Face à une période aussi instable qu’incertaine, Jonathan William Anderson, le directeur artistique derrière la marque de luxe espagnole Loewe (LVMH), décide de convoquer la nostalgie de l’enfance au travers d’une collection capsule rendant hommage à une des oeuvres majeures – et authentique mascotte – du studio Ghibli : Mon Voisin Totoro. Une référence graphique autant que symbolique qui entre en résonance avec l’appel de la nature et du réconfort de l’amitié consécutif aux confinements successifs.

A l’occasion des 80 ans de Hayao Miyazaki, cofondateur des Studios Ghibli – l’autre membre du duo, Isao Takahata, est décédé en 2018 – la maison de luxe Loewe, en la personne de son designer JW Anderson, a décidé de lancer, début janvier, une collection capsule inspirée de l’univers graphique et onirique du film Mon voisin Totoro. Loewe et le studio Ghibli ont en commun cet amour mutuel de l’artisanat et de la technique artisanale exprimé dans leurs langues respectives. Celle-ci est composée de 48 pièces allant du prêt-à-porter en passant par la maroquinerie. Chacun des articles reprend les éléments graphiques du totoro, de son arbre fétiche – le camphrier – et de ses petits acolytes. Et les pièces phares de la maison comme le sac Puzzle ou le Hammock sont aussi revisitées pour l’occasion. 

A la différence, d’autres collaborations proposant un simple clin d’œil à un univers, la collection se dote d’un supplément d’âme à travers les thématiques engagées, régulièrement abordées par le Studio Ghibli (guerre, capitalisme, environnement). Le studio est connu pour ses films d’animation aux allures de contes philosophiques. Ainsi derrière, des personnages hyper-expressifs et des univers merveilleux inspirés des légendes japonaises (esprits de la nature, monstres et autres fantômes), le scénario des films cache souvent une trame bien plus profonde. Des œuvres comme Princesse Mononoké (1997), Nausicaä de la vallée du vent (1984) ou encore Arrietty et le petit monde des chapardeurs (2010) se révèlent de véritables manifestes sur la protection de l’environnement et l’absolue nécessité d’une harmonie avec la nature

Sorti en 1988 au Japon – et dix ans plus tard en Europe – le film d’animation Mon voisin Totoro relate les aventures des deux sœurs Kusakabe (Satsuki et Mei) emménageant à la campagne afin de rester au chevet de leur mère hospitalisée. Elles font la connaissance d’une créature géante mais attendrissante : Totoro. A noter que son nom vient d’une mauvaise prononciation de Mei qui voulait dire “troll”. Celui-ci les aide à faire pousser des glands qu’il leur avait donné en échange d’un parapluie lors d’une malencontreuse averse. Ce monstre aux oreilles pointues s’apparente à un croisement entre un panda et un chat. Cet esprit de la forêt – un kami dans le plus pur respect de la religion animiste shintoïste, selon lequel chaque être serait doté d’une âme – vivant avec ses compagnons, les espiègles susuwatari (ou boules de suie) qui vivent dans les espaces inoccupés. Le catalogue de Miyazaki a fait son entrée sur Netflix en 2020. A noter que le film se déroule dans le monde rural et ne possède pas d’intrigue particulière au sens où il n’y a aucun antagoniste, un détail qui n’est pas sans rappeler le jeu vidéo Animal Crossing, véritable succès du confinement signé Nintendo et faisant écho à la tendance cottage core. 

Comme le déclare JW Anderson dans un communiqué, « Quand je pense à un film qui me procure ce genre de réconfort, en parlant aussi directement à un enfant qu’à un adulte, ce film c’est Mon voisin Totoro. L’histoire de l’amitié de Mei et Satsuki avec le magique Totoro et ses cohortes, les espiègles boules de suie, qui ne peuvent pas être vues par les adultes mais seulement par les enfants qui les aiment, est vraiment touchante. C’est un produit de l’artisanat sous la forme d’un film d’animation.

Cette collection est aussi un moyen astucieux de capitaliser sur la fascination des jeunes générations – millennials en tête – pour le Cool Japan. Le pays du soleil levant, confronté à la fin des années 1970, à un déclin économique alors que son hardware peine à s’exporter (comme le walkman de sony…), décide, bien que tardivement, d’exporter son soft power à travers des produits culturels comme les animes et les mangas (Le roi Léo et Goldorak dans les années 1970 puis l’univers dystopique d’Akira en 1983). Moins onéreuses que les productions américaines et européennes, elles s’avèrent aussi plus nuancées. Ainsi, contrairement à des films de Disney manichéen, les productions japonaises présentent des personnages plus ambivalents et parlent à la jeunesse de sujets de société moins abordés comme la solitude, le deuil, les premiers émois… Le raz de marée de créations qui déferle sur l’Europe ne tarde pas à inspirer toute une nouvelle génération de dessinateurs, scénaristes… Un cool japan qui n’en finit pas d’inspirer les marques pour rajeunir leur clientèle et rappeler leurs souvenirs d’enfance ou d’adolescence, qu’il s’agisse de Louis Vuitton s’intéressant à l’univers vidéo ludique de la franchise Final Fantasy, Longchamp arborant la figure de Pikachu ou encore Gucci qui choisissait d’illustrer son lookbook avec les personnages de One Piece en octobre 2020. 

L’enfance, une madeleine de Proust remède à la sinistrose ambiante à en juger par le grand magasin du bon marché qui avait décidé l’automne dernier de déployer une thématique joviale et régressive, celle de la bande dessinée belge (avec les personnages cultes des Franquin, Hergé…) et intitulé “il était la Belgique une fois”. Un évènement “sous le signe de l’humour et de la bonne humeur”, comme l’annonçait le communiqué.