Le « monde d’après » la pandémie sera-t-il si différent du « monde d’avant » ? Plusieurs enquêtes et opinions de spécialistes indiquent un écart grandissant des inégalités en France. La demande de produits plus locaux et éthiques risque de ne pas faire le poids face à la crise économique et aux difficultés financières rencontrées par de nombreux Français depuis le confinement.

L’accélération du numérique

La crise sanitaire est loin d’être terminée et la population française a dû et doit toujours s’adapter aux mesures de restriction imposées par le gouvernement. Certains comportements et habitudes de consommation vont ainsi perdurer dans le temps, indique une enquête de Forrester, société américaine de recherche et de conseil, réalisée entre le 10 et le 15 avril 2020 auprès de 1 115 internautes français âgés de 18 ou plus, rapporte Siècle Digital. Parmi ces nouvelles habitudes, on retrouve particulièrement l’usage du numérique via la démocratisation du télétravail, le recours au commerce en ligne et la sollicitation massive des plateformes vidéos.

19% des personnes ayant répondu à l’enquête de Forrester ont acheté des produits alimentaires sur Internet pour la première fois, 54% des répondants ont déclaré passer plus de temps sur des outils de communication vidéo, détaille Siècle Digital.

« Globalement les Français ont envie de continuer à faire plus de choses par eux-mêmes », explique de son côté Philippe Moati, économiste à l’université de Paris-Diderot et coprésident de l’Observatoire société et consommation, dans un entretien accordé au Figaro.

« Le télétravail va faire perdurer ces habitudes, par la transformation radicale du jeu des contraintes pendulaires et ce rapport au temps qui va être modifié. La question est de savoir comment cette crise va changer nos idéaux. Les changements seront-ils durables ? Nous allons forcément reprendre des habitudes. Le retour à la vie sociale modifie les comportements. On ne s’habille pas par ce qu’on a besoin de se couvrir… mais pour s’affirmer », souligne le spécialiste qui attire le regard sur un autre fait important créé par les crises sanitaire et économique : les inégalités entre les Français et les Françaises vont se creuser.

Des inégalités exacerbées 

« N’oublions pas l’hétérogénéité de la population, notamment au niveau du choc budgétaire : tout le monde ne va pas être touché de la même manière, et les inégalités vont s’exacerber », explique Philippe Moati, avant d’ajouter que « les comportements observés pendant le confinement ne permettent en rien de prédire ceux des prochaines semaines. » Même si « ce qui a le plus de chances de perdurer », ajoute l’économiste, « ce sont les tendances entretenues par le contexte de la crise sanitaire, notamment les idéologies écologiques dont la dynamique est montée bien avant le confinement. »

Une enquête menée par OpinionWay et Storymind à quatre mois d’intervalle (en janvier dernier, avant le confinement, et en mai 2020, après) souligne également l’exacerbation des inégalités. « Les consommateurs qui étaient déjà sensibles à un mode de vie plus green confirment leur choix », précise L’ADN. Tandis que les autres… poursuivent aussi leur lancée. Ainsi, les personnes suivant un régime végétarien continuent de plaider pour leur cause et les « viandards » aussi.

Malgré l’intérêt de la population française pour sa santé (notamment côté cosmétiques par exemple) et le recul des achats non responsables, « ça ne sera pas suffisant pour faire basculer le marché vers un modèle vertueux d’ici 2021 », prédit l’étude. Ajouté à cela une réelle fracture entre les CSP- des petites agglomérations et les CSP+ urbains et voilà pour les marques un réel défi d’adaptation dans ce « monde d’après » binaire.

La dissonance cognitive des plus précaires

L’enquête de Forrester, mentionnée plus haut, parle même de son côté d’une dissonance cognitive chez les consommateurs français. Ainsi, même si les personnes interrogées pour cette enquête indiquent qu’elles « apprécient davantage les entreprises éthiques et l’achat de proximité », les difficultés financières des foyers « pourraient les pousser à adopter des comportements contraires à leurs valeurs ». 73% se disent en effet inquiètes de la grave récession économique.

« Ce sont plus de 11 M de Français, soit un salarié sur deux, qui sont au chômage partiel et donc avec des revenus moindres à la fin du mois », alertait de son côté Alban Peltier, CEO AntVoice, dans un article publié en mai dernier. Avec la crise économique, de nombreuses personnes vont aussi perdre leur emploi.

« Clairement la priorité de cette frange de la population ne sera pas de consommer plus local ou plus responsable. La priorité sera avant tout de survivre, de nourrir les enfants. Le nutriscore ou la neutralité carbone n’auront alors aucun sens … Le prix (bas) restera le point central pour ces personnes », rappelle Alban Peltier.

Des marques agiles et responsables

Comment, en tant que marques, faire face à cette fracture sociale de plus en plus importante ? Comment adresser les bons messages face à une population plus consciente des enjeux sociaux et environnementaux mais dont les finances ne peuvent pas toujours se permettre d’investir dans du local et du responsable ?

Alban Peltier estime que, « plus que jamais, il va falloir faire preuve d’une grande agilité et mêler les discours et campagnes produits et promotions d’un côté, et les initiatives plus corporate et RSE de l’autre, tout en restant cohérent ».

Le CEO de AntVoice donne ainsi l’exemple de Carrefour, « avec d’une part sa communication traditionnelle, très promo, et d’autre part son engagement ‘Act for Good’ lancé en 2018 et renforcé en début d’année ».

Pour le cabinet Forrester, « la marque devient un moyen de fédérer », rapporte Siècle Digital. Il convient toutefois de veiller à rester authentique dans toute démarche d’engagement sociétal, au risque d’augmenter la défiance des consommateurs.

« Seules survivront à la crise les entreprises dont les dirigeants sont capables de définir une nouvelle vision, d’incarner les valeurs et le changement, d’engager leurs collaborateurs au service d’une meilleure expérience client », estime Thomas Husson, Vice-Président et Principal Analyst chez Forrester, cité par Siècle Digital.

Pour résumé
  • Le "monde d'après" seront un monde où les inégalités vont se creuser.
  • L'accélération de la transition numérique va modifier des comportements mais la crise économique devrait diminuer l'impact des grands idéaux d'une partie des consommateurs.
  • Comment s'adapter à la demande de produits plus responsables et aux difficultés financières des consommateurs ?
  • En restant authentiques et en se montrant agiles.