Pouvant être lu dans n’importe quel contexte et à tout moment, le format audio connaît un regain d’intérêt chez les marques et leurs départements marketing.
En parallèle, dans un marché du contenu en voie de saturation et peinant de plus en plus à capter l’attention, l’audio permet aux marques de se différencier tout en musclant l’identité de la marque d’une manière insolite (podcasts, playlists musicales, livres audio…). Alors que les réseaux sociaux souffrent d’une crise du reach, des plateformes comme Clubhouse signent l’avènement du contenu sonore et le retour des clubs de discussion où la parole est plus libre, spontanée et interactive. A chaque fois l’enjeu est le même : accroître et diversifier les audiences tout en conquérant de nouveaux territoires d’expression, à la condition de rester cohérent avec les valeurs prônées par la marque ou le produit/service.
La playlist musicale : nouvelle frontière de l’identité de marque
On dit souvent que la musique adoucit les mœurs. Alors que le virus met à rude épreuve le moral de populations confinées et en prise avec une incertitude extraordinaire, la musique s’impose comme l’outil anti-déprime par excellence et une valeur refuge de la crise.
Malgré une désaffection marquée aux premières heures du confinement, FutureSource a relevé une augmentation de +25% du nombre d’abonnés à des services de streaming musical, à l’échelle mondiale.
Parmi elles, le suédois Spotify s’inscrit en leader avec 1,9 millions de titres musicaux et un accroissement du nombre d’abonnés payants atteignant 345 millions à fin décembre 2020 (soit +27% en un an). D’après les rapports maison, ⅓ du temps d’écoute des auditeurs est passé sur les playlists générées par Spotify.
Bien connue des publicitaires, la musique renferme un pouvoir de mémorisation et de réconfort inouï à travers la nostalgie qu’elle est capable de convoquer. Ce faisant, la bande son des campagnes vidéo reprend à son compte les grandes heures des années 1970, 1980 et 1990. De l’autre, la génération Z redécouvre les hits et le style vestimentaire des années 2000. Une bande son vintage qui, pré-covid, s’entendait déjà dans les points de vente, de plus en plus adeptes de sons cuivrés et chaleureux comme la funk et la soul. Le disco a d’ailleurs largement contribué à rassurer les individus confinés.
Ce n’est pas un hasard si, en pleine pandémie, le constructeur automobile Renault décide de ressortir de ses archives sa signature sonore alignée avec son claim “Renault : des voitures à vivre”, en vigueur du milieu des années 1980 jusqu’à l’an 2000. Ainsi, le titre de rock FM, Johnny & Mary (1980) de Robert Palmer, dont la narration évoque une tranche de vie, est ressorti dans une version réinterprétée. L’idée est, autour du slogan “Toujours là pour vous”, d’insister sur la fiabilité de son service SAV, y compris en période de crise.
Récemment Renault a réitéré le coup du point de repère musical mais cette fois-ci pour illustrer la sortie de son premier modèle de Twingo électrique. Pour l’occasion, la marque reprend la musique de lancement de la voiture en 1993, dans sa version originale. Il s’agit ici de Hush Little Baby de Yoyo Ma et Bobby McFerrin autour du claim “Twingo, réinventer la vie qui va avec”. De son côté le gouvernement a misé sur deux illustrations sonores nostalgiques : l’une sémillante aux accents disco avec le titre Stand on the world des Joubert Singers, de l’autre Je reviens te chercher de Gilbert Bécaud, pépite de variété française, elle-même choisie quelques temps plus tôt par la Fédération du Cinéma pour relancer le trafic dans les cinémas avec son hashtag #TousAuCinema. Pour la Saint Valentin, la chaîne Canal + a elle misé sur une réinterprétation du tourbillon de la vie par la chanteuse Angèle.
Les playlists musicales conviennent parfaitement aux marques motrices et liée à l’activité physique. Le spécialiste du fitness Gymshark ou l’équipementier sportif Nike, à travers son profil Nike+ Run Club, proposent des playlists sponsorisées.
La playlist musicale est aussi une extension de l’identité de la marque dans un territoire largement sous-estimé. Pour les marques de mode et de luxe, il s’agit d’ouvrir les archives des illustrations sonores de leurs défilés ou les inspirations des créateurs au plus grand nombre, comme Chanel ou encore McQueen.
Spotify, leader du streaming musical se rêve déjà, à l’image de Tencent music, en nouvelle plateforme social media, avec la possibilité de commenter ses morceaux préférés.
La folie du podcast ou la parole aux grands témoins de notre temps
Le podcast offre un vent de fraîcheur et un espace de liberté chez les créateurs de contenus et les professionnels des médias. Ces émissions audio à la demande se consomment sur un mode feuilletonnant comme pour une série TV.
Loin du formalisme textuel, des contraintes du planning éditorial et du SEO qui oblige à la brièveté du propos, le podcast permet d’analyser plus en détail un sujet. Le format se prête davantage au débat d’idées, aux exposés voire à des narrations plus vivantes. Une étude mené par le psychologue expérimental Daniel Richardson à l’University College de Londres, a prouvé que le format vidéo véhiculait davantage d’émotion que l’audio. Néanmoins, le format audio s’avère bien plus immersif et captivant que son comparse visuel.
Consommable à l’épisode, il s’apparente à la série TV en ce qu’il crée un rituel et induit une implication et une fidélisation certaine, l’image en moins. Mieux il est à l’instar de la radio, le média de la mobilité, écoutable partout et en tout lieu.
Au 4e trimestre 2019, les écoutes de podcasts avaient connu une hausse de +200% de leurs revenus publicitaires et pré-covid, il était déjà question d’atteindre le milliard de dollars d’ici 2021. L’IAB recensait en 2020, 800 000 podcasts pour 62 millions d’auditeurs dans le monde chaque semaine. Selon la récente étude du Edison Research, 80 millions d’américains écoutent des podcasts chaque semaine. En France, 14% de la population écoutent des podcasts natifs de manière hebdomadaire, soit 5,3 millions de personnes, selon une étude Havas Paris/Institut CSA.
Un marché en pleine consolidation, à en juger par les récentes acquisitions tout azimut de la part de Spotify ou encore Amazon. Et les marques de luxe s’y mettent comme Gucci, avec une émission sponsorisée par The Sex Ed dédiée au bien être sexuel ou encore Dior et sa série de portraits de femmes inspirantes à travers Dior Talks et The Female Gaze ou encore sur la personnalité de Monsieur Christian Dior à travers Dior Untold.
McDonald et Coca-Cola ont créé des playlists liées à un produit (et sa campagne publicitaire) ou à un thème général comme l’été ou le bonheur. Depuis 2016, les marques peuvent sponsoriser certaines playlists populaires sur la plateforme comme “Morning Commute” et “Teen Party”. Dernièrement, la marque agroalimentaire Barilla a lancé des playlists sponsorisées adaptées à la cuisson de ses pâtes best-sellers.
Première plateforme de streaming musical en nombre d’abonnés en 2020, Spotify veut aller plus loin et dépasser le seul cadre de la playlist musicale. Ce faisant, le marché du podcast est devenu son nouveau cheval de bataille. L’entreprise peut ainsi se targuer d’un catalogue de 2,2 millions de podcasts.
Pour y parvenir, Spotify a racheté les éditeurs Gimlet, The Ringer ou encore Parcast ainsi que l’outil de création Anchor. Autant de contenus exclusifs qu’il convient de monétiser. Une ambition possible depuis le rachat du spécialiste de la publicité pour podcast, Megaphone. Spotify peut ainsi cibler près de 60 000 segments d’audience. L’entreprise détenait aussi un catalogue de 5 500 podcasts notamment ceux produits par Slate, Disney ou encore Vox Media. Depuis janvier 2020, son nouveau produit SAI permet d’avoir des données précieuses sur les impressions publicitaires, leur fréquence et portée ainsi que sur l’âge de l’audience et l’appareil utilisé. Spotify a initié une consolidation du secteur, au point que les podcasts indépendants sont devenus une denrée rare. En témoigne le rachat en 2020 de la plateforme dédiée au podcast Wondery par Amazon. Pour Spotify, comme ses challengers, un des défis consiste à proposer tout un catalogue exclusif de podcasts payants, alors que le format était justement plébiscité pour sa gratuité. Plus insolite, la plateforme de SVOD Netflix expérimente l’audio-only. Cette extraction de la bande sonore de films ou séries permettrait ainsi de ravir des parts de marché à Spotify.
Parmi, les incursions insolites, signalons Ikea. Le spécialiste de l’aménagement, non content de numériser son catalogue papier, après 70 ans de bons et loyaux services, l’a décliné en version podcast, réparti en 13 épisodes. Chaque épisode devient un prétexte à explorer le fameux catalogue sans avoir à tourner la moindre page. On y trouve des description de produits ou encore des conseils en aménagement, le tout avec une narration travaillée.
Cousin du podcast, le livre audio a lui aussi le vent en poupe. En France, d’après une récente étude GFK, le format a attiré 3,3 millions d’abonnés en 2020, soit une croissance de +70% par rapport à l’année précédente. Au-delà de la lecture d’ouvrages, Audible, le service de contenu audio de Amazon s’intéresse à travers Audible Plus, son programme d’abonnement mensuel premium, à proposer des séries de projets musicaux et des programmes sportifs. Spotify s’intéresse lui aussi à ce phénomène au départ pensé pour les mal-voyants. En janvier, il a ouvert une section Audiobooks : Hear The Classics, des incontournables de la littérature (Frankenstein, Jane Eyre…) racontés par des célébrités hollywoodiennes et des narrateurs professionnels.
La voix, opportunité créative post-covid ?
Le voice shopping (achat via une technologie vocale) est en passe d’atteindre 40 milliards de dollars d’ici 2022 aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, contre 2 milliards de dollars en 2018, selon une étude du cabinet de consulting OC & C Strategy Consultants. Une tendance qui a pris de l’ampleur en Chine en 2019. Citons parmi les initiatives déjà sorties par les marques, Liv, l’assistant beauté virtuel de Estée Lauder. Lancé en 2018 lors du lancement de son soin du visage Night time Expert, le client peut, via des enceintes connectées Siri et Alexa, obtenir des recommandations de produits mais aussi recevoir des conseils holistiques pour améliorer sa routine beauté.
Les technologies intégrant des fonctionnalités à commande vocale ont été très en vue au dernier salon du CES de Las Vegas. Citons ainsi Bot Handy de Samsung, véritable majordome domotique propulsé à l’intelligence artificielle. Armé de son bras articulé, il est capable de détecter les objets et d’adapter sa force pour s’en saisir. Un prototype innovant qui, à côté du premier miroir connecté domestique, a fait grand bruit. Du reste, la note vocale est de plus en plus utilisée comme via Whatsapp.
Derrière l’aspect sanitaire, le recours à la voix offre davantage de praticité et permet de contourner les problèmatiques de discrimination liée à l’apparence physique et la pression de la représentation publique. De plus en plus d’entreprises cherchent donc à surfer sur cette tendance minimaliste non visuelle.
Lancé en mars 2020 et disponible en Europe depuis février 2021, Clubhouse se présente comme un réseau social sélectif entièrement tourné autour de l’audio. Un club privé où, hormis les célébrités médiatiques et autres figures d’autorité, l’accès se fait via le parrainage d’un utilisateur inscrit. Chaque nouveau venu obtient trois invitations qu’il peut distribuer à qui il le souhaite. Une fois accepté, l’utilisateur peut accéder à des espaces ou “rooms” hébergeant conférences audio limitées à un public restreint, talkshows et autres discussions de groupes. La plateforme peut aussi se prêter à des performances artistiques live comme ce fut le cas avec le musical Le Roi Lion de Disney. Bénéficiant d’un buzz sans précédent alimenté par les entrepreneurs de la Silicon Valley, Clubhouse a passé le cap des 10 millions de téléchargements et est aujourd’hui valorisé à plus de 1 milliard de dollars. Ne s’adressant pour l’heure qu’aux seuls utilisateurs Apple, la plateforme prévoit une version android. D’ailleurs, passé le cap des early-adopters, et fort de sa récente levée de 100 millions de dollars, l’application s’ouvrira ensuite aux plus grand nombre. Son effervescence autour de la sphère tech et des journalistes rappelle les débuts de Twitter.
Ce service inédit autour d’un outil aussi intime et spontané que la voix intéresse les autres réseaux sociaux. Twitter cherche ainsi à surfer sur la tendance audio. Il teste actuellement Spaces, une sorte de salon de discussion, et vient de racheter Breaker. Facebook travaille lui aussi sur son propre concept. Le medium vocal encourage le développement de tout un écosystème. Ainsi une entreprise comme Audio Collective se propose de gérer le volet planning événementiel et branding. D’après son fondateur, Audio Collective compte servir de lobby à Clubhouse en offrant de meilleurs insights et des outils de monétisation.
La voix inspire aussi les applications de rencontres. Alors que dans certains cas, les sujets de conversation laisse à désirer, Voxlov se lance dans la rencontre en aveugle. Avec lui fini l’épreuve de l’orthographe : Aux amoureux de se découvrir à travers le timbre de la voix, l’intonation ou encore la richesse du vocabulaire.
Pour donner de la voix, il existe aussi d’autres formats, c’est le cas de la plateforme Twitch. Après avoir popularisé le jeu TV Question Pour un Champion sur la plateforme, Samuel Etienne, présentateur sur France Télévision et influenceur en vogue, se propose désormais de partager les titres de presse avec une audience croissante. Une interaction avec la communauté qui présage le futur des médias. Si la musique peut rassurer, il en va de même de la voix. C’est ainsi que les chaînes Youtube d’influenceurs de l’ASMR, sonorisant des bruits agréables et régressifs, séduisent de plus en plus.
- Sous-estimé pré-covid, l'identité sonore devient un nouvel enjeu pour les marques. Celle-ci peut passer par des playlists musicales savamment éditées et cohérente avec l'ADN de la marque.
- Permettant une écoute en mobilité et délinéarisée, le podcast s'impose comme un support publicitaire de choix et un moyen futé de renforcer son expertise ou sa proximité.
- Le nerf de la guerre dans le podcast repose sur la profondeur de catalogue et la monétisation, une stratégie mené par Spotify, leader du streaming musical en nombre d'abonnés.
- Moins discriminante que le physique et plus intimiste, la voix devient le nouveau medium de communication, qu'il s'agisse de maintenir le sans contact ou revenir à des discussions plus libérées comme avec le réseau social Clubhouse.
victor gosselin
Journaliste web spécialiste des univers mode, luxe, tech et retail, passé par le Journal du luxe et Heuritech, Victor s'est spécialisé dans la rédaction de contenus BtoB. Diplômé de l'EIML Paris en marketing et communication, Victor a précédemment oeuvré dans le retail mode & luxe (Burberry, Longchamp...) ainsi que dans un département planning stratégique spécialisé luxe et premium en agence de publicité.