cette génération Z représentera 82 millions personnes d’ici 2026. Un enjeu rappelé par Guess en 2018 lors de son partenariat avec TikTok USA : “Les goûts et les désirs de ces digital natives régissent l’avenir des médias sociaux et de la culture. Un espace de marque encombré exige un contenu unique et engageant ainsi qu’une participation intégrée. Notre partenariat avec TikTok est une évolution passionnante dans le cadre de notre stratégie de marketing numérique ».
Talent, diversity et fun : les codes du contenu à la sauce Bytedance
La plateforme reflète les codes chers à la génération Z : instantanéité, cool et inclusivité. Ici challenges et mèmes – éléments culturels reconnaissables détournés et repris en masse sur internet – règnent en maîtres.
Autre éléments déconcertants pour des marques habituées à l’esthétique glossy et aux CTA e-commerce d’instagram, l’obligation de délivrer un contenu divertissant et surtout non retouché. Car sur TikTok c’est l’esprit DIY – Do It Yourself – qui dicte sa loi. Comme l’explique Sarah Willersdorf, Head of Global luxury chez BCG, « Traditionnellement, les marques de luxe ont l’habitude de produire un contenu très édité, très soigné et très orienté produit : Ce n’est pas TikTok ». Sur la plateforme, les musers peuvent agrémenter leur vidéo de morceaux musicaux, de filtres visuels – les fameux effets -, de timelaps, d’écrans partagés, d’écrans verts, de transitions, d’autocollants, de GIFs, d’emojis.
Méritocratique, le réseau social peut élever au rang de star n’importe quel utilisateur, dès lors qu’il se montre talentueux et créatif. Cette valeur ajoutée, il la doit à son algorithme surpuissant qui lui permet d’offrir un feed personnalisé “for you”. En prenant en compte les likes, les commentaires et les partages, la plateforme propose des contenus adaptés aux goûts de l’utilisateurs mais aussi est capable de prédire quelle vidéo va devenir virale. Un système qui contraste avec les algorithmes des Instagram et Youtube, basés sur le clic et le nombre de vues. De plus les hashtags permettent ici à tout un chacun d’apparaître dans le flux d’actualité.
La force du réseau social est qu’il invite ses utilisateurs à un comportement plus spontané et actif que sur Instagram. Les marques de mode peuvent y trouver un moyen de fédérer leur communauté d’enthousiastes autour de hastag challenges comiques ou d’évènements participatifs. L’opportunité en terme de visibilité et d’image c’est la création d’un effet aux couleurs de la marque.
L’application de revente Poshmark fut l’une des premières marques à tester le concept TikTok, délaissant les campagnes traditionnelles pour opter pour du contenu externalisé auprès d’influencers. Burberry est quant à elle, la première marque de luxe à avoir lancé une campagne paid et organique lors du lancement de sa collection Thomas Burberry. A travers son hashtag challenge #TBChallenges, elle a invité ses musers à recréer le logo avec leurs mains. Résultat : 30 000 vidéos créés et 57 millions de vues selon la marque, native et UGC – User Generated Content, contenu généré par les utilisateurs – compris.
En février 2019, la marque de sous-vêtement de luxe Calvin Klein avait lancé sa campagne #INMYCALVIN en capitalisant sur ses valeurs d’intimité, d’audace et de lifestyle, le tout précédé par la mention “REMOVE THE FILTER. THIS IS #MYCALVINS #IRL. La marque américaine avait partagé une courte vidéo avec le rappeur ASAP rocky l’influenceuse mode Kendall Jenner et le chanteur pop Shawn Mendes. Ce dernier, qui avait posé assis en Calvin klein tout en évoquant ses morceaux musicaux préférés avait généré un engagement de 30%, soit 10 fois plus que la campagne de la marque impliquant le chanteur pop Justin Bieber en 2015. Depuis le hashtag perdure et devient un prétexte pour montrer les coulisses des tournages des campagnes et le contenu des fêtes de fin d’année.
Testant la nouvelle fonctionnalité e-commerce “shop now” en plein confinement, la marque de denim Levis a relevé un doublement du nombre de vues de ces produits sur les pages « Future Finish » de Levi.com. Plus récemment encore, le retailer japonais de fast fashion Uniqlo s’est associé à Tiktok dans le cadre de sa campagne #UTPlayYourWorld pour promouvoir sa collection printemps/été 2019. Les utilisateurs étaient encouragés à télécharger des vidéos portant leurs tenues préférées de la collection et à participer à un concours pour gagner un Grand Prix et que leur vidéo soit diffusée en magasin. Le challenge était disponible du 25 juin au 11 juillet 2020 et était ouvert aux seuls musers des États-Unis, de la France, du Japon et de Taïwan. La campagne a généré 709,8 millions de vues sur la plateforme.
Le secteur mode et luxe n’est pas le seul à succomber aux appels de TikTok , en Chine, le contenu des vidéos de beauté a augmenté de 228 % par rapport à l’année précédente en 2019, ce qui est plus rapide que la croissance moyenne de TikTok qui est de 192 %.
Au mois de juin 2020, la plateforme a lancé un service « TikTok for Business » pour aider les marques à produire du contenu engageant.
La plateforme est actuellement sous le feu des critiques : bannie en Inde et soumise à un ultimatum de la part de Washington, en pleine suspicion d’espionnage de la part de Pékin. En effet, le président Trump donne jusqu’au 15 septembre à ByteDance pour conclure le rachat de la branche anglo-saxonne de TikTok (Etats-Unis, Canada, Nouvelle-Zélande, Australie) avec Microsoft, faute de quoi l’application sera exclue du sol américain. Ce faisant, TikTok n’est désormais plus le seul à proposer des formats vidéo amusants de très courte durée et la concurrence s’organise à l’échelle internationale.
Un des cofondateurs de Vine, plateforme vidéo adulée mais à la durée de vie trop courte, vient de lancer Byte. Facebook, qui ne peut rester sans réagir face au dédain manifesté à l’égard d’Instagram par les moins de 18 ans, vient de lancer le format Reels sur Instagram. Google se lance, quant à lui, dans le jeu vidéo de courte durée avec Tangi. L’Asie n’est pas en reste : Kuaishou, soutenu par le géant des télécom chinois Tencent, gagne en popularité, tandis que son application sœur, Kwai connaît un succès d’estime au Brésil.
- TikTok, propriété du géant chinois de la tech ByteDance est le nouveau réseau social en vogue avec 800 millions d'utilisateurs actifs et plus de 2 milliards de téléchargements d'après Sensor Tower.
- Avec une audience cible de 16-24 ans, le réseau social est un outil de ciblage pertinent pour les marques désireuses de toucher les membres de la génération Z, adolescents nés entre 1995 et 2012.
- La plateforme permet à ses utilisateurs de laisser libre court à leur créativité via un éditeur de vidéo permettant de créer, monter, partager des vidéos ludiques et artisanales de courtes durée (entre 15 et 60 secondes). Il ne s’agit pas ici d’engager sur des produits mais des inspirations culturelles (musique, cinéma, livre…). Une contrainte technique pour les marques qui peut devenir une opportunité créative pour expérimenter de nouveaux formats.
- Les marques peuvent capitaliser sur la popularité des hashtag challenges. Ces défis incitent les utilisateurs à endosser un rôle actif. Ceux-ci doivent être interactifs, simples, singuliers et cohérents avec l’ADN de la marque.
- La force du réseau social réside dansson algorithme méritocratique surpuissant proposant aux utilisateurs des contenus pertinents dans leur feed personnalisé à partir des likes, commentaires et partages et non des clics et du nombre de vues.
- Au vue des tensions actuelles que suscite l'application aux Etats et en Inde quant au traitement des données personnelles, il apparait important de ne pas miser exclusivement sur Tiktok pour capitaliser sur le format vidéo court.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.