Autrefois, simple fournisseur des plus grands groupes internationaux de produits de beauté, la Chine, second marché de consommation de produits cosmétiques dans le monde (derrière les Etats-Unis) s’émancipe désormais et lance ses propres marques.
Sous l’effet d’une china pride revigorée, la déferlante esthétique coréenne (ou K beauty) commence à s’essouffler et le “style chinois” a de nouveau le vent en poupe. L’empire du milieu compte bien conquérir de nouveaux marchés, fort de ses produits de niche, de ses innovations pionnières et de son pricing accessible. Et le contexte sanitaire pourrait bien l’y aider.
“Buy chinese” ou la riposte du patriotisme économique
Par la localisation de son foyer infectieux, le COVID a très vite été assimilé, à commencer par le président américain Donald Trump, au “virus de Wuhan” et par extension à un virus d’origine chinoise. Face à cet amalgame, colporté sur les réseaux sociaux, des comportements et incivilités envers les clients chinois ont bondi dans les premières semaines de propagation de la pandémie. Un phénomène de “recherche de bouc-émissaires” déjà observé dans l’histoire lors de graves épidémies. En réaction, un boycott des marques occidentales s’est enclenché en Chine au profit de marques locales “made in china”. Un phénomène déjà observé vis-à-vis de Dolce & Gabbana ou encore Versace suite à des allégation de campagne offensantes perçues comme manifestement racistes.
Cette tendance au “buy chinese” comme contribution à l’effort national et marque ultime d’appartenance au groupe, avait déjà été encouragé pré-COVID par le gouvernement chinois, soucieux de récolter les bénéfices inhérents. Elle se matérialise dans le mouvement Guochao (国潮), autrement dit la “fierté nationale” et qui consiste à redécouvrir et revaloriser culture et esthétisme chinois. Des marques comme Florasis puisent ainsi leur inspiration dans l’histoire ancestrale du pays (design, storytelling, packaging…)
Une attitude “j’achèterai plus si vous faîtes quelque chose pour mon pays” se fait jour auprès de consommateurs chinois qui réclament un soutien des marques autant que des marques d’attentions. Dès 2017 des tensions liées au missile US THAAD situé sur la péninsule coréenne avait entraîné un arrêt des importation de produits coréens. Une fierté nationale qui s’est accentué sous l’effet de la guerre commerciale avec les Etats-Unis.
En Chine, l’achat de produits nationaux renforce l’identité et les habitants se sentent responsables de la croissance de leur pays et sont fiers d’y contribuer. Une manière d’affirmer davantage leur identité de “citoyen” plutôt que celle de “consommateur”. Ce discours en faveur des marques nationale fait mouche en particulier auprès de la génération Z, cible privilégiée de l’influente marque locale Perfect Diary (Yatsen).
D’après son Insight Report on domestic brands, le géant des télécoms Tencent souligne que les marques domestiques représentaient 56 % de la part de marché en Chine en 2019. Le rapport relève en outre que 42 % des consommateurs chinois seraient plus enclins à opter pour des marques de beauté nationales et que 90 % des consommateurs ayant déjà sauté le pas le referait sans hésiter dans le futur. Morgan Stanley estime, dans son rapport China beauty product growth, que la part de la Chine sur le marché international de la beauté augmentera de 66% d’ici 2024, soit un bond des ventes d’environ 38 milliards de dollars.
Si les marques locales suscitent encore une certaine méfiance, avec le risque de contrefaçon inhérente dans le pays, les jeunes générations se montrent davantage enthousiastes pour acheter leurs produits de beauté.
K beauty, vers la fin d’une hégémonie aspirationnelle
Dans les années 1990 et 2000, les groupes coréens AmorePacific et LG Household & Healthcare écoulaient sans mal leurs produits de beauté en Chine. AmorePacific est un des principaux groupes de beauté au monde et un conglomérat composé de 33 marques de beauté dont Iope et La Neige. Le pays du matin calme est connu pour être derrière le succès des BB cream, des masques en papier et des fonds de teint cushion nomades. Les deux groupes ont développé une offre de produits étendue avec, au coeur de leur activité, les soins de la peau et les produits cosmétiques. Il faut dire que le pays, à l’instar d’autres pays d’Asie du Sud-Est, était abreuvé de culture coréenne, à commencer par les groupes musicaux de K pop, les dramas ou encore le cinéma et la scène mode.
Désormais l’engouement pour les produits de beauté coréens s’essouffle. Jusqu’ici la beauté coréenne renvoyait à une certaine idée de la perfection esthétique en Asie, avec une peau sans défaut doublée d’une jeunesse éternelle. Avec un positionnement entre le low et le middle market, les marques coréennes avaient bâti leur image sur un produit naturel, sain et accessible. Toutefois les marques coréennes ont finis par devenir trop homogènes, un comble face à une clientèle chinoise chérissant l’individualisme dans le collectif. Sans compter que ce qui faisaient leur force pré-COVID – la diminution du cycle dédié à la R&D – fait aujourd’hui figure de faiblesse alors que la santé est au coeur des préoccupations clients.
Ce désintérêt croissant de la clientèle chinoise pour les produits coréens n’a pas été sans conséquences sur leurs stratégies retail. Or, le marché coréen demeure fortement retailisé (boutiques en propre et grands magasins) quand la Chine a beaucoup plus développé son e-commerce. Le cabinet McKinsey confirme la faiblesse de la distribution en Corée avec sa faible pénétration e-commerce, insistant sur le fait que le retour sur les points de vente physiques sera « lent et différencié ». En 2018, The Faceshop a fermé l’ensemble de ses points de vente présents sur le territoire chinois tout en continuant à distribuer ses produits sur la plateforme e-commerce Tmall, tandis que Innisfree compte fermer 90 points de vente.
En 2019, le site d’information Jieman avait confié au New York Times, que l’exportation des produits de beauté et cosmétiques de Corée du sud n’a connu qu’une hausse de 20%, contre 66% durant 5 ans.
Aujourd’hui l’industrie des cosmétiques du pays du matin calme fait face à une nouvelle concurrence où les anciennes et nouvelles marques nationales chinoises sont devenues plus innovantes et plus avisées. Contrairement à leurs homologues coréennes, elles sont nées sur internet et ont massivement investies sur tous les points de contact digitaux (e-commerce, social media…).
Une évolution des usages favorable à l’industrie chinoise de la beauté
Les produits “made in China” ont longtemps été perçu comme de pâles copies bon marché de grandes marques occidentales et avec elles un risque pour la santé de ses utilisateurs en particulier concernant des produits de beauté.
Aujourd’hui, le pays donne à voir une industrie résolument pionnière qui puise dans les racines historiques de sa médecine spécialisée dans l’herboristerie. Culturellement pertinentes, abordables et digital-first les marques chinoises gagnent en crédibilité et en efficacité. Pour les adolescents de la génération Z en Chine, la marque de beauté HEDONE injecte ironie et espièglerie dans le maquillage au lieu de se concentrer uniquement sur la beauté/physique. La position audacieuse et provocante de la marque en matière de beauté se reflète dans les noms de produits comme son rouge à lèvres « bitch girl ». Un produit devenu best seller grâce à la KOL – Key Opinion Leader, influenceuse en Chine – Li Jiaqi qui l’a désigné comme « the real bitch color ». Les adolescentes chinoises pour qui les conventions sociales locales exigeait une image de « bonnes filles » sympathiques ont montré un enthousiasme sans précédent pour cette nouvelle marque via le hashtag communautaire #HEDONE渣女态度# (bitch girl attitude).
Selon Mintel, les marques chinoises puisent leur différence dans l’esprit communautaire, leur bon rapport qualité prix et la distribution online. Contrairement aux marques de luxe étrangères, dépendantes du facteur d’exclusivité, les marques locales chinoise jouent à plein sur le facteur prix. Celles-ci sont capables de générer des marges supérieures grâce à un positionnement de prix plus bas tandis que la proximité des sites de production permet de bénéficier de coûts réduits et donc de muscler leurs stratégies de prix. En plus de proposer des produits à moins de 100 RMB, les marques de beauté chinoises offrent à leurs clients une politique de retour généreuse, des frais de port gratuits et enfin une recommandation de leur influenceur favori. La durée de développement d’un produit cosmétique est moindre grâce à l’effet d’expérience hérité de leur statut de FEO – Fabricant d’Equipement d’Origine – auprès des grands groupes internationaux. Citons ainsi des marques à forte croissance comme Home Facial Pro et Perfect Diary qui ont bénéficié d’un marketing digital efficace. Grâce à une injection de 100 millions de dollars, cette année, de la part de Tiger Global Management Perfect Diary se retrouve valorisée à 2 milliards de dollars. Ces produits au pricing abordable sont parfaitement calibrés pour les réseaux sociaux. Fondée en 2019, la marque chinoise de beauté est experte en social media marketing, communiquant à la fois sur Weibo, Wechat et Xiashongshu (The Little Red Book) ou avec l’appui de KOC – Key Opinion Consumer – dont son influencer virtuel maison Xiao Wanzi. Avant le Covid, Perfect Diary possèdait 30 boutiques, notamment à Shanghai et Guangzhou. D’ici 3 ans elle a l’ambition d’ouvrir 600 boutiques.
Si les marques chinoises vendent leurs produits sur des plateformes e-commerce et sur les réseaux sociaux, elles s’appuient aussi sur un réseau retail physique. Ici la boutique sert à entretenir la viralité sur les réseaux sociaux et à bénéficié d’une stratégie d’acquisition via un véritable bouche-à-oreille. Harmay, pure player e-commerce officiant via Taobao et très présent sur les médias sociaux et les plateformes e-commerce Xiaohongshu – The Little Red Book – et Douyin -TikTok en Chine – a lancé ses propres magasins à Beijing, Shanghai et Hong-Kong. De son côté, The Colorist (KK Group) a connu un développement fulgurant. En octobre 2019, la marque ouvrait ses premiers points de vente physiques à Guangzhou et Shenzhen. Sept mois plus tard la marque comptait plus de 60 magasins répartis dans 20 villes du pays.
Avec le COVID et les mesures sanitaires correspondantes, un changement de comportement de consommation s’est opéré dans nombres de régions du monde et la Chine ne fait pas exception. Alors que les chinois étaient pré-covid de plus en plus soucieux de la qualité des ingrédients dans les produits de beauté, la pandémie a accru la recherche de produits cosmétiques à base de produits naturels. L’enquête Toluna « Consumer Reactions to COVID-19 » a révélé que 80 % des consommateurs chinois, soit le deuxième plus grand nombre après les Philippines, ont indiqué qu’ils seraient plus soucieux de leur santé après le COVID-19 tandis que 59 % ont déclaré une plus grande proximité avec les préoccupations d’éco-responsabilité. En outre 54% des consommateurs chinois de la génération Z disent apprécier les soins à base de plantes, ainsi que le relève le cabinet d’études de marché Kantar. C’est ainsi que la marque Cha Ling a gagné en popularité auprès des consommateurs chinois en utilisant les thés Pu’er très appréciés dans leurs produits pour leurs effets anti-âge, hydratants et cicatrisants. De l’autre, la marque patrimoniale chinoise de beauté Pechoin s’est associé à la chaîne Hey Tea pour créer un produit au croisement des segments food et beauté pour cibler jeunesse.
- La population chinoise témoigne d’une fierté nationale retrouvée (Guochao) et a de nouveau confiance dans le “made in china” y compris pour ses produits de beauté. D’après un rapport Tencent 42 % des consommateurs chinois seraient plus enclins à opter pour des marques de beauté nationales et que 90 % des consommateurs ayant déjà sauté le pas réitéreraient leurs achats dans le futur.
- L'esthétique coréenne tout comme les marques de la K beauty sont en perte de vitesse. Le manque d’originalité de leur produits de beauté ainsi que la réduction des cycles de R&D ont eu raison de leur popularité.
- Les marques chinoises bénéficient de l’effet d’expérience acquis auprès des grands groupes occidentaux. En outre leur identité locale, leur rapport qualité prix, leur dimension sociale et leur distribution online séduisent un pan croissant de consommatrices.
- D’après Morgan Stanley, la part de la Chine sur le marché international de la beauté augmentera de 66% d’ici 2024, soit un bond des ventes d’environ 38 milliards de dollars.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.