L’Inde se caractérise par un marché du retail très fragmenté où les 6,65 millions de kirana, petites échoppes de proximité ayant une connaissance aiguë des besoins clients, sont reines et les géants de la distribution, l’exception. Dans ce pays qui pourrait sortir gagnant de la crise face à une Chine perçue comme trop hégémonique dans les échanges internationaux, le commerce de détails s’en trouve lui-aussi bouleversé

Face à une clientèle susceptible de ne pas revenir de sitôt en points de vente physique, rester agile et vif au moyen d’une stratégie omnicanale anticipant l’accélération du e-commerce, s’avère plus que jamais hautement recommandé. Le secret ? Combiner la connaissance intime du client d’un kirana et la modernité d’un grand supermarché. Et les épiceries, à l’instar des points de distributions en Asie, pourraient bien être les premiers à en bénéficier.

Subodh Agnihotri / istock

Entre rationalisation des coûts et exigence de performance : la prépondérance des ventes sur le marketing

Alors que nombre de petites et moyennes entreprises disposent d’à peine deux mois d’avance dans leur trésorerie, il leur faut trouver urgemment le moyen de maintenir leur business hors de l’eau. La situation est d’autant plus préoccupante que la demande s’avère incertaine, alors que certains clients ont pu perdre leur emploi et qu’une récession économique mondiale, plus grave que la Grande Dépression de 1929 se profile à l’horizon. 

De l’autre, la “vraie” reprise d’une sortie shopping libérée des carcans de la distanciation sociale,  est conditionnée à la découverte d’un vaccin, non prévu avant la fin de l’année… au plus tôt.  

Outre la signalétique et la réorientation des flux clients, les retailers vont donc devoir composer avec une désaffection des points de vente physiques vouée à perdurer. Vernon Chua l’affirme, à moins d’être un supermarché, les retailers doivent s’attendre à une chute de la fréquentation de leurs clients en magasin (d’¼ voire de moitié).  

Cette situation va engendrer une baisse drastique des achats d’impulsion

 

Aux yeux de ce Retail Data Expert et CEO of Innergia Labs, entreprise commercialisant une solution d’optimisation retail dédiée aux PME, le scénario le plus optimiste serait un retour à la normale pour le second trimestre 2021

 

La priorité dans ces conditions s’inscrit dans le court-terme : sécuriser l’existant et limiter les dépenses non-essentielles. Selon Vernon Chua, le professionnel peut agir sur 3 leviers : le loyer, l’inventaire et les opérations. 

Dans un premier temps, rationaliser le coût fixe du loyer, poste de dépense incontournable pour tout retailer, permettra de dégager du cashflow.

Il est ainsi envisageable de regrouper plusieurs entités retail sous un même toit, ou encore pour un exploitant commercial se situant dans un mall de renégocier son GTO (Gross Turnover Rent) et opter pour un loyer fixe faible avec un pourcentage plus élevé du chiffre d’affaires.  Une méthode qui permettra de partager les pertes et les bénéfices dès les premiers signes d’une embellie sur le marché. 

Nécessitant des investissements élevés, le lancement de nouvelles marques comme l’ouverture de nouvelles boutiques physiques devrait connaître un net ralentissement, au profit de stratégies d’extension pour gagner davantage de segments. 

 

La période peut aussi être propice pour optimiser l’offre produit en analysant les ventes antérieures et en faisant l’inventaire des produits qui rapportent le plus au retailer.  

Ce sera par là-même l’occasion de réfléchir comment les mettre davantage en valeur en magasin comme dans la boutique en ligne. La stratégie à privilégier est la concentration sur les produits best-sellers et de se débarrasser de produits poids morts, destructeurs de valeur et coûteux en frais d’immobilisation. 

 

Coté marketing aussi, les retailers chercheront des moyens de réduire les coûts tant dans leurs produits (fabrication, stockage…) que dans leurs rencontres commerciales (décliner un évènement de visu en visio), sans pour autant mettre en péril la santé de leurs clients. 

Face aux coupes dans le budget publicité qui s’annoncent, nul doute que les professionnels du marketing devront redoubler d’effort pour innover avec moins de ressources

En outre, l’épisode COVID devrait favoriser l’émergence d’instruments de mesure ROI reliant dépenses marketing et ventes

 

Un changement radical des méthodes d’évaluation de l’efficacité marketing et de la performance devrait, du même coup, s’opérer. Plus que jamais, les ventes vont exercer une plus grande pression sur le marketing en nécessitant une communication efficace, c’est-à-dire à même de stimuler les ventes.

 

Cette baisse des revenus, consécutive de la récession qui s’annonce et des nouveaux comportements consommateurs, incitera les organisations à innover tant au niveau des modèles de distribution que dans leurs outils et formats de communication. 

Ainsi, il est clair que les dépenses publicitaires devront tenir compte de l’audience : il s’avère ainsi peu réaliste d’investir massivement dans des espaces actuellement désertés comme les cinémas ou l’affichage extérieur. 

Deepak Verma / istock

Entre proximité et modernité, le CRM omnicanal comme moyen de survie pour les retailers

L’Inde est historiquement un marché retail atomisé où règne les kirana. Le marché s’est toutefois converti progressivement au modèle des malls américains et chinois. C’est ainsi que sous le Raj Britannique (1863-1864), le sous-continent indien s’est doté de son premier grand magasin, le Spencer Plaza, rebâti et réouvert en 1987. 

Les professionnels du marketing ont tout lieu de s’inspirer de ces commerces de proximité qui ont développé au fil du temps une connaissance intime de sa clientèle

Les clients vont-ils persister dans l’arbitrage en faveur de produits de première nécessité ou vont-ils exprimer à long terme un besoin d’évasion auprès de produits délaissés lors du confinement ? 

Or, force est de constater que de nombreux retailers ignorent encore le comportement socio-démographique de leurs consommateurs. Une situation qui n’est clairement plus tenable aujourd’hui. En effet, cette méconnaissance des attentes évolutives de la clientèle amène à des prévision de vente erronée et à un risque d’inadéquation de l’offre et donc à un grand nombre de produits invendus. 

Il s’agit de connaître les jours et heures de rush mais aussi les modes de paiement choisis et d’étudier la composition du panier client afin d’en déduire des association de produit gagnante pour bâtir une opération promotionnelle efficace

 

Dans ce nouveau “monde avec” le COVID-19, il faut se préparer à ce que  l’économie puisse à tout moment se retourner à la vitesse d’un cheval au galop. Il va falloir cibler de nouveaux segments de consommateurs, de nouvelles zones géographiques mais aussi et surtout améliorer la proposition de valeur dans le produit comme le service pour espérer regagner la confiance et s’emparer de nouvelles parts de marché. 

 

Pour répondre aux nouvelles attentes consommateurs, la technologie et une base de données unifiée seront les meilleurs alliés des retailers. 

La sensibilité des clients à la santé et à l’hygiène devrait augmenter temporairement au cours de l’année 2020. Le fabricant de gel hydroalcoolique Savlon Hexa a choisi de travailler ses activations et campagnes autour des valeurs accessibilité, confort et simplicité. Ces éléments pourraient donc à juste titre être intégrés par les marques dans leurs campagnes de communication ou traduites en bénéfices produit.

 

Un élément ne devra pas être négligé: l’état des finances du consommateur. 

En effet, compte tenu de la hausse du chômage et de leur détresse économique, les ménages devraient avoir moins de réserve dans leur épargne.

Ce qui amène à un élément déterminant : la gamme de produits devra être remaniée de manière à offrir une valeur plus élevée tout en restant aux mêmes niveaux de prix

En effet, les vagues de licenciements risquent d’entraîner une diminution significative des réserves d’épargne, laissant un revenu disponible moindre pour le consommateur. Celui-ci sera mécaniquement amené à préférer des offres de produits selon un critère de prix mais néanmoins davantage axé sur la valeur, ce qui entraînera une augmentation de la récession.

 

Pour sécuriser la viabilité de l’entreprise, de nouvelles méthodes d’acquisition et de rétention de la clientèle devront être mises en place

 

La survie des points de vente physiques passera donc par le digital à travers deux canaux : l’e-commerce et la publicité. Par sa capacité à maîtriser les nouveaux usages numériques et à sonder/analyser les besoins et les attentes clients sur les réseaux sociaux le responsable digital apparaît dans cette crise comme le nouveau directeur marketing

 

Si le développement d’une plateforme e-commerce dédiée s’avère tardive vu les circonstances, les retailers peuvent néanmoins compter sur le social commerce pour gagner en visibilité et ainsi étendre leur zone de chalandise. 

 

Vu l’annulation des matchs de cricket de l’Indian Premier League et l’annulation par le GEC de la plupart de ses évènements , le numérique va devenir le principal support publicitaire cette année et dépassera la télévision.  De son côté, le hors média, sur le déclin pré-COVID est voué à disparaître prochainement.  

 

Les retailers devront en outre analyser l’engagement de leurs clients sur les médias sociaux et les applications de messagerie instantanée (de type WhatsApp), et s’assurer qu’ils disposent des capacités logistiques ou des partenariats nécessaires pour accomplir le dernier kilomètre de livraison : Si le client ne peut venir au professionnel, ce sera au professionnel de s’adresser à lui. 

Pour les retailers la stimulation progressive du commerce passera par l’e-commerce, équipement nécessaire pour survivre dans un environnement VUCA comme cette pandémie. L’analyse du comportement consommateur au moyen d’un outil de CRM adéquat, leur permettra de personnaliser leur assortiments de produits et leurs offres promotionnelles, de façon à capter la clientèle plus efficacement et à la fidéliser après-COVID.  

Mohit Suthar / Unsplash
A Retenir
  • S’adapter à un new normal cristallisé par une baisse de la fréquentation momentanée mais durable en magasin, de l’ordre de ½ ou ¼ et un budget contraint pour la clientèle. Il s’agira de faire preuve d’innovation pour proposer un produit à plus forte valeur ajoutée mais à un même niveau de prix. Les valeurs plébiscitées en période de crise, santé et hygiène pourront être intégré dans les communications comme dans les bénéfices produits. Pour Veron Chua, une reprise à un niveau pré-COVID est attendu pour le second trimestre 2021… au plus tôt. 
  • Libérer du cash flow en agissant au niveau du loyer, de l’inventaire et des opérations. Dans cette situation brutale et incertaine l’argent est ROI.
  • Mettre en place un instrument de mesure ROI reliant le marketing aux ventes.
  • Renforcer la connaissance du client pour personnaliser la relation commerciale, l’offre produit et les opérations promotionnelles. Le déploiement d’un CRM consolidé entre les différentes unités commerciales ou l’observation des comportements des internautes sur les réseaux sociaux peuvent y contribuer.
  • Survivre en proposant pour les clients isolés un service e-commerce, a minima sur les réseaux sociaux via le social selling. Encore faut-il être en mesure d’assurer la livraison sur le dernier kilomètre. Le COVID peut être l’occasion pour les retailers de renforcer la fiabilité de leur réseau supply chain et de distribution. De l’importance de faire sien ce proverbe britannique « la nécessité est mère d'industrie ».